Brésil : Un front anti-capitaliste pour avancer, un front anti-fasciste pour ne pas reculer
Une analyse qui par bien des points pourrait s'appliquer à la France
Communiqué
du Parti communiste brésilien (PCB)
Le
parti-pris des gouvernements du PT de l'institutionnalisme bourgeois
et du « néo-développementalisme » capitaliste est le principal
responsable de l'explosion d'indignation de couches hétérogènes de
la société brésilienne.
Le
parti-pris d'alliances avec la droite pour s'assurer de la
gouvernance du pays fait du gouvernement l'otage de ces forces
conservatrices, conduisant à ce que, en dix ans, pas la moindre
mesure ne serait-ce que de nature socialisante ne fût prise. Au
contraire, la fraction PT du gouvernement fut à l'avant-garde de
mesures de nature anti-populaire, contre les travailleurs.
Les
résultats en sont le retour des privatisations à grande échelle,
la réforme des retraites et l'obligation d'une retraite
complémentaire pour les fonctionnaires (FUNPRESP), la généralisation
des partenariats public-privés, la concession de nos réserves de
pétrole, le choix de l'agro-business – au détriment de la réforme
agraire et de l'agriculture familiale –, pour le système financier
et les grandes monopoles, les exonérations fiscales pour le capital
et la précarisation du travail (créant plus d'emplois mais de
moindre qualité), la politique d'austérité budgétaire conduisant
à l'abandon des services publics, l'endettement croissant des
familles, l'absence de perspective pour la jeunesse, le discrédit de
la politique et des partis politiques.
En
dix années de gouvernement, à aucun moment les travailleurs ne
furent appelés à agir de façon indépendante et autonome pour
changer le rapport de forces en faveur de mesures de nature
populaire et pour la défense de leurs droits, pourtant attaqués par
l'offensive du capital et par la contre-réforme de l'Etat, sous
direction du PT, qui a imposé la cooptation et l'apathie de la
majorité des mouvements sociaux.
A
un peu plus d'un an de la fin du gouvernement Dilma, et après avoir
perdu contact avec la rue en échange de places dans les bureaux,
nous voyons l'effort tardif et désespéré des groupes qui le
soutiennent, brandissant à la hâte de timides bannières
réformistes abandonnées dès le premier mandat de Lula. Cet effort
s’effectue désormais dans une conjoncture défavorable pour rompre
l'alliance avec la droite modérée et dépasser la politique
économique de la continuité néo-libérale.
Le
mouvement de rue, qui a commencé sous initiative populaire, est
aujourd'hui tiraillé, la droite essayant de récupérer et
folkloriser le mouvement, le canalisant vers ses objectifs ; c'est
une tactique récurrente des classes dominantes, qui récupèrent les
mouvements lancés par la gauche pour les mener vers un pacte entre
élites, ce fut le cas des « Diretas Ja ! » [NdT : « des
élections maintenant », les grandes manifestations de 1984 contre
la dictature militaire] et de « Fora Collor » [NdT : « Collor,
dégage », les grandes manifestations de 1992 contre le président
de droite Fernando Collor, trempé dans de grands scandales de
corruption].
S'appuyant
sur la légitime indignation de la population vis-à-vis de ce
gouvernement, les partis de leur base de soutien et les autres partis
de l'ordre, qui manipulent les demandes populaires et des
travailleurs à des fins électorales, pour ensuite tourner le dos à
leurs revendications, la droite la plus idéologique et
réactionnaire, qui ne fut pas intégrée à la machine
gouvernementale PT, se travestissent en mouvement anti-parti et joue
avec les masses désorganisées et aliénées par les médias contre
la gauche socialiste, attisant le désordre pour, par la suite,
exiger l'ordre.
