Paraguay : le parti de la dictature revient au pouvoir
Au
Paraguay, après le putsch de 2012, dans un silence médiatique assourdissant, retour de la droite héritière de la dictature
Les
élections du 22 avril marquent ce que les médias appellent le «
retour à la normale » au Paraguay : un duel au second tour des
présidentielles remporté par les « Colorado » face aux «
Libéraux », deux partis de droite représentant la bourgeoisie
paraguayenne depuis l'indépendance.
Un
processus électoral normal pour les médias occidentaux dans un pays
qui connaît une situation anormale depuis l'an dernier : en effet le
président démocratiquement élu, Fernando Lugo, avait été
renversé par le Parlement dans ce qui constitue un « coup d’État
institutionnel ».
Le putsch de la droite conservatrice contre l' « évêque des pauvres »
L'hypocrisie
médiatique autour des processus révolutionnaires latino-américains
transparaît dans le traitement du cas paraguayen.
Démocratiquement
élu en 2008, Fernando Lugo est le premier président à n'être ni «
Colorado » ni « Libéral », les deux factions politiques de droite
qui se partagent le pays depuis l'indépendance, représentant
loyalement les intérêts de la bourgeoisie, y compris sous la
dictature.
Contrairement
au pape nouvellement élu, Lugo a bien été l' « évêque des
pauvres » : partisan de la théologie de la libération, inspirée
d'un syncrétisme entre marxisme et christianisme, opposant résolu à
la dictature de Stroessner, défenseur des pauvres dans son diocèse
de San Pedro.
Dans
un pays ancré à droite, Lugo a lancé des réformes «
progressistes » prudentes : si les débuts de réforme agraire, le
ré-alignement dans le processus d'unité latino-américaine ont pu
décevoir par leur lenteur, elles ont néanmoins exaspéré la
vieille classe dominante réactionnaire paraguayenne.
Elles
ont aussi agacé les États-Unis à l'affût de tout basculement en
Amérique latine de l'allié historique paraguayen. Dès 2009,
l'ambassade était au courant des projets de « coup d’État
institutionnel » concoctés par les caciques de la classe politique
paraguayenne.
Prenant
prétexte d'une évacuation de terres sanglante, la droite
paraguayenne a lancé une procédure de destitution du président
Lugo qui aboutit en moins d'une semaine, en juin 2013.
Tous
les États latino-américains, alliés des États-Unis ou
anti-impérialistes, ont critiqué ce coup d’État. Plusieurs
d'entre eux ont retiré leurs ambassadeurs, ne reconnaissant pas le
nouveau gouvernement tandis que le Paraguay a été suspendu du
Mercosur et de l'UNASUR.
Une droite héritière de la sinistre dictature de Stroessner
C'est
donc dans ce contexte d'un « coup d’État » et d'un gouvernement
non-reconnu par ses voisins que se sont déroulées les élections de
2013 qui ont vu le retour au pouvoir du parti « Colorado », et son
nouveau président Horacio Cartes.
Le
parti « Colorado », représentant des grands propriétaires
terriens (latifundiaires), est aussi le parti de la dictature : parti
unique entre 1947 et 1962, contrôlé par le dictateur Stroessner
jusqu'en 1989.
Allié
des États-Unis, pilier de la lutte contre le communisme en Amérique
latine, refuge des tortionnaires nazis : le Paraguay de Stroessner a
assassiné et fait disparaître plusieurs milliers d' opposants,
communistes pour la plupart, et fait arrêté près d'un demi-million
d'entre eux.
Durant
la campagne, Horacio Cartés a créé le scandale en défendant le
bilan du dictateur Stroessner qualifiant son règne d'une « période
d'ordre et de progrès ».
Un
milliardaire à la fortune douteuse à la tête d'un des États les
plus inégalitaires du monde
Cartés,
comme Pinera au Chili, fait partie de cette génération de patrons
milliardaires qui a su, comme Berlusconi en Italie, fonder sa fortune
sur sa collusion avec les milieux politiques, à la marge de la
légalité, tout en se forgeant une popularité grâce à ses
investissements dans le sport.
Magnat
du tabac, président du club de football « Libertad », Cartés se
présente comme l'archétype du « self made man », chantre de la
liberté d'entreprise, les yeux rivés vers le modèle néo-libéral
américain.
Pourtant,
le profil de Cartés a fait grincer des dents dans son propre parti,
suscitant les dénonciation de ses opposants libéraux.
Cartés,
qui fut longtemps sous investigation de la DEA et d'Interpol, a fait
fortune dans la contre-bande de cigarettes, peut-être le trafic du
drogue tout en pratiquant le blanchiment de fonds sur une large
échelle en collusion avec les milieux mafieux de la région.
Le
duel entre le « Colorado » Cartés et le « Libéral » Alegre est
un symbole d'un pays corrompu, clientéliste et dominé par une
oligarchie puissante : Alegre lui-même est suspecté de détournement
de fonds (25 millions de $!) pendant son passage au Ministère des
travaux publics.
La
parenthèse Lugo refermée, le Paraguay reste un des pays les plus
inégalitaires d'Amérique latine.
Selon
la CEPAL (Commission économique pour l'Amérique latine et les
Caraibes), 55% de la population est sous le seuil de pauvreté en
2010, 30,7% dans l'extrême pauvreté.
La
pauvreté touche la grande majorité des populations rurales,
composées de paysans sans terre réclamant une réforme agraire
refusée par latifundistes : 1% de la population détient 80% des
terres au Paraguay.
Il
est nécessaire de rappeler qu'au même moment, sous la présidence
d'Hugo Chavez au Venezuela, le taux de pauvreté a été réduit de
49,4% en 1999 à 27,6% en 2008, transformant le pays d'un des plus
inégalitaires à un de ceux les plus égalitaires d'Amérique
latine.
Alors,
où sont les dénonciations contre les vrais nostalgiques de la
dictature, les politiciens corrompus et mafieux, les putschistes
chevronnés, les gardiens d'un « ordre injuste et d'un progrès pour
une minorité » ?
Ceux-ci
sont au pouvoir au Paraguay, ils déstabilisent un président
démocratiquement élu au Vénézuela dans le silence complice de
médias, servant d'autres intérêts que ceux de la démocratie, de
la souveraineté et du bien-être des peuples.
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