Logements : Pire que dans l'ère Sarkozy

 Baisser les loyers des locataires riches au détriment des pauvres?


Dans le projet de loi que vient de déposer la ministre du Logement, Cécile Duflot, figurent tous les ingrédients d'une incroyable injustice sociale.

Ça à l’aspect d’une loi sociale, la saveur d’une loi sociale, mais le projet de loi pour l’Accès au Logement et un Urbanisme Rénové (dite loi Alur), déposé le 26 juin à l'Assemblée nationale, risque bien de laisser un goût amer aux locataires, et notamment aux plus pauvres d’entre eux. Car ce projet de loi élaboré par la ministre du Logement Cécile Duflot va bien aboutir à une baisse des loyers. Tant mieux puisque c'est son objectif. 

Mais cette baisse va d’abord profiter aux locataires les plus aisés, ou du moins à ceux qui habitent dans les appartements dont les loyers atteignent aujourd'hui des niveaux records. Alors que les locataires pauvres risquent, eux, de voir leur loyer augmenter, ce qui en contraindrait bon nombre à déménager loin des centres-villes.

Comment en a-t-on pu se fourvoyer à ce point ? Pour le comprendre, il faut se pencher sur ce projet de loi Alur. Il fixe un loyer médian de référence, établi selon le type de logement et la zone géographique, à partir duquel sera calculé un plafond maximal de 20% à ne pas dépasser, mais aussi un plancher au-dessous duquel tout loyer pourra être réévalué. Ne sont concernés, pour le moment, que Paris et les 19 villes les plus importantes de France dans lesquelles a été mis en place un observatoire des loyers. Cela représente quand même plus de 2 millions de locataires. La mesure devrait effectivement avoir un effet positif sur les loyers, qui, selon les premières estimations, devraient baisser de 5% à Paris et de 8% à 9% à Marseille, Lyon et dans toutes les grandes villes de plus de 50.000 habitants.


A PARIS, CERTAINS LOYERS POURRAIENT BAISSER DE 50%

Mais le diable se niche toujours dans les détails: dès qu’on se penche sur la façon dont sera fait l’ajustement, la loi déraille. A la relocation ou au renouvellement du bail, les propriétaires des appartements loués à des tarifs supérieurs au seuil du Loyer Médian de référence, majoré de 20%, devront consentir des baisses de loyers à leurs locataires, pour les ramener au niveau légal.

Sauf que certains en bénéficieront plus que d’autres : "les 20% de locataires qui paient le plus, soit environ 700.000 ménages sur les 2,6 millions qui occupent l’ensemble du parc privé, profiteront ainsi de baisses de loyers importantes : -30 à -35% sur Lyon et Marseille et environ -30% sur Paris" estime Michel Mouillart, professeur d’économie à l’Université Paris Ouest et pilote de l’Observatoire Clameur qui surveille les loyers dans 840 villes.

Sur Paris, par exemple, la médiane, majorée de 20%, représente environ 27-28 euros/m². Or, dans les beaux quartiers, les locations tournent aujourd'hui autour de 38-39 euros/m²: la loi, pour les locataires qui y habitent, sera une aubaine. Idem pour Lyon, où la médiane majorée sera d’environ 13-14 euros/m², alors que les ménages les plus aisés du centre de Lyon se logent jusqu’à 28-30 euros. Pour ces heureux locataires, la baisse pourra donc atteindre 50%!


UN DROIT DE RECOURS POUR LES PROPRIÉTAIRES QUI JUGENT LEUR LOYER TROP BAS

Et les pauvres ? Les 30% les plus modestes, soit 900.000 ménages, risquent de souffrir doublement. Ceux qui bénéficient actuellement de loyers inférieurs au marché risquent de voir leur facture mensuelle augmenter très fortement, à l’occasion du renouvellement de leur bail. Car le projet de loi "ouvre au bailleur", selon le texte même du projet, "un recours en réévaluation du loyer si le loyer appliqué au locataire est inférieur au loyer médian."

Illustration en région parisienne, divisée en sept zones par l’OLAP (Observatoire des loyers de l'agglomération de la région parisienne). Par exemple, dans la zone 2, le loyer médian constaté est de 12,40 euros/m² à Fontenay-sous-bois. Or le loyer de nombreuses familles modestes y dépasse rarement aujourd’hui les 8 euros/m². Elles risquent de voir leur facture logement exploser !

De combien ? C’est encore la grande inconnue. "Ce texte laisse au préfet le soin de fixer le plancher inférieur", regrette Patrick Doutreligne, délégué général de la Fondation Abbé-Pierre. Au Ministère, on cherche à calmer les esprits : "C’est un dispositif qui existe déjà, puisqu’il figure à l’article 17-C de la loi de 1989" explique-t-on dans l'entourage de la ministre du Logement.


DES FAMILLES CONTRAINTES DE DÉMÉNAGER À L'ÉCART DES CENTRE-VILLES

Certes, mais jusqu’alors, il était très difficile de le faire appliquer, car on manquait d’éléments de référence. Avec l’arrivée du Loyer Médian de référence, les tribunaux seront obligés de donner raison aux propriétaires… dans le cas où les locataires seraient assez fous pour contester cette réévaluation tout ce qu’il y a de plus légale.

La solution, on la connait : ce sera le déménagement. Les familles modestes devront donc s’éloigner un peu plus des centres-villes, devenus trop chers pour eux, laissant la place à des familles aisées qui bénéficieront d’un loyer médian plafonné.

Le phénomène sera peut-être encore accentué par l’attitude des propriétaires. Déçus de s’être vu infliger une baisse de loyer (et de rentabilité), un certain nombre d’entre eux pourront être tentés de mettre en vente leur patrimoine locatif. Cela contribuera sans doute à faire baisser les prix des biens à vendre, mais cela réduira d’autant le nombre de biens à disposition des locataires. La conséquence : une hausse de la pression locative. Et qui, à votre avis, les bailleurs prendront-ils en priorité, lors des renouvellements de baux : les familles aisées ou les familles modestes ? Sans aucun doute celles qui présenteront les meilleures garanties financières.


LA MINISTRE NE PEUT PAS SE DÉDIRE, MAIS LES DÉPUTÉS POURRAIENT L'AIDER À SORTIR DE CE GUÊPIER

"C’est la reconquête des centres-villes par les ménages aisés, et la mise en place d’un mécanisme d’éviction des ménages modestes aussi fort que celui qu’on a connu entre 1978 et 1988, lorsque les propriétaires, en vendant leur bien, avaient retiré 450 000 logements du marché locatif"
résume Michel Mouillart...

Les organisations de locataires, les associations du mouvement social, les responsables de la fondation Abbé Pierre, d’abord très favorables à la loi, sont, elles aussi, en train de découvrir les vices cachés de ce texte. Et révisent, les uns après les autres, leur jugement positif. Au ministère, on commence seulement à mesurer les conséquences des mesures qui ont été proposées et qui seront discutées à l’automne. Impossible de se dédire : reste à prier pour que "les amendements des parlementaires rattrapent le coup", reconnaissent en catimini, certains proches de la ministre Cécile Duflot…


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