Il
s'agit de porter dans la rue la vraie gauche et ses propositions
révolutionnaires pour, ainsi, s'emparer de la force des
manifestations et ne pas avoir le contre-point organisé et populaire
d'aventures déstabilisatrices, qui comptent sur le soutien
logistique et la bienveillance de leurs collègues en uniforme
pendant leur service.
En
ce moment, l'hégémonie du mouvement se trouve dans le camp
moraliste, anti-parti et populiste (nacionaleiro) de la classe
moyenne, avec des mots d'ordres vagues et sectoriels. S'ajoute à
cela la compréhensible explosion des couches de la population rendus
jusque-là invisibles par le discours d'auto-glorification chauvine
(ufanismo) du gouvernement : des individus qui, dans leur majorité,
viennent de quartiers ouvriers, las des accrochages avec la police.
Ils se servent du désordre pour prendre possession des biens de
consommation qu'ils convoitent dans les publicités, mais qu'ils ne
peuvent acheter.
Les
forces fascistes, réduites en nombre, mais avec le soutien des
grands médias à leur discours chauvin et anti-parti, profitent de
cette tendance pour tenter de conduire le mouvement vers une certaine
forme de coup d'Etat institutionnel « de masses » et dans le
cadre de l'ordre légal, laissé intact par les gouvernements PT.
Comme les coups d'Etat avec les tanks dans la rue ne sont plus
d'actualité, ils pourront s'essayer soit aux menées putschistes au
parlement ou dans les tribunaux, soit d'accumuler des forces pour
gagner les élections de 2014.
Ce
qui peut interpeller, c'est la facilité avec laquelle les
participants aux manifestations, aucun d'entre eux membres
d'organisations de gauche, ont attaqué et occupé symboliquement
l'Assemblée législatives de Rio de Janeiro et, à Brasilia, le
Palais Itamaraty et la coupole du Congrès national. Ces
affrontements se produisent, dans la majorité des cas, entre la
police en uniforme et la police en civil, y compris les groupes
para-militaires et organisations fascistes.
D'ores
et déjà, les organisations de droite appellent à se rassembler
autour de la lutte contre la corruption et pour la restauration de
l'ordre, rompu par le désordre qu'ils ont eux-mêmes provoqué. Il
est nécessaire de rappeler que la corruption est inhérente au
capitalisme et que, ironiquement, le drapeau de la « lutte contre la
corruption » avait déjà servi à la droite pour l'élection de
Fernando Collor et à la fausse gauche dans les vieux discours du PT.
Les
secteurs de masse qui ont manifesté une hostilité envers les partis
de gauche ne perçoivent pas la différence entre ces organisations
et les partis sans visage qui les mènent et qui devraient être
l'objet de la révolte populaire, ceux qui agressent physiquement les
partis de gauche sont les para-militaires, et non les manifestants.
L'hostilité
contre les partis de gauche est renforcée également par la profonde
dépolitisation et le conservatisme d'un nouveau sens commun qui,
tout en se soulevant contre les effets les plus évidents de l'ordre
capitaliste en crise, se montre incapable de voir les déterminations
les plus profondes de cette crise, liés au fonctionnement même du
système. Le sens commun conservateur empêche que l'on perçoive
l'actualité et la nécessité d'une lutte anti-capitaliste qui donne
le cap d'une alternative socialiste et révolutionnaire, faisant en
sorte que les personnes tombent dans le mouvement pour le mouvement,
sans horizons définis, ce qui a conduit à une impasse les
manifestations similaires des indignés en Europe ou Occupy aux
Etats-unis.
L'
« œuf du serpent » acquiert de la visibilité. Derrière ce
mouvement, se trouvent également des militaires de droite mécontents
du cap de la Commission Vérité, l'Opus Dei préoccupée de
l'avènement du nouveau pape et un conservatisme religieux qui désire
profiter de la situation pour revenir sur les acquis des luttes
contre les discriminations.
