Amérique Latine : L’impérialisme nous prend en tenaille
Le
texte intégral un peu long certes mais instructif, l'impérialisme ne lâche jamais prise.
Maryvonne Leray
par
Alberto Rabilotta *
Quand
le Président de la Colombie, Juan Manuel Santos, a annoncé que son
gouvernement signera un accord de collaboration avec l’Organisation
du Traité de l’Atlantique Nord (l’OTAN), et que la Colombie
entrerait éventuellement dans cette organisation belliciste, à la
surprise suivit une réflexion qui a ordonné des parties du puzzle
qui manquaient dans la conception du destin que l’ empire US
décadent veut assigner à Amérique Latine et aux Caraïbes, ou
mieux dit, à ces pays de notre région qui ont osé adopter des
politiques socio-économiques qui favorisent le développement pour
réduire la pauvreté.
Des
Pays qui défendent la souveraineté nationale pour garantir les
marges nécessaires d’indépendance face au néolibéralisme, et
qui mettent en partie la direction de ce processus entre les mains de
l’État, des gouvernements et des Parlements élus
démocratiquement, et pire encore, qui consultent les mouvements
sociaux dans la direction à suivre et paraissent déterminés à ce
que Notre Amérique soit per secula seculorum une région de paix,
dialogue, équité économique, justice sociale, solidarité et
amitié entre des peuples frères.
La
première réaction basique fut qu’avec sa déclaration, Santos a
confirmé les ingérences et les plans subversifs des USA et de la
Colombie envers le Venezuela dénoncées récemment par le
gouvernement du Président Nicolás Maduro. Et aussi que le
marionnettiste connu de Washington bouge à nouveau les fils de
l’agitation des forces réactionnaires pour délégitimer et
renverser des gouvernements élus démocratiquement, comme c’est le
cas pour le gouvernement de Nicolás Maduro au Vénézuéla, de celui
de Cristina Fernández en Argentine ou d’Evo Morales en Bolivie.
De
même se renforce, avec la déclaration de Santos, ce que beaucoup
soupçonnaient, à savoir que les « tenailles » impériales sont
en marche pour créer les conditions « légales » (dans les
Cours suprêmes, par exemple), afin que continuent les campagnes
médiatiques et politiques pour semer la confusion, déstabiliser les
sociétés et faire reculer les avancées obtenues dans beaucoup de
nos pays, comme par exemple au Salvador.
Et
c’est dans ce contexte que Santos veut formaliser une collaboration
que le gouvernement et les militaires de son pays ont depuis des
décennies avec les USA et plusieurs pays clef de la politique
impériale, qui font partie de ce bloc militaire en étant ou pas
dans l’OTAN, comme Israël, par exemple. Surtout je m’ en remets
à l’analyse révélatrice sur les implications géopolitiques de
la décision du gouvernement colombien faite par le docteur Atilio
Borón [1], qui en même temps nous fait voir l’autre éléphant
avec lequel nous coexistons dans le salon depuis 15 années :
"Jusqu’à
présent le seul pays de l’Amérique latine « allié extra OTAN »
était l’Argentine, qui a obtenu ce statut déshonorant durant les
néfastes années Menem, et plus précisément en 1998, après avoir
pris part à la Première Guerre du Golfe (1991-1992) et accepter
toutes les exigences imposées par Washington dans de nombreux
secteurs de la politique publique, comme par exemple démonter le
projet du missile Condor et geler le programme nucléaire qui pendant
des décennies s’était développé en Argentine. Deux attentats
gravissimes ont fait un peu plus d’une centaine de morts – dans
l’Ambassade d’Israël et à l’AMIA- ce fut le solde laissé en
Argentine à titre de représailles pour avoir intégré
l’organisation terroriste nord-Atlantique."
L’ « arrière cour » de l’OTAN ?
En
ce qui me concerne je vois que cette déclaration de Santos fut faite
alors qu’ à La Havane à Cuba, son gouvernement négocie des
accords avec les guérillas des FARC pour mettre fin à quelques
aspects de la violence politique, économique et sociale qui depuis
un plus demi - siècle marque la tragique histoire de la Colombie.
