Afrique : la guerre de l'eau a commencé
La lutte pour l'eau est lancée en Afrique
Les
Etats situés en amont du Nil ont, pour la première fois, décidé
de contester la domination pratiquement exclusive de l'Egypte sur ce
fleuve, écrit le quotidien Kommersant du 18 juin 2013.
Six
pays d'Afrique, sous l'égide de l'Ethiopie, ont décidé de lancer
des projets d'irrigation et de barrages électriques sans en informer
le Caire, profitant de l'instabilité en Egypte dont le contrôle de
la principale artère fluviale d'Afrique a été instauré il y a
plus de 80 ans. Le président égyptien Mohamed Morsi a déjà menacé
de mettre un terme à la construction du plus grand barrage sur le
Nil en Ethiopie par tous les moyens – y compris militaires.
Le
ministre égyptien des Affaires étrangères Mohamed Kamel Amr s'est
rendu en visite extraordinaire à Addis-Abeba. L'unique sujet de sa
discussion avec son homologue Tedros Ghebreyesus était la
construction du barrage de la Renaissance (Grand Ethiopian
Renaissance Dam) en amont du Nil, près de la frontière soudanaise.
L'Ethiopie a commencé de mettre en œuvre ce projet très prometteur
pour son économie en 2011 – quelques semaines après le
renversement du président égyptien Hosni Moubarak. Le barrage
éthiopien, d'une puissance de 6 000 MW, est estimé à 4,2 milliards
de dollars et si sa construction était achevée il deviendrait le
plus grand barrage du Nil.
A
Addis-Abeba, Mohamed Kamel Amr a rappelé que l'Ethiopie n'a toujours
pas fourni les informations nécessaires aux spécialistes égyptiens
de la commission compétente. D'après les documents signés en 1929
par l'Angleterre - qui a reconnu l'indépendance de l'Egypte - ainsi
que l'accord entre l'Egypte et le Soudan de 1959, le Caire et
Khartoum contrôlent 90% des eaux du Nil et tout projet des pays
situés en amont doit être obligatoirement approuvé par l'Egypte et
le Soudan, ainsi qu’être supervisé par une commission technique
égypto-soudanaise.
Le
conflit entre le Caire et Addis-Abeba est entré dans une phase aiguë
à la fin de la semaine dernière lorsque le parlement éthiopien a
ratifié un nouvel accord-cadre sur l'exploitation du bassin du Nil,
limitant l'influence du Caire et de Khartoum. Hormis l'Ethiopie, ce
document a également été signé par cinq autres Etats – le
Kenya, l'Ouganda, le Burundi, la Tanzanie et le Rwanda. L'Érythrée
a joué le rôle d'observateur. La République démocratique du Congo
et le Soudan du Sud ont également promis de se joindre prochainement
à l'accord-cadre. Tous ces Etats ont une bonne raison de soutenir
l'initiative éthiopienne : Addis-Abeba s'est engagé à compenser le
manque d'électricité dans ces pays quand le barrage sera achevé.
"L'Ethiopie
n'a jamais considéré les accords injustes de 1929 et de 1959 comme
contraignants car elle n'a jamais participé à leur rédaction ou
signature", a déclaré le porte-parole du gouvernement
Shimeles Kemal. La réaction du président Mohamed Morsi a été très
dure. "Si une seule goutte du Nil est perdue, notre sang sera
la seule alternative", a-t-il déclaré en ajoutant qu'il
envisageait "toutes les options pour régler ce litige sur les
ressources".
Le
moindre changement du statu quo est extrêmement sensible pour
l'Egypte. Le désert représente 97% du territoire de ce pays le plus
peuplé du Proche-Orient (85 millions d'habitants). 99% de la
population vit sur 3% du territoire – dans la vallée ou dans le
delta du Nil. Malgré les affirmations des autorités éthiopiennes
disant que le barrage n'aurait aucun impact sur le captage de l'eau
en Egypte, le Caire répète qu'il se réduirait d'au moins 20%,
provoquant des perturbations d'électricité. Selon la presse
égyptienne, le gouvernement envisage sérieusement une intervention
militaire et des frappes aériennes sur les sites en construction en
Ethiopie. Il étudie également la possibilité de régler le
problème grâce à l'armement et au financement des rebelles
éthiopiens.
Le
premier ministre éthiopien Hailemariam Desalegn a déclaré que
Mohamed Morsi lançait des "menaces en l'air" en affirmant
que "rien et personne n'arrêterait la construction du barrage".
L'Onu a averti à la fin de la semaine dernière que cette affaire
prenait une sérieuse tournure. Le secrétaire général des Nations
Unies Ban Ki-moon a téléphoné samedi à Mohamed Morsi pour lui
demander d'entamer au plus vite les négociations avec le
gouvernement éthiopien. Toutefois, la visite du ministre égyptien
des Affaires étrangères à Addis-Abeba n'a pas apporté de
résultats tangibles.
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