Venezuela : Non, la révolution bolivarienne n'est pas morte...
“LE
POUVOIR DU PEUPLE, QUAND IL NE S’EXERCE PLUS, FINIT PAR
S’ATROPHIER”
Nous
sommes à Caracas le 16 juillet 2013, à Miraflores (palais
présidentiel). Nicolas Maduro s’adresse à vingt gouverneurs
bolivariens:
“Comment
est-il possible qu’à une personne âgée, à une de ces personnes
que nous rencontrons lorsque le gouvernement sillonne le pays, on
fasse payer 20 millions pour pouvoir accéder à une mission sociale?
Certains, ils me l’ont dit, ont payé et ils ont été
effectivement inclus ensuite dans la mission ! Qu’est-ce cela veut
dire? Qu’au-dessus de ces extorqueurs il y a des hauts
fonctionnaires qui couvrent ces agissements, comme ceux qu’on a
arrêtés. Nous devons aller jusqu’au bout de chaque enquête et
vous, les gouverneurs, qui avez mille témoins dans vos régions,
faites le travail sur place, car nous avons détecté beaucoup de cas
lors de nos déplacements”.
Quelque
semaines ont suffi pour détecter des systèmes de corruption mis en
place par des hauts fonctionnaires du service des douanes, de
l’immigration, de l’inspection du commerce, de l’industrie
sidérurgique, de la compagnie pétrolière publique, de la banque
nationale du développement… Nicolas Maduro a promis de nouvelles
surprises dans cette offensive-éclair contre la corruption “où
qu’elle soit, et à tous les niveaux, coiffée d’un béret rouge
chaviste ou dans les rangs de la droite, dans le secteur public comme
dans le privé : il n’y aura plus d’intouchables. Personne ne me
fera prendre des vessies pour des lanternes. Je ferai bientôt
quelques inspections-surprises sur les chantiers publics”.
Dans
le même temps, le plan “Patria Segura” a déployé sur
tout le territoire une police mieux formée à la protection des
citoyens. Un premier bilan parle d’une baisse de 200 % des
enlèvements et de 38 % des homicides. Maduro veut aller plus loin.
Il rappelle comment il a vu toute une jeunesse populaire – sa
génération – décimée par la drogue, la violence à partir des
années 80 et veut s’attaquer frontalement à l’imaginaire des
médias privés resté très puissant malgré quatorze ans de
révolution, en multipliant les missions culturelles, la récupération
des espaces publics et la rénovation intégrale des quartiers
populaires (plan"barrio tricolor"), le relancement de la
musique populaire, l’appui aux artistes et aux mouvements de
jeunes, le transfert de nouvelles technologies et la dotation de
nouvelles chaînes de télévision aux secteurs jusqu’ici exclus.
Sans
doute étaient-ce ces chantiers que le président Chavez voulait
aborder en 2013 : quelques mois avant sa mort il appelait les jeunes
du grand quartier populaire de Petare à renoncer à la drogue, à la
violence pour mettre leur talent au service du pays.
La
droite et les grands médias rêvaient d’enterrer la révolution
bolivarienne avec son initiateur. Des politologues de gauche
annonçaient la lutte fratricide des chavistes ou une “NEP”
réformiste. 90 jours après la mort de Chavez, on découvre un homme
d’Etat qui, s’appuyant sur une équipe élargie aux mouvements
sociaux et aux partis progressistes, applique méthodiquement les
cinq objectifs du “Plan Patria” légué par Chavez (1) et lance
un “gouvernement de rue” (2).
Né
dans un quartier populaire de Caracas, militant syndical, bolivarien
clandestin puis ministre de Chavez, Nicolas Maduro connaît bien les
rouages de l’État et… du terrain. Avec une moyenne de 102
projets pour chaque entité traversée – à savoir 23 états et le
district de Caracas, le “gouvernement de rue” aligne déjà 2.037
projets financés par l’État. Un “banc d’essai” du pouvoir
populaire que le président du Venezuela veut permanent et actif sur
tout le territoire. Même la presse officielle et les partis de la
gauche classique ont du mal à suivre ce dialogue direct de Maduro
avec les problèmes du peuple.
