skinheads : le réflexe de classe des "prolétaires blancs"
Le
gouvernement a lancé ce samedi la procédure de dissolution des JNR,
les Jeunesses nationalistes révolutionnaires. « D’autres
associations ou groupements » pourraient subir le même sort,
prévient le premier ministre Jean-Marc Ayrault.
Il
a semblé utile de revenir sur le profil sociologique et idéologique
des skinheads d’extrême droite, et de retracer l’histoire de la
mouvance « nationaliste révolutionnaire ».
Entretien
avec Nicolas Lebourg, 38 ans, historien, spécialiste de l’extrême
droite, chercheur associé au Centre de recherches historiques sur
les sociétés méditerranéennes à Perpignan.
Rue89
: De quel milieu viennent ces skinheads d’extrême droite
que l’on croise dans de nombreuses villes en France ?
Nicolas
Lebourg : Ce sont des jeunes issus des classes populaires,
avec une vraie conscience de classe. Ils s’affirment comme des
prolétaires blancs – ce qui les conduit à assimiler la
question sociale à la question raciale. Ils dirigent leur colère
vers les mouvements de gauche, considérant que ceux-ci s’occupent
des immigrés ou des homosexuels, mais pas de l’intégration des
jeunes prolétaires blancs.
Ils
assimilent la gauche au sionisme, c’est assez classique, même si
leur racisme est désordonné – contre les juifs, les Arabes, etc.
Leur néonazisme est souvent assez folklorique, c’est un
néonazisme d’influence américaine, qui est en fait un
suprémacisme blanc.
Le
lien avec le nazisme, le vrai, n’est-il pas directement lié à
l’histoire de l’extrême droite européenne ?
Ces
skins ont subi l’influence des skins anglais au début des années
80, et des néonazis américains dans les années 90 : on le voit par
exemple à travers la musique qu’ils écoutent, avec une évolution
de la oi ! [punk-rock anglais, ndlr] vers des musiques plus proches
du metal ou de l’indus.
Dans
les années 1980, c’est lorsqu’ils étaient sous l’influence
anglaise que s’est opérée la politisation vers l’extrême
droite d’une partie des skinheads français.
Dans
les années 1990, ils reprenaient de préférence des slogans
américains contre « ZOG » par exemple [le fantasmatique
gouvernement d’occupation sioniste, ndlr]. Quand Maxime Brunerie
avait tiré sur Jacques Chirac, il avait ainsi expliqué que le
Président était un agent de ZOG. A l’époque, « Les Carnets de
Turner » (un roman américain suprémaciste) avait un gros succès.
Au
niveau politique, le néonazisme des skinheads se limite à
l’antisémitisme et au suprémacisme blanc. Il est très peu
élaboré. Le folklore néonazi relève plus de la provoc’ que
d’une affirmation idéologique construite. Ce sont des gamins assez
déstructurés.
A
partir de cette petite bande, qui n’avait pas de structure
politique, Serge Ayoub a réussi à partir de 1987 à bâtir le
premier mouvement politique skin. Il avait alors donné à ces jeunes
une espèce d’horizon, en leur disant :
«
OK, vous buvez de la bière, OK, vous faites la fête, OK vous faites
n’importe quoi, mais vous savez, les SA [organisation paramilitaire
du parti nazi, ndlr] étaient comme vous. On n’est pas des SS
méthodiques, mais on peut être révolutionnaires comme les SA. Il
ne s’agit pas juste de faire le coup de poing contre l’Arabe d’à
côté, cela ne sert à rien. Il faut se structurer politiquement
comme le firent les SA... »
D’autant
que les SA venaient de milieux plus populaires que les SS...
Oui,
ils étaient plus « socialistes ». Les SA prônaient deux
révolutions, la révolution nationaliste et la révolution
socialiste. C’est pour cela qu’on en est arrivé à la nuit des
Longs Couteaux [les assassinats politiques de SA en 1934, ndlr] : il
fallait éliminer cette tendance-là de manière à apaiser les
conservateurs.
On
retrouve chez les skins d’extrême droite cette revendication d’un
fascisme social, un fascisme des travailleurs, qui s’inspirerait
des débuts du fascisme italien et de la SA.
Donc,
dans les années 80, Ayoub a réussi à convaincre des skins. Il a
une forme de charisme qui fonctionne bien auprès de ces jeunes-là,
qui manquent de repères, qui sont souvent peu cadrés familialement.
Ils ont trouvé chez lui une forme d’autorité qui leur convenait.
C’est
un des rares exemples où l’extrême droite a eu un succès auprès
de la jeunesse populaire. Il n’y avait pas de jeunes prolos à
l’extrême droite au début des années 80. A l’époque, les
extrémistes venaient des classes plus aisées : c’étaient des
petits bourgeois ou même des enfants de grands bourgeois.