Aussi
au moment où on annonce que l’Union des Nations Sudaméricaines
(Unasur) élabore une doctrine militaire du Continent qui cherche
précisément à libérer les Forces Armées de l’Unasur de la
domination exercée sur elles par les USA tout au long des six
dernières décennies, et dont le résultat fut l’histoire
antidémocratique et sanglante dont ont souffert la majorité de nos
pays.
Pour
tout ceci, et ce qui m’échappe, il n’est pas possible d’éviter
de voir un « caractère subversif » dans la position de Santos, ni
non plus de craindre la résurgence à l’échelle sudaméricaine
des politiques qui ont amené des conflits frontaliers entre des pays
frères, à l’établissement de bases militaires et aux courses à
l’armement. Et à convertir les Forces Armées en arbitre et option
de pouvoir quand on activera les forces réactionnaires dirigées par
les oligarchies locales pour retourner les changements effectués
démocratiquement par l’intermédiaire de la politique et qui
favorisent les secteurs populaires.
Pour
cela même il me semble qu’il y a beaucoup d’aspects à étudier
à partir de l’intention de la Colombie de s’intégrer à l’OTAN,
parce que n’est pas neutre la manière dont va être assurée cette
participation, c’est difficile de penser qu’elle sera passive,
compte tenu de l’histoire extrêmement violente qui caractérise
les militaires et les groupes de pouvoir dans ce pays, mais aussi de
la voracité que les intérêts monopolistiques et transnationaux ont
sur les ressources naturelles de la Colombie et la région, qui outre
des hydrocarbures – ce qui serait suffisant pour réveiller les
instincts de rapine impériale- dispose en abondance de l’eau
douce, des métaux précieux, terres arables, etcetera.
Un OTAN à « géographie et appartenance variable »
Rappelons
que dans le nord de notre hémisphère nous avons en « résidence
permanente » deux membres fondateurs de l’OTAN (USA et le Canada),
qui ont été exclus de la Celac mais qui, pour pouvoir continuer à
avoir une certaine influence sur nous, ne laisseront pas couler
l’OEA, cet ancien « ministère des colonies ».
Nous
coexistons aussi avec deux autres puissances de l’OTAN. La France –
qui a transformé ses colonies de Guadeloupe, Martinique et la
Guayane française en « territoires d’outre-mer » -, et la
Grande-Bretagne avec son occupation illégale du territoire argentin
des Îles Malouines, où elle dispose d’une base militaire.
Importante donnée, ces deux ex puissances impériales cultivent à
nouveau leur longue tradition en matière « de se partager le monde
», comme le démontre l’irrésistible tendance qui les pousse à
intervenir militairement de manière directe et indirecte au
Moyen-Orient et en Afrique comme en : Libye, Syrie, Mali, et avec la
perspective de s’étendre à l’Iran.
Autant
dire que c’est un sinistre bobard que l’OTAN a une « zone
géographique » spécifique pour ses membres ou interventions
militaires conjointes. Par force, il l’a eue pendant l’existence
de l’Union Soviétique, pour des raisons de stratégie militaire,
et parce qu’il n’y avait pas d’autre option que s’adapter à
la corrélation de forces d’un monde bipolaire. Depuis deux
décennies la réalité montre que le secteur d’intervention de ce
bloc militaire agressif de l’impérialisme est à « géographie et
appartenance variable », ce qui lui permet de s’immiscer et d’agir
où et comme il veut, avec qui se laisse inciter, mais pour protéger
toujours ses intérêts et s’approprier ce qui est étranger.
OTAN-TPP, même combat et mêmes objectifs.
L’adhésion
de la Colombie à l’OTAN, que le Président Santos le pense ainsi
ou non, terminera en étant un bras des tenailles qui ont mis en
marche l’empire. L’autre bras est la négociation pour incorporer
à la Colombie, Pérou, Chili et Mexique à l’Accord Stratégique
Trans-Pacífique d’Association Économique (TPP, son sigle en
Anglais).
Kintto
Lucas, Ambassadeur Itinérant de l’Uruguay pour l’ Unasur, la
Celac, l’Alba et l’Intégration [2], souligne l’importance de
l’Unasur comme « un bloc qui au-delà des différences politiques
ou économiques des pays l’intègrent, a obtenu d’avancer comme
un espace d’accords et d’entendements depuis la diversité et a
produit un processus intégrateur différent », et qu’il s’agit
de la « proposition la plus importante d’intégration de toute
l’Amérique du Sud » parce que les précédentes – comme le
Mercosur « ont été conditionnés par le libre-échange, parce
qu’ils pariaient sur cela, non sur l’intégration ».
