Afrique du Sud : Malgré les inégalités, rares sont les Noirs à critiquer Mandela
Nelson
Mandela a-t-il bradé la cause des Noirs lors des négociations avec
le régime d'apartheid? La question, qui va à l'encontre de son
image d'icône de la réconciliation, vaut une volée de bois vert
aux rares Sud-Africains qui osent la formuler.
Le
héros de la lutte anti-apartheid a passé vingt-sept ans (1963-1990)
dans les geôles du régime raciste, puis a négocié une transition
pacifique qui n'allait pas de soi et, une fois à la présidence, à
partir de 1994, n'a cessé de tendre la main à la minorité blanche.
Champion
de la liberté, de la paix et du pardon, il jouit tout naturellement
d'une admiration sans borne de la part de ses concitoyens. Mais
quelques rares voix auraient aimé qu'il fasse encore plus.
Notant
que les inégalités entre Noirs et Blancs restent criantes, avec des
écarts de revenus moyens de un à six, certains lui reprochent
d'avoir négligé le volet économique lors des négociations à la
fin de l'apartheid. Les nationalistes africains, des mouvements
extrêmement minoritaires, sont les plus critiques.
"Il
nous a vendus", a déclaré récemment le leader du mouvement de
la jeunesse du Congrès panafricain d'Azanie (PAYCO), Amukelani
Ngobeni. Et d'ajouter: "Mandela et ses amis étaient impatients
d'occuper l'espace politique mondial aux dépens du combat pour une
émancipation politique, sociale et économique totale."
Son
homologue du Congrès panafricain (PAC), Sello Tladi, a été plus
loin: "c'est à cause de Nelson Mandela et de ses amis que (...)
les colons juifs et blancs exploitent nos richesses et notre force de
travail."
Mais,
alors que le père de la Nation sud-africaine se trouve entre la vie
et la mort, ces propos ne passent plus, même en interne. Le PAC
s'est ainsi "distancié" de son jeune dirigeant qualifié
de "grincheux".
"Mandela
nous a laissé tomber"
Il
y a quelques années, l'ancienne femme de Nelson Mandela, Winnie
Madikizela-Mandela, s'était déjà retrouvée dans cette situation.
Selon un article publié dans la presse britannique en 2010, elle
avait déclaré: "Mandela nous a laissé tomber. Il a accepté
un mauvais accord pour les Noirs. Economiquement, nous sommes
toujours sur la touche."
Face
au tollé général, "la pasionaria des townships" avait
ensuite assuré ne jamais avoir "donné d'interview" à
l'auteur de l'article, Nadira Naipaul, épouse du prix Nobel de
littérature V.S. Naipaul. Selon la presse locale, elle avait bien
reçu le couple Naipaul mais pensait que leur entretien avait un
caractère privé.
Car
il est quasiment impossible de critiquer publiquement le héros
national. Même dans le township d'Alexandra, le plus vieux de
Johannesburg, où la population vit dans des abris de fortune à
quelques kilomètres du quartier des affaires de Sandton et de ses
boutiques de luxe.
"Les
Noirs n'ont pas encore la liberté économique, les Blancs sont
toujours avantagés, c'est évident si vous comparez Alex et
Sandton", souligne Khetha, un technicien de 22 ans qui vit dans
le township. "Du coup, il y a de petits groupes qui disent que
Mandela nous a vendus. Mais ils sont très minoritaires."
Outre
la décence, qui empêche de critiquer un mourant, les Sud-Africains
passent à Mandela ses petites faiblesses parce qu'il leur a beaucoup
donné, explique de son côté Mark Dons, un autre résident
d'Alexandra, âgé de 46 ans. "Même s'il y a des choses qu'il a
mal faites, on n'en parle pas parce qu'on l'idéalise tous",
analyse-t-il. "Mandela a certainement fait des erreurs, mais
parce qu'il est l'homme qu'il est, les gens n'y prêtent pas
attention".
Quant
à Joseph Mulaudzi, un chômeur de 46 ans, il justifie l'action du
Nobel de la Paix. "Il a dû faire des compromis pendant la phase
de réconciliation. Il a été critiqué, mais ces compromis étaient
nécessaires", rappelle-t-il.
Mandela
lui-même avait expliqué avoir renoncé à nationaliser une partie
de l'économie pour éviter une fuite des capitaux et un effondrement
de l'économie. Au début des années 1990, "il y avait beaucoup
de tensions. Sans lui, on aurait eu une guerre civile, ajoute M.
Mulaudzi. Si on peut profiter de notre liberté, c'est parce qu'il a
fait des compromis".
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