On
pense au GUD de cette époque, par exemple, implanté à l’université
d’Assas...
Exactement
: le GUD était composé de bourgeois. Mais au fil des années 1980,
on a vu de jeunes prolétaires être attirés par ce mouvement
nationaliste révolutionnaire. On a vu naître une extrême droite de
ressenti, de déclassement social, liée au rejet de plus en plus
fort de l’immigration.
Ce
tournant commence à la fin des années 1970, une période de
désindustrialisation accélérée. Ces jeunes sont souvent issus de
familles dont le père n’a plus de boulot... Ce sont des petits
prolos en colère, ils auraient pu d’ailleurs tomber dans le camp
d’en face.
Le
nationalisme révolutionnaire dont se réclame Serge Ayoub n’est-il
pas plus ancien que les années 80 ?
Idéologiquement,
oui. Ce qu’on appelle le nationalisme révolutionnaire, c’est
l’effort, à partir des années 60, de repenser le fascisme, en
sortant de l’expérience des Etats fascistes, en Italie ou en
Allemagne, pour repuiser dans l’expérience des années 20 ou 30 et
essayer de dessiner un fascisme modernisé et, surtout, un fascisme
qui soit un anti-impérialisme.
Avec
cette idée que l’Europe est colonisée par les puissances russe,
américaine, israélienne... et qu’on est dans une lutte de
libération nationale, comme le sont les pays du tiers-monde.
Mais
les années 60, ce sont aussi les années de la fin de la guerre
d’Algérie, une guerre colonialiste soutenue par l’extrême
droite...
En
fait, le nationalisme révolutionnaire se développe dans l’après
coup de la guerre d’Algérie. Après la fin de l’empire, ces
mouvements d’extrême droite se demandent ce qu’ils peuvent
faire, alors que la France a tout perdu. C’est la réflexion en
particulier de François Duprat. L’idée est alors de sortir d’un
nationalisme impérial pour devenir anti-impérialiste, ce qui permet
au passage de retrouver un antisionisme virulent...
Pendant
ces années, un effort de modernisation idéologique est engagé. On
allait repuiser des idées et des concepts chez George Sorel (qui a
été un des marqueurs idéologique de Mussolini), ou chez les frères
Strasser [Otto et Gregor, les grands idéologues de la gauche du
parti nazi, ndlr] ou chez les franges européistes et socialisantes
du parti fasciste italien...
En
redécouvrant les tendances qui avaient été réprimées par Hitler
ou Mussolini, il s’agissait de retrouver un fascisme subversif,
social, et qui n’avait pas les mains dans les cendres de
l’extermination.
A
vous écouter, ils semblent s’être inspirés, pour ce qui est de
la méthode, du mouvement trotskyste, qui s’est de cette façon
démarqué du stalinisme et de « l’Etat ouvrier bureaucratiquement
dégénéré »...
C’est
exactement ça. Allemagne et Italie étaient considérés comme des
Etats fascistes dégénérés, mais cela ne voulait pas dire que la
théorie fasciste était mauvaise. Le nationalisme révolutionnaire
s’est développé. Dans les années 80, le mouvement Troisième
Voie de Jean-Gilles Malliarakis, qui compte alors 350 gars, est bien
structuré.
Puis
le nationalisme révolutionnaire a disparu : en 2002, Unité
Radicale, le dernier groupuscule NR encore présent, a été dissout.
Il avait d’ailleurs abandonné tout ce qui faisait le nationalisme
révolutionnaire : il était devenu obsédé par les thématiques
identitaires, anti-islam, etc. Les nationalistes identitaires, eux,
étaient initialement pro-islam, ils avaient beaucoup d’admiration
pour la révolution de Khomeiny, par exemple.
En
2010, Ayoub a refondé les jeunesses nationalistes révolutionnaires.
Mais cela reste un groupuscule très peu développé. Des réflexions
idéologiques des années 60, il ne reste pas grand-chose. Tout a été
très simplifié.
Aujourd’hui,
le Front national développe un discours plus social que lorsqu’il
était dirigé par Jean-Marie Le Pen, plus libéral sur le plan
économique. Reste-t-il de la place, sur le terrain idéologique,
pour ces groupuscules nationalistes révolutionnaires ?
Cette
réorientation a poussé des groupuscules à durcir leur discours
mais aussi à se démarquer différemment, quitte à passer pour plus
réacs sur les questions sociétales.
Prenez
Fabrice Robert [aujourd’hui responsable du Bloc identitaire, ndlr].
Quand il militait à Troisième Voie ou à Nouvelle Résistance, le
moins qu’on puisse dire, c’est que l’homosexualité n’était
pas un drame. On éditait des brochures sur l’homosexualité dans
le nazisme ! Le FN était alors pointé comme le parti réac’.
Aujourd’hui,
le même Fabrice Robert est dans la « Manif pour tous » et c’est
lui qui fustige la mollesse de Marine Le Pen sur le sujet de
l’homosexualité : c’est lui qui est dans la posture du réac’.
