Le racisme, une compensation au sentiment d'impuissance
Le
racisme est une expression constante dans toute structure
anthropologique ; il n'y a pas une société qui en soit exempte. La
vraie question, c'est à quoi sert cette expression et surtout
comment on en vient à ne plus la contrôler. Nous sommes dans une
période où l'inflation et le caractère délirant du racisme
prennent, en France, des proportions inquiétantes.
L'histoire
de notre pays, les anciennes colonies en Afrique du Nord et les
migrations post-décolonisation expliquent en partie l'existence de
sentiments anti-Arabe et anti-musulman en France. Pourtant, les
réflexions sur le sujet, mais plus encore les outils et instruments
de mesure ont tardé à être mis en place. Nous l'avons fait sur
rappel à l'ordre des institutions européennes et poussés par la
montée en puissance de réflexions britanniques et américaines sur
le sujet, notamment après le 11-Septembre. Ceci pourrait expliquer
la plus grande attention aux indicateurs du racisme, dont
l’islamophobie pour la troisième année consécutive.
Par
ailleurs, nous sommes constamment confrontés à des transformations
dans nos sociétés, qui évoluent en accéléré. Les changements
concernant le travail, l'éducation, les sujets de société, etc.,
sont des épreuves permanentes auxquelles les individus doivent faire
face. Il ne s'agit pas là d'effets conjoncturels de la crise –
qui, tout comme l'affaire Merah, a bon dos –, mais d'un champ bien
plus vaste. Ces évolutions permanentes peuvent entraîner un
sentiment d'anxiété et d’impuissance chez l'individu, qui va
alors chercher un mode de compensation, de consolation. Or le racisme
s'y prête parfaitement : il confère un sentiment de toute-puissance
par l'humiliation, l'avilissement de l'autre. C'est une alternative
viable à l'impuissance et l’incertitude. Il conviendrait donc de
s'interroger sur la façon dont les individus sont mis en capacité,
ou pas, d'affronter les évolutions de nos sociétés.
Plus
difficile de ne pas manger de porc qu'il y a 20 ans
Aujourd'hui,
en France, il est plus difficile de ne pas manger de porc à la
cantine qu'il y a 20 ans. Une situation qui ne posait aucun problème
auparavant est devenue gênante. On le voit bien dans les études
qualitatives commandées par la Commission nationale consultative des
droits de l'homme pour compléter son rapport : 55% des Français
estiment qu’il ne faut pas faciliter l’exercice du culte musulman
en France. On peut y ajouter cette enquête de l'Ipsos du début de
l'année révélant que 74% des Français jugent l'islam comme étant
"intolérante et incompatible avec la société française".
Du
coup, on dénie aux musulmans, entre autres, le droit de manger selon
la règle de leur religion et ce au nom de la laïcité. Celle-ci,
entendue comme principe de gouvernement et non comme idéologie
menacée, n'implique pourtant aucunement de telles mesures. Quand on
connaît en plus l'importance des pratiques alimentaires en
anthropologie et la place centrale qu'elles occupent dans la
construction du bouc-émissaire, on ne peut qu'être atterré.
Pour
un décloisonnement des racismes
L'islamophobie
revêt aujourd'hui les habits neufs de l'antisémitisme. Elle devient
une sorte de patriotisme, une façon d'exprimer le fait d’aimer et
de protéger son pays : un racisme vertueux. C'est exactement sous
cette forme que s'est exprimé l'antisémitisme chrétien au cours de
notre Histoire.
Voilà
pourquoi je trouve inepte de séparer racisme et antisémitisme et
plaide pour une grille de lecture générale, qui permet de
reconstituer l'intégralité du champ de la haine et de l'aversion.
Par exemple, on ne sait pas actuellement si les islamophobes et les
antisémites sont des personnes différentes ou si ce sont les mêmes
qui circulent d’un racisme à l'autre. Ce serait pourtant une
donnée très intéressante.
Quant
à lui, le "racisme anti-Blanc", dont il a aussi été
question en 2012, ne peut pas être rapporté aux faits recensés.
C'est un faux-semblant dans la mesure où il nie le principe central
de domination qui sous-tend le racisme, à savoir l'asymétrie des
positions. Il n'y a racisme que si un groupe est en pouvoir de nuire
et que l'autre n'est pas en mesure de riposter à la hauteur.
Nacira
Guénif-Souilamas
Excellent !
RépondreSupprimerTrès bonne analyse de ce fléau, oui "je trouve inepte de séparer racisme et antisémitisme"...
RépondreSupprimer