"Combien
de temps notre peuple s’est-il habitué à voir le pouvoir comme un
concept lointain, étrange, comme le privilège d’une élite ? Et
bien non: la révolution n’a d’autre sens, comme Chavez nous l’a
rappelé sans cesse, que le transfert de la totalité du pouvoir aux
mains d’un peuple qui doit se former sans cesse pour cela. Nous
avons assez patienté, nous devons nous réveiller, redevenir des
combattants de la rue, de tous les jours… Le pouvoir du peuple,
quand il ne s’exerce plus, finit par s’atrophier. Comment faire
une révolution avec un peuple passif ? Le pouvoir populaire sert à
faire la révolution et pas n’importe laquelle : une révolution
socialiste. Ou le peuple la fait, ou il n’y en aura pas. Le pouvoir
populaire doit exister partout et tous les jours, dans les états,
dans les rues, au palais présidentiel. Notre nouvel état sera
l’État comunal, c’est un des axes principaux de notre programme,
Chavez nous a exigé de lui donner la priorité (3). Nous allons
redoubler d’efforts à partir du mois d’août pour construire
partout la commune.”
"LA
COMMUNE OU RIEN"
Deux
jours plus tôt dans l’État de Lara, une assemblée
d’organisations de base (photo) s’est réunie au nom des "trois
R” – formule inventée par Chavez pour “revoir, rectifier,
réimpulser” le gouvernement révolutionnaire. Ont fusé les
critiques sur la gestion antérieure du ministère de la commune :
mise sous tutelle du pouvoir populaire, arrogance de cadres
auto-proclamés qui considèrent la masse populaire comme un simple
champ de manoeuvres pour
“ceux-qui-savent-comment-faire-la-révolution”, véritables
boulets pour le travail populaire.
“Une
grande partie des demandes que nous avons recueillies tout au long
des assemblées populaires concerne une meilleure présence de l’État
aux côtés des processus d’organisation” explique Reinaldo
Iturizza, un sociologue critique devenu le nouveau ministre de la
Commune sur décision de Maduro et qui a dû s’arracher au monde
des thèses sur papier. “Je suis en train de créer une équipe qui
racontera les histoires de ces journées dans la rue, qui vont
continuer. Ce que nous voyons doit être connu”. L’équipe
d’Iturizza met au point une méthodologie nouvelle réunissant les
conseils communaux et les autorités du Ministère pour résoudre des
problèmes tels que l’auto-construction de logements. 60 mille
foyers de la Grande Mission Logement ont pu être construits par les
habitants eux-mêmes. On en prévoit 100 mille de plus en 2013.
Alors
que les médias privés qui dominent la majorité des ondes au
Venezuela occultent cette école de pouvoir citoyen et ciblent
Maduro, le “gouvernement de rue” est devenu en soi un
véritable média populaire qui attaque vraiment la forme dominante,
commerciale et représentative, de la communication politique, qui
cultive la participation critique et ose prendre des décisions
jusqu’ici freinées par une classe moyenne d’État peu ouverte
aux propositions populaires.
Le
8 juillet, c’est dans l’état d’Amazonas, au Centre de
Formation et de Production Agroécologique Matuwiniyu Yekuana Rene,
que Maduro et son équipe font halte. Un militant indigène leur
montre la maquette d’une maison autochtone : “Je vous présente
une maison fluviale indigène totalement écologique, avec sa barque,
sa batterie d’élevage de poules, son vivier à poissons, chaque
famille peut y vivre et produire sans devoir quitter le fleuve”.
“Bravo, c’est un des projets que nous voulons approuver !”
applaudit Maduro pour qui c’est là tout le sens de ce
“gouvernement de rue” : réactiver les propositions, la
créativité du peuple. A ses côtés la Ministre des Peuples
Indigènes Aloha Nuñez, précise : “nous sommes ici en territoire
Jivi, l’État d’Amazonas compte 19 peuples indigènes et nous,
les ministres, ne sommes pas restés en ville, par exemple la
ministre de la santé a passé la nuit dans une communauté indigène.
Ces populations étaient infiltrées par les “nouvelles tribus”
(une ONG états-unienne), nos compagnons commençaient à parler
anglais, à présent le travail est d’assurer l’intégralité des
droits à la santé, à l’éducation pour nos peuples indigènes”.
Maduro
en profite pour rappeler l’insistance du président Chavez:
“Pourquoi
les ministres ne pourraient-ils pas vivre deux ou trois jours durant
dans les communautés ? Nous, gouvernement bolivarien, sommes du
peuple, nous ne venons d’aucune élite, d’aucun groupe économique
et même si nous devons nous protéger face aux menaces de l’ennemi,
nous ne devons pas perdre le sens de qui nous sommes : des gens
humbles, qui nous devons au peuple”.