Les
skinheads que l’on croise dans les villes sont-ils forcément
rattachés à une organisation, où peuvent-ils être complètement
autonomisés ?
On
voit se développer un phénomène d’autonomes d’extrême droite,
sur le modèle des autonomes d’ultragauche dans les années 70. On
a vu ce phénomène se développer à l’extrême droite en
Allemagne, en Italie, et on le voit maintenant en France.
Dans
les bastons qui ont suivi la dernière « Manif pour tous », il y
avait, semble-t-il, beaucoup d’autonomes de ce type. Ils n’ont
plus besoin d’être rattachés à une organisation : ils forment
des tous petits groupes, et quand il y a une action coup de poing, on
voit subitement tous ces gens débarquer et se connecter.
Le
personnage désormais familier du crâne rasé, avec croix gammées
tatouées, est-il en voie de disparition ?
Les
idéologies dont il se réclame – le fascisme, le nazisme – sont
liées à l’époque industrielle. Elles reposent sur des idées
liées aux valeurs industrielles, la massification, le parti-Etat qui
absorbe toute la société, etc.
Le
fait qu’un truc comme le Bloc identitaire se développe n’est pas
illogique : il correspond bien mieux à notre époque, globalisée,
postmoderne, fluide, web, postmatérialiste et beaucoup plus tournée
sur la représentation de soi-même. La logique, c’est le
développement du Bloc identitaire et la marginalisation de ces
groupuscules liés à une histoire passée.
Cependant,
le personnage que vous décrivez peut cependant survivre encore un
long moment, parce qu’on n’a pas encore trouvé mieux que les
références au fascisme pour s’automarginaliser. Le type avec la
croix gammée dans le cou est sûr de ne jamais être embauché. Il
s’autocondamne au chômage, mais il peut justifier sa marginalité
et son exclusion du marché du travail en se disant : « C’est
parce que je suis un héros politique. »
Avec
ces groupes de skins, on est au croisement de la marge sociale et de
la marge politique. Ce sont des gens destructurés, qui vont
retrouver une structure dans une bande, un phénomène que les
sociologues connaissent bien. On créée un petit entre-soi très
compact qui justifie le fait qu’on soit séparé de la société.
Cela attirera toujours quelques personnes, mais fondamentalement, dès
qu’on est un peu plus structuré, un truc comme le Bloc identitaire
est bien plus efficace au niveau de l’interaction sociale.
Combien
y-a-t-il de skinheads en France ?
Difficile
à dire. On donne généralement, pour l’ensemble de l’extrême
droite radicale, le nombre de 3 000 personnes, mais c’est une
estimation à la louche qu’on répète depuis. Elle n’a pas
grande valeur. Pour ce qui est des skins, il y a en a quelque
centaines éparpillés sur le territoire, mais il est impossible
d’être plus précis.
Sont-ils
forcément violents ?
Individuellement,
non. Un skin, pris isolément, n’est pas forcément attiré par la
violence. Mais le groupe, lui, a le culte de la baston.
Il
est étonnant de constater qu’ils partagent des éléments de code
vestimentaire avec des militants antifascistes : les polos Fred
Perry, par exemple.
Cela
s’explique simplement. A la base, le mouvelment skinhead n’est
pas connecté à l’extrême droite : il représentent la working
class anglaise et il s’inscrit dans le sillage de la subculture
des Mods. A la fin des années 70, une partie du mouvement va
basculer à l’extrême droite. D’autres skinheads vont refuser
cette évolution, et on les retrouvera chez les antifa. Ils vont dire
: « Les vrais skinheads, c’est nous, les autres sont des
“boneheads”. »
Ils
revendiquent la marque et le look. Mais ce n’est pas le skinhead
antifa qui va l’emporter, car c’est le mouvement skinhead
d’extrême droite qui va être médiatisé. Et aujourd’hui, le
look skinhead est un marqueur d’extrême droite très ancré.
Mais
si vous écrivez un article sur les skinheads, vous êtes certain
qu’il y aura des commentateurs pour dire : ce journaliste est nul,
il est inculte, il confond skinhead et bonehead...
Effectivement,
nous avons vécu cette expérience !
C’est
systématique !
EXTRAITS
DE « LA DÉCLARATION DE GUERRE » DU BLOC IDENTITAIRE
«
Nous sommes la génération de la fracture ethnique, de la
faillite totale du vivre-ensemble, du métissage imposé. [...]
Nous sommes la génération victime de celle de Mai 68. [...]
Nous avons cessé de croire que Kader pouvait être notre frère,
la planète notre village. [...] Notre seul héritage c’est
notre terre, notre sang, notre identité. [...]
Nous
n’avons pas besoin de votre politique de la jeunesse. La
jeunesse est notre politique. »
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