Egypte : "L'armée sauve les islamistes en les chassant du pouvoir"
Ce
qui se passe en Egypte n'est pas qu'un retour à la case départ mais
l'interruption d'un processus fragile qui commençait à ancrer le
pays dans une logique de transition démocratique. Celle-ci est
interrompue malgré le soutien de ce coup d'Etat et l'adhésion des
autorités religieuses. La fin de partie pour Mohamed Morsi n'annonce
rien de bon.
La
déclaration d'Abdel Fattah Al-Sissi, chef d'état-major des armées
et ministre de la défense, la séquestration de Mohamed Morsi, la
probable arrestation des principaux responsables des Frères
musulmans et la fermeture de leurs moyens de communication
représentent tous les ingrédients d'un coup d'Etat militaire qui
vient briser l'espoir d'une transition pacifique.
La
nature de ces événements a beau être dissimulée par les cris de
joie des manifestants de la place Tahrir, et euphémisée par de
nombreux commentateurs, il reste qu'il s'agit bien d'un coup d'Etat
militaire contre un régime démocratiquement élu et qui vient
suspendre une Constitution validée par un référendum populaire.
UN
RETOUR EN ARRIÈRE
Sauf
à considérer que ce début de transition pacifique n'était que
pure mascarade, ce coup d'Etat signifie un retour en arrière et la
destruction des espoirs mis dans le processus démocratique. Il ne
s'agit pas ici de défendre le bilan déplorable des Frères
musulmans qui ont réussi à créer un large consensus contre eux, il
s'agit des principes revendiqués par l'Union européenne et par les
Etats-Unis qui devraient conduire à condamner ce coup d'Etat.
Imaginons
qu'un pareil processus se soit produit n'importe où dans le monde.
Imaginons que, dans un pays qui connaît de graves difficultés
économiques, l'armée ait lancé un ultimatum au régime en place et
séquestré son président ? Avons-nous une autre idée de la
démocratie, dès qu'elle porte au pouvoir des forces inspirées par
des courants islamistes pour qui nous n'avons guère de sympathie,
sauf quand elles contribuent à financer les clubs de football,
investir dans les palaces parisiens ou dans les entreprises du CAC 40
?
Tandis
que l'exercice du pouvoir obligeait bon an mal an les islamistes à
jouer le jeu de la démocratie et les forçait à accepter un cadre
commun de règles où les conflits d'intérêts se résolvaient dans
l'expression politique exprimée par le vote plutôt que la violence,
le coup d'Etat détruit la confiance dans la démocratie elle-même.
Il
serait illusoire de penser que les Frères musulmans vont disparaître
de la scène politique. Ils demeurent la force politique dominante du
pays, incrustée dans les structures sociales et soutenue par une
large part de la population, qui n'est pas visible dans les dernières
manifestations. Le déni démocratique les projette à nouveau dans
une opposition sans moyen de s'exprimer, qui conduira à plus de
radicalisation.
En
face d'eux, quel projet alternatif, quel homme d'Etat a pu émerger
dans les deux dernières années dans les rangs de l'opposition ?
Mohammed AlBaradeï, même s'il est porté par le tout récent
mouvement du 30 juin, n'a pas réussi à construire un mouvement
porteur d'aspirations profondes.
L'OPPOSITION
N'EST PAS ENCORE ORGANISÉE
L'opposition
démocratique ou progressiste n'est pas encore organisée et ne
représente qu'une portion congrue de la population. Enfin, l'armée
prétend ne vouloir être qu'un arbitre garantissant le processus
démocratique sans intervenir dans les affaires de l'Etat. Mais elle
fait exactement le contraire.
L'armée
a surtout commis une erreur de timing. Elle vient interrompre trop
tôt un processus qui conduisait à terme les Frères musulmans à
une forme de faillite qui aurait réduit leur influence à long
terme. L'armée vient d'en faire des victimes. Les Frères musulmans
pourront se dédouaner de leur incompétence ou de leur incapacité à
résoudre les problèmes de pauvreté.
Leurs
échecs seront occultés par le coup d'Etat, ce qui contribuera à
préserver leur légitimité. Car l'armée est incapable elle aussi
de trouver les solutions à ce qui motive les manifestations : la
dégradation de la situation économique, l'inflation, les pénuries
d'essence, les coupures d'électricité. Après les scènes de liesse
de la nuit du 3 juillet, le réveil sera douloureux dans la période
de jeûne du ramadan. Les probables arrestations des Frères
musulmans seront mal ressenties dans cette période.
A
plus long terme, lorsque l'armée aura elle aussi déçu et que le
mécontentement populaire se sera retourné à nouveau contre elle,
les Frères musulmans pourront sortir blanchis par le coup d'Etat et,
qui sait ?, retrouver démocratiquement la place que l'armée vient
de leur enlever par un coup de force.
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