Cette
droite est si conservatrice et pro-impérialiste qu'elle n'accepte ni
d'envoyer au gouvernement des forces réformistes qui agissent à
leur service, mettant leurs compétences au profit d'agents suscitant
l'apathie des travailleurs. Il peut y avoir, par conséquent, des
divergences au sein des classes dominantes entre ceux qui, avec
lucidité, se sentent à l'aise avec les gouvernements PT et ceux qui
veulent prendre le pouvoir, à leur propre compte.
Les
forces de droite peuvent tirer profit de la conjoncture défavorable
née en Amérique latine après la mort de Chavez, des liens entre
Colombie et OTAN, du coup d'Etat au Paraguay, tout comme de la vague
de manifestations très différentes qui déferlent sur le monde,
pour en finir avec le soutien au réformisme et pour prendre le
pouvoir directement, afin de restreindre encore plus la déjà
restreinte démocratie bourgeoise et imposer la barbarie d'un
capitalisme sans intermédiaires ni politiques compensatoires,
intensifiant l'exploitation capitaliste.
Avec
l'aggravation de la crise du capitalisme, l'impérialisme peut
chercher à se détacher de l'alliance tacite avec les réformistes
et en finir avec la co-existence jusqu'alors consentie. Ce n'est
pas un hasard si la nouvelle ambassadrice nord-américaine nommée au
Brésil est liée au sionisme, à l'USAID et au Pentagone, qu'elle
fut ambassadrice au Nicaragua pendant la lutte contre les
sandinistes, en Colombie au cœur de l'offensive d'Uribe contre la
rébellion et le mouvement populaire, et en Bolivie pendant la
tentative séparatiste et de déstabilisation du gouvernement Evo
Morales.
Il
faut que le mouvement à partir de maintenant sépare les actes
convoqués par le camp populaire et ceux convoqués par la droite,
de préférence dans des espaces, des dates et des trajets
différents. Les fronts avec les forces populaires et de la gauche
socialiste devront être forgés dans la lutte et en articulation à
partir d'espaces communs de lutte, dans les communes et les régions,
comme condition pour de possibles convergences unitaires nationales.
Le
PCB réaffirme sa ligne stratégique basée sur la caractère
socialiste de la révolution brésilienne et son opposition de gauche
au gouvernement PT qui n'est même plus réformiste, mais otage de la
droite et au service du capital. Face aux attaques des secteurs
putschistes les plus à droite, serrons les rangs au côté des
travailleurs contre notre ennemi commun.
Nous
n'apporterons aucun soutien à quelque tentative que ce soit de
sauver le gouvernement Dilma et réaffirmons qu'il porte une lourde
responsabilité dans l'existence des manifestations et leur glissage
vers la droite, étant donné que le gouvernement ne s'est penché à
aucun moment sur un véritable changement par rapport à sa politique
d'alliance avec la bourgeoisie. Au contraire, on voit se renforcer
les appels à l' « ordre » et au « calme » et la proposition d' «
union nationale » a été lancé, avec la convocation d'une réunion
avec les gouverneurs et les préfets, des initiatives
gouvernementales qui ne visent qu'à préserver le status quo
politique en dégénérescence.
En
guise de recul déguisé, l'autre solution avancée pour arrêter le
mouvement d'indignation à l'origine de la révolte – le prix des
billets de bus – ne fait que proposer de nouveau le même principe
qui fait avancer le gouvernement : augmenter les subventions aux
entreprises, détournant les fonds publics vers le profit privé. De
telles mesures sont annoncées de façon honteuse lors d'apparitions
télévisées qui réunissent PT et PSDB afin que, dans le cadre du
mono-partisme bi-céphale dominant jusqu'alors au Brésil, tout le
monde apparaisse sur la photo en vue des prochaines élections.