Sur
la Communauté d’États Latinoamericains et des Caraïbes (Celac),
l’Ambassadeur Lucas écrit que « il est apparu avec la nécessité
de consolider le vaste espace qui promeut un processus intégrateur
depuis la pluralité latinoamericaine, depuis des processus plus
divers et complexes, mais sans la tutelle des Etats-Unis », et que
l’Alliance Bolivarienne pour les Peuples de Notre Amérique (Alba),
« est apparue comme une proposition face à une autre tentative
d’imposition US comme l’ALCA ».
Et
il souligne que « le plus grand ennemi de l’intégration est le
modèle de développement () pour le moment hégémonique (qui) parie
sur le mauvais libre-échange, où ceux qui dirigent le marché
finissent par être les grandes groupes, la politique commerciale se
base sur des traités de libre-échange avec les grandes puissances,
des traités néocoloniaux qui vont contre l’intégration et la
politique économique favorise la spéculation financière, les
importations et la consommation. »
Pour
tout cela, nous devons analyser la déclaration de Santos sur l’OTAN
et la négociation de ces quatre pays pour intégrer le TPP dans le
vaste contexte des « tenailles » d’un impérialisme qui dans son
étape d’« hégémonie exploitante » a besoin d’intégrer ces
pays importants à un Accord qui a pour but la domination US sur
toute la région du Pacifique, donnant ainsi l’occasion de
reconquérir une grande partie ou la totalité « de l’ arrière
cour » des Etats-Unis , notre région, dont a parlé récemment, et
avec tant de tact, le Secrétaire d’État John Kerry.
Les
Etats-Unis ne sont pas seules sur ce plan. Le gouvernement
Conservateur canadien du premier ministre Stephen Harper n’a pas
accepté non plus la défaite de l’ALCA (Accord de Libre-échange
des Amériques), ce qui explique les agendas subversifs de Ottawa et
de Washington envers les gouvernements latinoaméricains qui
cherchent à sauver leur souveraineté, comme ce fut évident dans le
coup d’État contre le Président Manuel Zelaya au Honduras, et
dans les actions subversives contre les politiques de sauvetage de
souveraineté socio-économique des gouvernements du Venezuela,
Équateur et Bolivie, par exemple.
Le
Canada, il convient de le rappeler, est le pays d’où beaucoup de
multinationales du secteur extractif (minières, pétrolières,
entreprises d’oléoducs, etcetera) opèrent, et de manière
croissante les entreprises du secteur financier (banques et groupes
privées d’investissements, compagnies d’assurances, etcetera)
présentes en Amérique Latine et aux Caraïbes. Après avoir été
un pays avec un important secteur industriel – qui n’a pas
survécu à l’Accord de Libre-échange avec les Etats-Unis. -, le
Canada s’est transformé dans un pays dont les grandes entreprises
cotées en bourse et par conséquent propriété de l’oligarchie
financière globale, dépendent presque exclusivement de l’extraction
de revenus à l’extérieur du Canada, mais il faut le rappeler,
l’éducation pour jouer ce rôle a commencé il y a bien des
décennies, d’abord dans les pays des Caraïbes (avec les banques)
et ensuite au Brésil (industrie minière, génération électrique,
etcetera) et au Mexique (pétrole).
Ce
n’est pas un secret à Ottawa que le gouvernement Conservateur
défend bec et ongles les intérêts de ces multinationales minières
qui provoquent de véritables catastrophes sociales et écologiques
dans des pays latinoaméricains - Guatemala, Chili, Pérou et
Honduras, notamment, et aussi en Europe, Afrique et Asie.
Or,
si on réfléchit un peu sur les objectifs du TPP, comme nous l’avons
fait dans « Automne de l’empire et du capitalisme », il est
évident que le principal objectif de cet Accord (qui ne sera pas un
Traité pour éviter d’être examiné point par point, analysé et
soumis à débat et vote dans les Parlements) est d’imposer cette «
hégémonie exploitante » de l’impérialisme US à toute la région
du Pacifique avec l’objectif évident d’empêcher que s’étende
le (jusqu’à présent) réussi modèle chinois de régulation
capitaliste par l’interventionnisme et la planification de l’Etat.
