François : le pape qui parle trop

Une longue lettre adressée, le 11 septembre, aux « non croyants », publiée dans le quotidien italien de gauche la Repubblica ; puis, le 1er octobre, un entretien, sous forme de confession mutuelle, avec le directeur athée de ce même journal. Entre les deux, une conversation tous azimuts retranscrite dans 16 revues jésuites du monde entier.

En moins de trois semaines, le pape François a multiplié les exercices de communication inédits. Il faut y ajouter ses discours quotidiens, lors de sa messe matinale, les audiences du mercredi, les rencontres officielles et privées que le pape enchaine quand il ne saisit pas son téléphone pour appeler un fidèle, ou bien encore la conférence de presse de près d’une heure trente accordée aux journalistes dans l’avion qui le ramenait de Rio, fin juillet. S’il reste cohérent sur le fond, si cette expression foisonnante n’a pour l’heure donné lieu à aucun dérapage majeur, François n'en fait-il pas un peu trop ?

Dangereuses ambiguïtés



Les observateurs les plus bienveillants envers le pape ont beau louer les vertus pédagogiques de la répétition -le pape depuis son élection décline sous des formes différentes ses priorités : ouvrir l’Eglise sur les périphéries, privilégier le pardon, la miséricorde, les valeurs évangéliques sur le jugement, témoigner de la pauvreté de l’Eglise…-, certains commencent pourtant à se demander si trop de prises de parole ne finiront pas par brouiller le message. « Le pape parle tellement qu’il peut y avoir des ambiguïtés dans ses formulations ; cela donne prise à des interprétations, c’est dangereux », s’inquiète un membre de la curie. « Et puis, si dans quelque temps, il se met à moins parler, à moins prêcher, on dira qu’il va mal ! ». « Dans la masse de déclarations, on ne sait plus s’il exprime des opinions personnelles ou s’il énonce la magistère de l’Eglise », s’inquiète un autre prélat.

Sur le fond, ses accents populaires, « populistes » disent même certains, ses formules simples, peu argumentées, laissent à beaucoup une impression de flou : ainsi de son insistance à assurer aux non-croyants qu’il n’existe pas de « vérité absolue » et qu’être en paix avec sa conscience, éclairée ou non par la foi, suffit, ou bien encore que "chacun a sa vision du bien et du mal". « Ce genre d’affirmations peut choquer des croyants. La vérité du christianisme est complexe et ne peut pas faire l’objet de formules », insiste un vaticaniste catholique. Ce choix de « l’anti-intellectualisme » amène pourtant le pape à préférer des expressions-chocs, que peuvent facilement se réapproprier fidèles ou prêtres. « Benoît XVI expliquait trop ; François n’explicite peut-être pas assez », reconnait un théologien, installé de longue date à Rome. « Mais cela viendra », espère-t-il.


Sévérité ou démagogie?

Son insistance à « taper » sur l’institution, à bousculer la curie, les élites et le clergé catholiques, à fustiger « les évêques d’aéroport », les « courtisans, lèpre de la papauté », « les fonctionnaires », les « carriéristes », les « cléricaux » ou les « vieilles filles » a certes l’avantage de plaire aux fidèles, de couper court aux critiques venues de l’extérieur, voire d’amener certains parmi les publics visés à se remettre en question, mais elle pourrait finir par lasser. « Cette sévérité n’est pas de la démagogie, mais elle peut agacer », reconnaissent des observateurs qui rappellent que « c’est avec son clergé, avec sa curie et non contre eux que le pape mettra sur pieds l’Eglise renouvelée qu’il appelle de ses vœux. « Il ne cherche pas à humilier, il cherche à bousculer, pour remettre au centre du jeu ses priorités évangéliques », défendent aussi ses inconditionnels.

Le fait qu’il ait par deux fois accordé ses réflexions à un journal italien réputé pour une certaine forme d’anti-cléricalisme a pourtant agacé les milieux catholiques, qui se sentent délaissés au profit des non-croyants, des indécis ou des indifférents. « D’une manière générale, François ne parle pas au noyau dur des convaincus ou aux intellectuels catholiques bien pensants mais aux masses ; cela fait partie de sa vision d’une Eglise ouverte sur le monde », constate un professeur d’une université pontificale.

Mais, sur la forme, l’exercice a frisé l’amateurisme : le pape n’a pas demandé à relire la retranscription de la conversation qu’il a eue avec le directeur de la Repubblica, a reconnu mercredi le porte-parole du Vatican. L’un des plus sérieux vaticanistes italiens y a relevé des incohérences, notamment la description d’une scène, lors du conclave, sur un balcon… qui n’existe pas. Un détail fâcheux qui pose plus largement le contrôle de la parole papale.


Stéphanie Le Bars

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