Notre
éventuelle participation unitaire dans un front anti-fasciste
conjoncturel se fera avec notre identité propre, en jetant la
responsabilité du gouvernement dans les périls fascistes, en posant
nos critiques et nos propositions tactiques et stratégiques. Ceux
qui doivent être protégés ne sont pas le gouvernement mais les
travailleurs, face au risque de recul suscité par l'impasse
politique d'une coalition de forces qui les a désarmé contre leurs
réels ennemis, en s'alliant avec eux dans l'illusion d'un
développement capitaliste qui devait réaliser l'impossible :
répondre aux demandes de tous (bourgeoisie et travailleurs).
En
dépit de l'actuelle hégémonie conservatrice sur le mouvement, la
question est loin d'être résolue. Mais le fascisme ne sera vaincu
et l'orientation du mouvement ne pourra être socialiste que si les
travailleurs montent en première ligne de la lutte, de façon
organisée, à travers les syndicats les mouvements populaires
combatifs et opposés à l'ordre dominant.
La
seule façon d'éviter la germination fasciste est de renforcer une
réelle alternative à gauche et socialiste pour que le Brésil
abandonne les illusions d'un développement concerté avec la
bourgeoisie monopoliste et le fétiche d'un ordre démocratique
abstrait qui réconcilierait toutes les classes en lutte, réaffirmant
la nécessité d'un gouvernement populaire.
Quel
que soit le scénario, avancée ou recul, le front de la gauche
socialiste et anti-capitaliste doit construire un programme commun,
élaborer une convergence unitaire, privilégiant les efforts
unitaires dans le mouvement de masse, pour éviter de n'être qu'une
simple coalition électorale. Quand nous parlons de front de la
gauche socialiste et anti-capitaliste, nous n'avons pas comme critère
exclusif le registre électoral, mais nous intégrons les
organisations politiques révolutionnaires non-institutionnalisées
et les mouvements sociaux contre-hégémoniques.
L'axe
central pour instaurer un dialogue avec le mouvement de masse qui
exprime de façon chaotique son mécontentement ne peut pas être une
défense abstraite de l' « ordre et du calme » et une continuité
de la même politique avec « plus de dialogue », mais une
affirmation offensive que les demandes en termes d'éducation, de
santé, de logement, de transport, contre les gaspillages de la Coupe
du monde, les expulsions, la violence policière, les privatisations
effrénées, l'endettement des familles, la précarisation des
conditions de travail et la remise en cause des droits des
travailleurs ne sont pas ne s'expliquent pas avec des affirmations
moralistes contre la corruption, mais ce sont les conséquences
attendues du parti-pris du développement capitaliste et du mythe
selon lequel la croissance de cet ordre pourrait conduire en même
temps à alimenter les profits des monopoles et à satisfaire les
revendications populaires.
Il
est temps d'affirmer que la vie ne peut pas être garantie par le
marché : santé, éducation, logement, transport et
autres services essentiels ne peuvent pas être des marchandises, ce
sont des droits et ils doivent être garantis par les fonds publics
qui sont utilisés en ce moment d'abord pour subventionner et
soutenir les grands monopoles capitalistes et les grandes banques.
Ce
changement exige de dépasser les limites de la démocratie
bourgeoise qui désormais apparaît à visage découvert, une simple
réforme politique pour maintenir les mêmes qui ont toujours été
au pouvoir n'est pas suffisante. Il faut instaurer un véritable
gouvernement populaire qui s'appuie sur des formes de démocratie
directe et donne la parole à la majorité de la société et,
principalement, aux travailleurs.
Le
PCB, qui n'est pas intimidé par les menaces de la droite, restera
dans la rue, aux côtés des forces de gauche anti-capitalistes et
populaires, et portera bien haut ses mots d'ordre :
- Le fascisme ne passera pas !
- Non à la criminalisation des mouvements populaires !
- Démilitarisation de la police !
- Pour la nationalisation des transports publics, de la santé et de l'éducation, sous contrôle des travailleurs !
- C'est notre pétrole !
- Pour un front de la gauche anti-capitaliste !
- Pour un gouvernement populaire !
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