Concernant
l’Amérique Latine, le TPP a pour but de dissoudre le modèle de
développement que l’Ambassadeur Lucas définit comme « plus
souverain, lié à la production nationale, avec l’idée de changer
la matrice productive et de cesser d’être seulement des pays
exportateurs primaires, avec une vision depuis le sud, depuis nos
pays ».
Finalement,
et pour ne pas négliger un autre acteur important de la rapine
néolibérale et partenaire de l’OTAN, soit les principaux pays de
l’Union Européenne, il faut souligner que même en jouant bande à
part – avec la proposition d’un accord de libre-échange entre
l’UE et les pays de la Celac-, sur la question de fond, ils ont une
convergence totale avec les Etats-Unis, parce que la seule
possibilité de concrétiser leur ambitieux projet est en réimposant
dans notre région le néolibéralisme à outrance – le
néolibéralisme dans le style de la prison de Guantánamo, avec «
camisole de force » et fers au pieds.
TPP et « hégémonie exploitante ».
Le
TPP n’appartient pas à la catégorie des accords de libre-échange
du passé. En tant que pièce fondamentale de l’« hégémonie
exploitante » il s’agit d’une version rigide, extrêmement
contreignante et institutionnalisée du « commerce administré »
entre des pays asymétriques, et au service exclusif des intérêts
des monopoles et des multinationales du pays dominant. En somme,
la puissance impériale dominant des pays dépouillés de leurs
souverainetés et réduits à la catégorie de « marchés ». Ces
pays devenus « marchés » sont appelés à fournir leurs ressources
naturelles, leur intelligence collective transformée en main-d’œuvre
bon marché, leurs marchés de consommation intérieure, tout
absolument tout.
Ils
devront aussi se défaire de toute intention fiscale qui
affecteraient ces monopoles et multinationales -la charge fiscale
retombera avec une double force sur la population locale laborieuse-
, de toute intention de justice sociale -les syndicats qui défendent
les travailleurs et les mouvements sociaux qui défendent
l’environnement ne seront pas de la partie-, et dans un esprit de
générosité ils devront prendre en charge les éventuelles
conséquences environnementales et sociales de l’action prédatrice
de ces monopoles et multinationales.
Un
commerce administré, mais non par les États et au bénéfice de
l’emploi, des entreprises nationales ou du développement
économique du pays. Nous ne devons jamais oublier que même en étant
moins restrictif et exploiteur que le TPP, le Traité de
libre-échange d’Amérique du Nord (TLCAN, EE.UU., le Canada et le
Mexique), n’a jamais favorisé le Mexique, le pays avec un moindre
développement. Ceci est valable pour les autres pays
latinoamericains et les Caraïbes qui ont signé des accords de
libre-échange avec des puissances industrielles.
L’époque du « tigre » mexicain.
Pendant
la négociation du TLCAN, au début des années 90, les « experts »
et les ministres du Mexique, USA et Canada nous disaient à nous
journalistes et analystes économiques qui nous couvrions les
négociations, lors de réunions publiques et privées, d’entrevues
et séminaires, mais toujours avec ce sérieux et calme qui n’admet
pas le moindre doute, que le Mexique « sera le principal gagnant »,
qui « décolérait » et serait un « tigre » comme les tigres
naissants de l’Asie, comme la Corée du Sud, Hong Kong ou Taïwan.
Du « dragon » chinois qui était en gestation, on ne parlait pas
encore.
Les
chroniqueurs et les « analystes » des pages financières respectées
matraquèrent avec insistance qu’avec le TLCAN les mexicains
auraient de meilleurs salaires et des emplois plus sûrs, et que le
destin du Mexique était celui de devenir la « locomotive » de
toute l’Amérique Latine.
Mes
nombreux doutes -comme analyste et correspondant de Notimex à une
époque où nous avions accès aux documents et aux négociateurs,
chose qui s’est éteinte peu de temps après- exprimées dans des
dialogues et questions concrètes à Jaime Serra Puche, à Ángel
Gurría et autres ministres et fonctionnaires mexicains impliqués
directement dans les négociations, et à leurs contreparties
usaméricaines et canadiennes, n’avaient pas la moindre place dans
le triomphalisme de cette époque.
