Scandale humanitaire dans les hôpitaux en Grande-Bretagne

la privatisation de la santé et des coupes budgétaires tuent

Des milliards de coupes au Royaume-Uni pour les plus pauvres, mais des milliards investis outre-mer pour des clients fortunés et des profits financiers.


Les coupes budgétaires, l'introduction des logiques du privé tuent en Grande-Bretagne. Selon une enquête limitée pour l'instant à un dixième des hôpitaux britanniques, près de 20 000 morts seraient imputable ces dix dernières années à cette politique du chiffre.

Tout commence par une enquête sur des niveaux anormaux de mortalité à l'hôpital « autonome » de Stafford 1. Le rapport d'enquête révèle des faits accablants : 1 200 patients sont morts dans cet hôpital entre 2005 et 2008 faute de soins adéquats.

Une enquête élargie depuis à 14 autres établissements, soumis au même statut d'établissement autonome (« Foundation trust ») confirme que 20 000 décès auraient pu être évités cette dernière décennie avec une autre logique de gestion que celle de la politique du chiffre.

La politique du chiffre, les coupes budgétaires, les logiques managériales privées pointées du doigt

Le rapport qui a déclenché le « scandale de Stafford » révèle une réalité sordide : des gestionnaires obsédés par la réduction des coûts, des médecins et chirurgiens contraints à réaliser des opérations à la chaîne, des infirmières débordées contraintes à des arbitrages tragiques entre patients.

Les anecdotes sont tristement banales – patients marinant dans leur urine ou contraints de s’hydrater dans des vases usagés – mais des malades agonisant faute de soins, laissés à l'abandon sont un symbole d'une politique centrée sur le « coût » des clients/patients plus que sur le bien-être.

Le rapport d'enquête de l'avocat Robert Francis pointe du doigt cette logique managériale privée :
« Ces souffrances terribles et inutiles de centaines de personnes laissées à l'abandon par un système qui a ignoré les signaux d'alarme sur la piètre qualité des soins et qui a mis la priorité sur les intérêts privés de leur établissement, sur le contrôle des coûts, plutôt sur les patients et leur sécurité ».

Le premier ministre Cameron feint l'indignation au Parlement, tente cyniquement d'en faire une preuve de la faillite d'un système public à réformer et libéraliser.

Mais, c'est sa politique de coupes budgétaires, de privatisation rampante, héritière de la politique de casse menée depuis vingt ans qui est à l'origine de ce scandale sanitaire.

La conséquence ultime et tragique de vingt années de privatisation rampante
L'hôpital de Stafford, comme les quatorze autres sous enquête, sont des « Trusts », des établissements publics autonomes. La plupart sont aussi des « Foundations », des établissements quasi indépendants, semi-publics, fonctionnant selon une logique managériale privée.

Le NHS (National Health system) d'après-guerre, financé par l'impôt, public, gratuit et universel a été vidé de l'intérieur par les réformes libérales mises en place depuis le début des années 1990.

En 1991, Margaret Thatcher casse l'unicité du système, introduit une concurrence entre établissements, au nom de la libéralisation du « marché intérieur » de la santé, impulsée par l'Acte unique européen.

Le budget de la santé est décentralisé vers des unités médicales locales ou régionales en charge de l'achat de l'offre de soins (purchaser), tandis que les hôpitaux transformés en « trust » autonomes sont chargés de proposer une offre de soins (provider) à moindre coût.

L'idée de Thatcher était de casser l'universalité du service, d'introduire une logique de concurrence entre établissements et surtout de réduire les coûts : médecins et hôpitaux ayant tous intérêt dans ce schéma à réduire le coût des soins pour être plus « compétitifs ».

Arrivé au pouvoir en 1997 avec comme programme de rompre avec cette privatisation, le travailliste Tony Blair va l'approfondir, façonnant le système hospitalier actuel.

D'une part, il crée les « Primary care trusts », élargissant la logique de l'autonomie aux centres médicaux locaux regroupant médecins, travailleurs sociaux, pharmaciens, dentistes, chargés de l'achat des soins – sous la surveillance toutefois du Ministre de la Santé.

D'autre part, il renforce l'autonomie des hôpitaux avec la création des « Foundations », un label réservé d'abord à quelques établissements puis étendu : ces hôpitaux ont autonomie totale dans la tarification des soins ou des salaires, avec un statut leur permettant de lever des fonds privés.

Enfin, avec les partenariats public-privé (Private finance initiative/PFI) lancés en 2001 : le secteur privé finance les investissements dans les hôpitaux à la place du secteur public mais l’État doit en échanger payer des intérêts, indexés sur l'inflation, sur plusieurs décennies.

Les PFI sont aujourd'hui critiqués par tous les rapports d'enquête : d'une part comme une forme de dissimulation comptable de la dette, d'autre part comme une cause de l'explosion des dépenses de santé au profit du secteur privé, enfin comme une raison de la dégradation de la qualité des soins.

