Tour de France : la Corse sans les corses
S’il
n’est pas facile de dire en raison d’une météo grise quand
commence l’été, une chose est sûre, la période des vacances
débute avec le départ du Tour de France.
Fini,
la politique ! Le champ de l’information va se restreindre, comme
chaque année, aux exploits de cyclistes dont on apprendra dans
quelques mois comment ils ont su échapper aux contrôles antidopage.
Et l’on va nous redire sur tous les tons – c’est déjà
commencé – que la Grande Boucle est une grande fête populaire,
une fête qui réunit tous les Français le long des routes, comme
si, d’un coup, les corporatismes disparaissaient au profit des
seuls conflits entre supporters.
Avec
ces trois étapes en Corse, cette représentation idéale de la
communion vélocipédique en prend un sacré coup. Devant les
difficultés prévisibles de circulation sur l’île le préfet a
lancé aux habitants un péremptoire "Restez chez vous !",
tout en donnant comme conseil à ceux qui se déplaceraient de se
munir de litres d’eau pour résister aux heures d’attente.
BALADE
DANS UN GRAND STUDIO INSULAIRE
Du
coup, les Corses vont être dans la situation de Fabrice à Waterloo
dans "La Chartreuse de Parme", qui se trouve à quelques
mètres de Napoléon, mais qui ne le voit pas en raison du l’épais
brouillard provoqué par la bataille et ne perçoit que des "Vive
l’empereur !". Ils entendront les klaxons de la caravane
passant à quelques centaines de mètres, mais ils devront se
contenter… de regarder la télé pour la voir.
Car
ce que montre l’organisation de ce centième Tour de France, c’est
que la télévision a définitivement gagné sur la réalité. Si le
départ par la Corse répond sans nul doute aux demandes de
politiques, il se fera au détriment des Corses eux-mêmes, qui
n’auront même pas le droit de faire partie du décor et de
communier devant cette longue procession d’annonceurs qui n’a
d’ailleurs rien de religieux.
Loin
d’être une victoire pour les habitants, ce choix n’a donc été
fait que pour l’image : on verra des paysages magnifiques, des
sites classés au patrimoine de l’Unesco, mais pas de présence
humaine : une Corse sans les Corses en quelque sorte. Une balade dans
un grand studio insulaire.
FÊTE
POPULAIRE SANS SPECTATEURS
À
qui profitera ce spectacle ? À la région, qui, montrée dans toute
sa beauté, bénéficiera d’un spot publicitaire de trois jours ?
Au téléspectateur, qui, lui, sera toujours bien placé par rapport
aux coureurs et qui pourra frémir à les voir descendre des routes
en lacets impressionnantes ?
La
transformation d’une épreuve sportive en fonction des contraintes
fixées par la télévision n’est pas nouvelle : football, handball
et tennis ont tous fait de petites modifications destinées à
réduire les temps morts pour augmenter l’intérêt du
téléspectateur. Les cyclistes reçoivent aujourd’hui les ordres
de leur directeur sportifs par une oreillette pour dissimuler leur
tactique, de la même façon que les présentateurs du journal
télévisé ou des jeux obéissent aux grands manipulateurs qui font
le programme en régie.
Cette
centième édition du Tour avec sa fête populaire sans spectateurs,
mais conçue entièrement pour le téléspectateur, marque une
nouvelle victoire de la télévision sur la réalité.
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