Une
décennie plus tard, au début du millénaire, la Corée du Sud et la
Chine « attardée » se sont ensuite mise à se transformer en
puissances économiques régionales, et mondiales. Leurs niveaux
d’éducation et de développement social avaient germé 20 années
auparavant. Les ingénieurs et les fonctionnaires étaient formés,
l’ordre social garantissait une force de travail disciplinée et
apte pour les tâches à venir.
Pendant
ce temps, et après presque 20 an de libre-échange avec le voisin US
qui était rien de moins que la locomotive de la demande mondiale, le
Mexique est encore un pays avec peu de développement industriel
propre.
La
Corée du Sud, pour citer un exemple, inonde depuis des années les
marchés mondiaux avec ses produits électroniques et ses voitures.
Les marques LG, Samsung et Daewoo, ou Kia et Hyundai, sont
omniprésentes dans tous les pays latinoamericains.
Parfois
j’aimerais demander maintenant à ces (ex) ministres mexicains qui
ont négocié en TLCAN sur quels marchés sont les produits
industriels conçus et fabriqués par des industries mexicaines qui
peuvent concurrencer avec les entreprises sud-coréennes, taïwanaises
ou chinoises.
Le monde à l’inverse des asiatiques.
Le
TLCAN, comme nous étions beaucoup à le penser, n’a pas permis non
plus au Mexique de résoudre les graves problèmes sociaux et
économiques de base, parmi eux la pauvreté, l’éducation,
etcetera. Par expérience et avec peine je ne peux cesser de penser
que l’entrée du Mexique dans le TPP accentuera cette baisse.
Le
relatif succès de la Corée du Sud et de la Chine, et auparavant du
Japon, en réalité se doit au fait qu’au-delà des différences
politiques énormes, ces pays asiatiques partagent une conviction
millénaire que l’État et l’organisation sociale doivent primer
sur l’économie, quelque chose qui est un anathème au
néolibéralisme dominant depuis plus de trois décennies dans le
monde occidental.
On
peut dire que dans la pratique, sans cocorico sur les toits et
toujours avec ces respectueux usages asiatiques, ces pays n’ont
jamais appliqué ou investi les principes du mode d’opération
néolibéral, qui consiste à vidanger et à paralyser l’État, ses
institutions et le système politique avec la camisole de force des
règles et des institutions du « système de droit international »
confectionné pour favoriser les monopoles et multinationales.
Comme
indiquaient les sociologues Giovanni Arrighi et Beverly J. Silver [3]
il y a un certain temps, c’était perceptible que les
multinationales implantées dans ces pays ne sont pas nécessairement
partie intégrante ou répondent comme il se doit aux nécessités du
système impérial, et qui peut-être et sans le savoir sont entrain
de servir les stratégies de ces puissances émergentes et
concurrentes. TPP dans le style de la prison de Guantánamo, avec «
camisole de force » et fers aux pieds.
C’est
pourquoi le Président Barack Obama, qui sans doute de manière
consciente a assumé la tâche de diriger cette « hégémonie
d’exploitation », a promu l’extension du TPP et une
conception qui ne laisse aucune fuite possible à la rapine rentière
de l’empire, parce qu’elle inhabilite ou élimine les instruments
que les États et les sociétés ont à leur disposition pour exercer
leur souveraineté dans des sphères d’importance vitale, depuis
l’économie et le bien-être social jusqu’à la protection de
l’environnement.
C’est, en définitive, la version la plus
radicale et agressive du système néolibéral utopique (qui est
dystopique dans son résultat), parce que son objectif est
d’empêcher que n’importe quel gouvernement signataire, sauf
celui des Etats-Unis -qui comme on le sait très bien applique
seulement sa Constitution, qui l’empêche d’être subordonnée à
des décisions ou des règles d’autres juridictions, étrangères
ou internationales, mais promeut le droit d’appliquer
extra-territorialement ses lois-, puisse prendre des mesures de
défense envers les entreprises des pays membres pour protéger
l’environnement, les secteurs économiques et les entreprises
locales. Ou changer ses politiques fiscales ou monétaires pour
protéger l’emploi ou la société en général, par exemple.
En
définitive, le TPP est la soumission au dictat impérial, aux lois
US, ce qui dans la pratique amènera – par exemple- à ce que les
pays signataires soient pressés ou obligés de modifier leurs lois
et constitutions de manière à permettre tout ce que ces monopoles
et multinationales demandent.