Les 120 PFI conclus dans le secteur ont conduit à la réduction de 30% de l'offre de lits, chaque milliard de £ investi a conduit à la suppression de 5 000 médecins ou infirmiers.

Dans le même temps, 60 hôpitaux britanniques sont désormais menacés de faillite, ne pouvant plus payer la facture galopante des PFI, le coût du remboursement des contrats de construction des hôpitaux en PFI s'élevant parfois jusqu'à 20% du budget de fonctionnement des hôpitaux.

A noter que dans le même temps, cette politique de délégations de service public au privé a conduit à l'explosion des dépenses de santé : elles représentaient 10% du PIB en 2009 contre 7,3% en 2000.

Contrairement à l'idée reçue, un système privatisé est largement plus dépensier et gaspilleur : le pays de l'OCDE aux dépenses de santé les plus fortes reste le système privatisé américain, avec 17,5% du PIB consacré à la santé.

Le projet de Cameron : fin du processus de privatisation et coupes dans l'hôpital public.

Dans ce contexte, le projet de Cameron pour la santé (Health and social care act), qui devait entrer en vigueur en avril 2013, n'est pas le début du processus de libéralisation-privatisation mais plutôt son parachèvement sous prétexte de politique de restrictions budgétaires.

Le système de Thatcher et Blair est unifié : l' « achat des soins » est confié aux médecins, le budget de la santé décentralisé quasi totalement à ces unités (Clinical commissioning groups) tandis que les organismes de régulation du Ministère de la Santé (Strategic health autorities) seraient supprimés.

De l'autre côté, la privatisation serait institutionnalisée, l'offre de soins étant désormais ouverte à n'importe quel fournisseur de soins (« any qualified provider ») compétitif.

La réforme de Cameron a reçu l'opposition virulente de l'Ordre des médecins britanniques (British medical association) rejoint par les infirmières et les sage-femmes (Royal college of nursing and midwives), dénonçant la marchandisation de la santé et une politique de coupes déguisée.

Contrairement aux allégations du gouvernement, le secteur de la santé est touché par les coupes budgétaires de 100 milliards de £ prévues en 2010, et conduisant à la réduction en moyenne de 25% des budgets et à la suppression de 500 000 emplois publics.

Le gouvernement a fixé comme objectif de réduire de 20 milliards de £ les dépenses dans le secteur de la santé d'ici 2015.

La conséquence directe : c'est la fermeture d'une trentaine de services d'urgence, de soins pour enfants, les projets de fusion des hôpitaux menacés de faillite, la suppression de 20% du personnel de santé.

L'hypocrisie d'un système à plusieurs vitesses : profits privés et coupes publiques

La privatisation de la santé s'est déjà accélérée ces derniers mois.
En novembre 2011, pour la première fois une firme privée (Circle Health) récupérait un hôpital public menacé de faillite du NHS pour 1 milliard de £. Les tractations pour la cession de 20 hôpitaux publics en difficulté au groupe privé allemand Helios sont en cours.

Si c'est la première fois qu'une firme privée gérera un hôpital dans son intégralité, les services de restauration et de nettoyage sont déjà délégués à des entreprises privés, ainsi que certaines opérations bénignes, comme les opérations à la hanche dont 1/5 ème sont déjà réalisées par le privé.

Dans le même temps, 400 services médicaux réalisés hors du milieu hospitalier, des services de centre de santé aux services ambulanciers, étaient confiés en octobre 2012 à des opérateurs privés.

L'hypocrisie des réformes libérales de Cameron est révélée par le projet de délocalisation de certains hôpitaux renommés à l'étranger : des investissements massifs dans des hôpitaux de pointe autonomes à Dubai, Singapour, Abu Dhabi, Delhi ou Tripoli pour des patients fortunés.

Une expérience déjà concrétisée avec l'hôpital ophtalmologique à Dubai (Moorfields Eye) ou l'Imperial college à Abu Dhabi. Des milliards de coupes au Royaume-Uni pour les plus pauvres, mais des milliards investis outre-mer pour des clients fortunés et des profits financiers.

La démagogie de Cameron, fustigeant les abus des immigrés ou les coûts que représentent les personnels de santé, ne trompe plus personne, mais elle ne doit pas oublier la lourde responsabilité des gouvernements précédents, surtout travaillistes dans les années 2000.

Elle doit constituer une mise en garde face à la politique des coupes budgétaires, des privatisations rampantes que l'Union européenne et les gouvernements nationaux veulent imposer dans toute l'Europe, et en premier lieu en France.

Solidarité Internationale PCF


La reine Elizabeth II, 86 ans, 
a quitté lundi après-midi le King Edward VII Hospital à Londres 
où elle avait été admise dimanche pour une gastroentérite
God save the Queen et son pognon


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