Et
d’évoquer le cinquième objectif du programme légué par son
prédécesseur : l’éco-socialisme, qui prévoit notamment le
reboisement massif de tout le pays – la Misión Árbol sèmera
quelques deux millions d’arbres dans les deux ans à venir. Une
mission grâce à laquelle la surface boisée du pays atteint 47,6
millions d’hectares, réduisant de 47 pour cent le taux de
déforestation.
“La
biodiversité, poursuit Maduro, doit être pensée dans sa dimension
macro-écologique. Nous n’allons plus comme le faisaient les
gouvernements antérieurs recevoir les représentants de lobbies qui
veulent acheter un morceau d’Amazonie. Mais pour nous qui sommes un
pays amazonien, le plus incroyable c’est que nous n’ayons pas
encore créé d’institut pour étudier cet immense patrimoine de
biodiversité en fonction par exemple de nos besoins en médicaments,
avant que ne les brevettent des transnationales. Nous ne pouvons pas
attendre 15 ans, c’est aujourd’hui que nous devons prendre la
décision. Créer un institut pas seulement pour produire des thèses
universitaires mais pour générer des connaissances transfomatrices,
des connaissances scientifico-populaires : on a souvent considéré
les peuples indigènes, et le peuple en général, comme ignorants
alors qu’ils produisent des milliers de savoirs vitaux, mille
choses. C’est d’ailleurs pour cela que les élites nous
méprisent, parce qu’au fond, nous sommes des indigènes.”
Tout
en menant tambour battant ces assemblées avec la population, Maduro
a bouclé en deux semaines un agenda diplomatique très dense au
service de l’unité du Sud et de l’intégration des organismes
existants. En visite officielle en Haïti le 25 juin pour renforcer
la coopération (photo) puis le 30 juin à Managua au sommet de
PetroCaribe avec de nouveaux accords sur l’éducation, sur la
“misión milagro” (chirurgie et soins oculaires gratuits), les
politiques alimentaires et la création d’une zone économique
élargie vers le Sud ; en prenant part à Moscou le 1er juillet au
sommet des 18 états producteurs de gaz – le Venezuela est la
quatrième réserve mondiale – pour plaider en faveur de la
création d’une “OPEP” du gaz ; à Cochabamba, le 4 juillet, au
sommet d’urgence d’UNASUR, pour joindre sa voix à celle de ses
homologues face à la violation du droit international par des pays
d’Europe qui, sur ordre de Washington, ont fermé leur espace
aérien au président de la Bolivie (4); en invité d’honneur d’un
sommet des 15 pays membres du Caricom (marché commun des Caraïbes)
à Trinidad et Tobago ; enfin, le 10 juillet, à Montevideo, pour
assumer la présidence du Mercosur et engager le “tournant social”
de ce marché commun devenu le quatrième bloc économique mondial et
proposer l’association stratégique avec PetroCaribe, l’ALBA et
les BRICS.
Les
22 et 23 juillet, Caracas accueillera la première réunion
ministérielle de la Communauté des États Latino-américains et de
la Caraïbe (CELAC) pour élaborer de nouveaux plans contre la faim
et la pauvreté. Elle sera suivie du 12ème sommet des présidents de
l’ALBA, le 30 juillet, à Guayaquil (Équateur), consacré lui
aussi à renforcer les programme sociaux.
Thierry
Deronne, Caracas, le 19 juillet 2013
Notes
:
3“Le
président Chávez exige d’avancer vers une communication plus
profonde et plus populaire "avec les travailleurs, depuis les
usines" et critique l’incapacité du gouvernement à mettre en
place l’État
communal.”, http://venezuelainfos.wordpress.com/2012/10/21/le-president-chavez-exige-davancer-vers-une-communication-plus-profonde-et-plus-populaire-avec-les-travailleurs-depuis-les-usines/
4
“Face
à une Amérique du Sud unie et souveraine, la France et
l’Europe ridicules”, http://venezuelainfos.wordpress.com/2013/07/05/face-a-une-amerique-du-sud-unie-et-souveraine-la-france-et-leurope-ridicules/ et
la note de protestation du Venezuela
: http://www.legrandsoir.info/note-de-protestation-aux-gouvernements-d-espagne-de-france-d-italie-et-du-portugal.html
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