Et
la liste des désirs est infinie, comme les angoisses d’accumulation
de la ploutocratie qui domine : droit d’exploitation des ressources
énergétiques conventionnelles et du gaz ou le pétrole de schiste ;
exploitation à ciel ouvert des minéraux ; privatisation de l’eau
ou son contrôle sous des droits d’extraction ; réduire à un
minimum les exigences, démarches et évaluations des effets sur
l’environnement dans des projets extractifs – y compris la
construction de routes, oléoducs, gazoducs, réservoirs et ports,
dans les projets industriels à haut risque ou dans les exploitations
agricoles qui utilisent des semences et animaux génétiquement
modifiés, et les produits chimiques conséquents à haut risque pour
l’environnement et la santé humaine, et un très long etcetera.
Pour finir, c’est la consécration du « royaume de la liberté »
pour les entreprises monopolistiques et multinationales.
Au
chapitre de la « protection à la propriété intellectuelle »,
un terrain chaque jour plus important dans le système impérial basé
sur l’extraction des revenus, les pays signataires seront les
veilleurs et les exécuteurs du respect de ces règles, qui dans la
pratique impliquent non seulement une coûteuse dépendance, une
possible interdiction – comme quand les USA impose des sanctions
commerciales, comme avec Cuba et l’Iran, et dans tous les cas
l’engourdissement, l’empêchement et l’enchérissement du
développement scientifique et industriel national.
La
gravité de l’extension des droits de propriété intellectuelle,
qui est arrivée au vivant, au génome humain, aux génomes de tout
ce qui est vivant, animal ou végétal, est bien encadré dans le
cas de l’entreprise US « Myriad Genetics », qui a breveté deux
gènes marqueurs du cancer du sein, comme le souligne
l’économiste Joseph Stiglitz dans son article « Vies vs.
Bénéfices » (6 mai 2013, Project Syndicate), et dans les brevets
de semences et maintenant d’animaux génétiquement modifiés de
Monsanto et d’autres entreprise, ainsi que dans les produits
pharmaceutiques (voir aussi de Joseph E. Stiglitz et Arjun Jayadev «
La sage décision de l’Inde », Project Syndicate de du 8 avril
passé).
Regardons vers le passé pour mesurer le recul.
Pour
voir la portée du TPP , cela vaut la peine de rappeler que dans
l’Accord de Libre-échange que le Canada a signé avec les USA en
1987, qui a servi de modèle pour la vague ultérieure de
libéralisation commerciale, il fut possible pour le partenaire plus
petit, le Canada, après des négociations difficiles, de se protéger
de l’application de cet Accord -exclusion médiante- des secteurs
d’intérêt public (éducation et santé, les contrats, achats et
appels d’offres pour des travaux d’infrastructure des services
publics fédéraux, provinciaux et municipaux) ou productifs (secteur
laitier et élevage avicole ; la production et la commercialisation
de céréales). Il y a longtemps que ceci a cessé d’être le cas,
maintenant les exclusions sont presque impossibles, et le seront
encore plus avec le TPP.
Sous
le TPP les monopoles et transnationales des USA pourront exercer une
surveillance totale des marchés et entreprendre des litiges coûteux
– contre l’État signataire, entreprises ou individus locaux, et
dans tous les domaines imaginables, depuis les subventions et les
restrictions nationales (régionales ?) jusqu’à la propriété
intellectuelle, en passant par la composition d’origine de ces
produits, etcetera. Des litiges qui seront résolus par des «
arbitres » désignés par les parties, mais qui dans leur majorité
proviennent, comme cela fut constaté dans les litiges bilatéraux -
USA et le Canada, de sphères influencées ou directement au service
des sociétés multinationales d’ avocats et d’experts créées
aux USA, au Canada et dans les principaux pays européens pour
trancher en leur faveur en matière de droit commercial international
dans tout les coin du globe.
Ce
n’est pas difficile, pour celui qui a couvert certains de ces
litiges et négociations commerciaux, d’imaginer à quel point il
sera conflictuel et épuisant pour le futur de l’intégration
sudaméricaine d’avoir en son sein plusieurs pays qui répondront
d’abord aux règles du TPP. Le commerce intra-régional pourra
souffrir des plaintes et des litiges que les multinationales
présenteront contre les « subventions » qui rendent compétitifs
les produits finaux ou composants d’importation provenant
d’entreprises qui utilisent les mécanismes régionaux, ou des pays
voisins qui ont des politiques de stimulation fiscale ou économiques
à un niveau national ou régional, comme est le cas avec le pétrole
vénézuélien.
Comment
éviter des litiges et des conflits entre des pays voisins quand
s’appliqueront, avec une main de fer, les règles sur les contenus
d’origine ou de la propriété intellectuelle dans le commerce
informel qui caractérise de vastes régions frontalières ? Quelle
sera la réaction des exploitations extractives permises dans le
cadre du TPP qui ont de graves effets environnementaux sur les
populations et l’environnement des pays voisins ? Comment empêcher
que la corruption, les magouilles, l’exploitation et la violence
qui marqueront cette utopie finale du néolibéralisme au-delà des
frontières nationales, n’atteignent pas les instances régionales
? Comment penser que la Colombie, le Pérou et le Chili peuvent avoir
et opérer simultanément deux politiques économiques opposées ?
Une grande partie de tout ceci est valable pour le reste des pays qui
ne sont pas dans le TPP mais devront coexister et respecter les
règles du TPP dans leur commerce avec les pays voisins.
Qu’est-ce
qu’arrivera quand les politiques commerciales, d’investissements
et de propriété intellectuelle basées sur l’échange équitable
et solidaire entre les pays de la région devront coexister avec les
politiques totalement opposées, basées sur l’extraction de
rentes, du TPP ? Est –ce possible ou souhaitable ?
Comment
les pays membres du TPP traiteront-ils les investissements intra
régionaux dans des secteurs énergétiques, dans des transports ou
dans des services financiers pour la promotion agroindustrielle, par
exemple, qui confèrent des avantages aux pays membres ?
Pour
tout ceci, c’est logique de déduire que le TPP a été conçu
comme l’antidote contre ce qui constitue le succès des principales
économies émergentes, où les États planifient ou conservent un
rôle gestionnaire dans la direction des affaires économiques et
sociales.
La
conclusion est qu’une présence tellement importante du TPP en
Amérique Latine –Mexique, Colombie, Pérou et Chili servira à
l’empire de plate-forme pour miner les efforts d’intégration
régionale, créer des constants, coûteux et épuisants conflits
commerciaux et économiques.
Les
USA et le Canada n’ont jamais abandonné l’idée d’une Amérique
du Sud dominée par le néolibéralisme, et c’est évident qu’ils
jouent maintenant avec les alliés dont ils disposent dans la région
pour empêcher concrètement une intégration régionale qui s’écarte
des principes néolibéraux. Mais une chose est de vouloir et l’autre
est de pouvoir. Récemment, comme avec l’ALCA, le destin de la
région dépend de la détermination, de la mobilisation des peuples
et des gouvernements latinoamericains.
Alberto
Rabilotta, Montreal, Canadá.
Traduit
de l’espagnol pour El
Correo par : Estelle et Carlos Debiasi
Notes
*
Alberto Rabilotta est journaliste argentin depuis 1967. Au Mexique
por la « Milenio Diario de Mexico » Correspondant de Prensa Latina
au Canada (1974). Directeur de Prensa Latina Canada, pour l’Amérique
du Nord (1975-1986) Mexique, USA, Canda. Correspondant de l’Agencia
de Services Spéciaux d’Information, ALASEI, (1987-1990).
Correspondant de l’Agencia de Noticias de México, NOTIMEX au
Canada (1990-2009. Editorialiste sous de pseudonymes -Rodolfo Ara et
Rocco Marotta- pour « Milenio Diario de Mexico » (2000-2010,
Collaborateur d’ALAI, PL, El Correo, El Independiente et d’autres
medias depuis 2009.
[1]
Atilio Borón, « Implicaciones geopolíticas del ingreso de
Colombia a la OTAN »
[2]
Kintto Lucas, « De la integración a la independencia »
[3]
« Caos y orden en el sistema-mundo moderno », Giovanni Arrighi y
Beverly J. Silver, edición Akal, páginas 284-85. - Chaos and
Governance in the Modern World System - Caos e governo del mondo.
Come cambiano le egemonie e gli equilibri planetari
Commentaires
Enregistrer un commentaire