La seule vraie menace contre la laïcité : le sectarisme laïc


par Gabriel COHN-BENDIT
ancien professeur, militant de l’éducation alternative
et fondateur du lycée expérimental de Saint-Nazaire

Dans les écoles publiques dont je rêve, les jeunes filles avec voile et les garçons avec kippa ou avec turban auraient toute leur place. Une institution laïque se doit d’accepter des jeunes de toutes confessions en respectant leurs prescriptions. Tout jeune professeur en 1968, je me suis battu pour le droit à l’expression politique des élèves. La laïcité n’a rien à voir avec ce côté lisse qui exclut toutes les aspérités et les contradictions de notre société. Elle se doit de les accepter et de trouver les formes de leur coexistence. D’où mon indignation à l’exclusion de chaque élève pour port de voile de kippa ou de turban. Je suis même persuadé qu’à la fin d’une scolarité fondée sur la liberté la majorité des élèves entrés avec foulard et kippa ressortiront sans. C’est ça, pour moi, le vrai pari de l’école laïque.

Je dirai même plus. Pour moi, dans un établissement public et laïc, il pourrait y avoir des enseignants non seulement croyants, ce qui est évident, mais appartenant à un ordre religieux – curés, pasteurs, rabbins, imams, «bonnes sœurs» – avec tous leurs insignes, d’où mon indignation à l’idée d’une nouvelle loi permettant d’exclure définitivement une employée de crèche parce qu’elle portait un foulard. Après 1968, mon nom était à lui seul un insigne visible d’appartenance politique, car je n’ai jamais renié la proximité avec les idées proclamées par mon frère, Daniel, je me suis même vanté de les lui avoir soufflées. Combien de professeurs marxistes ont marqué leurs élèves, et alors ?

Encore une fois, l’école ne peut appartenir à un courant religieux ou idéologique y compris athée et se doit d’être ouverte à tous. Il faut combattre la laïcité sectaire, ce front uni qui va de l’extrême droite à l’extrême gauche en passant par la droite la gauche et le centre qui mènent allègrement et ensemble la chasse au foulard. La chasse à la kippa n’a jamais existé, personne n’aurait osé après 1945, mais aujourd’hui, hélas, tous les enfants juifs de familles croyantes vont dans des établissements confessionnels. Demain, il en ira de même pour les jeunes filles à foulard, ce sera la grande victoire des «laïcards».


Oui, l’école laïque se doit de respecter, autant que possible, les prescriptions de nourriture religieuses, comme l’interdiction de manger du porc pour les juifs ou les musulmans, ou idéologiques, comme le refus de manger de la viande pour les végétariens. Dans nos établissements publics et laïcs, jadis, on ne mangeait du poisson le vendredi, par respect pour les catholiques. Respecter n’est pas se soumettre.

Que les élèves aient le droit de remettre en cause la parole de l’enseignant est pour moi une évidence, qu’ils aient le droit de contester le contenu de telle partie du programme, et alors ? Où est le drame? Autre chose serait de supprimer des parties de programmes qui ne plaisent pas à X ou Y. Ne pas reculer sur le contenu des programmes des sciences et techniques de la vie, mais là encore se rappeler que dans les années 1950, on abordait, et seulement en terminale, la reproduction… des oursins. Et aujourd’hui, la littérature érotique n’est toujours pas au programme des classes de première et terminale, même s’il s’agit de romans d’Alfred Musset comme Gamiani, ou d’Apollinaire comme les Onze Mille Verges , alors qu’avec de tels livres, nos adolescents prendraient sans doute goût à la littérature.

Bien sûr qu’il ne faut pas reculer sur la mixité à l’école. Mais il ne faut pas oublier que l’école publique laïque n’est devenue mixte qu’après 1950, quant aux grands lycées parisiens, il fallut la secousse de 1968 pour qu’ils le deviennent dix ans plus tard.


Un mot sur la morale laïque : elle n’existe pas. Il y a des morales religieuses, des morales non religieuses, mais pas UNE morale laïque. Ceux qui sont croyants ont une morale toute faite, les autres souvent aussi, et un petit nombre tente difficilement de s’en construire une, mais qui, pas plus que les autres, n’a le privilège de se dire la seule. Alors la toute nouvelle «Charte de la laïcité» fruit du combat des laïques sectaires est au mieux inutile, au pire dangereuse.

Je vis en Bretagne. Les «pardons» [procession de pèlerins catholiques, ndlr] y sont nombreux, et c’est bien l’espace public qui est utilisé et cela ne gêne nullement l’athée que je suis, mais quand il s’agit de musulmans…

Si demain une femme était élue et portait un foulard, les députés quasi unanimes hurleraient au scandale et pourtant, l’un des personnages les plus populaires de notre époque, l’abbé Pierre, a siégé en soutane à l’Assemblée, sans que cela fasse scandale, et c’était normal. L’école est menacée par bien des choses contre lesquelles il faut se mobiliser et là on se mobilise contre quelque chose qui ne la menace pas.


Libération




Commentaires

  1. Non, il n'y a pas une seule vraie menace. il y a des menaces : les sectarismes quels qu'ils soient . L’exhibitionnisme religieux est une manifestation de ces sectarismes. De la pudeur mesdames et messieurs les dévots et dévotes.

    RépondreSupprimer
  2. la laicité à la française est une religion en soi elle est sectaire et ce sont ceux que la religion met mal à l'aise qui la dirigent... en fait ce n'est pas une vraie laicité, c'est du totalitarisme digne de ce que l'on a condamné dans les pays de l'est ou la chine... La religion est l'expression publique d'une foi, elle n'est en rien une affaire privée ...

    RépondreSupprimer

Enregistrer un commentaire

Posts les plus consultés de ce blog

Le discours intégral d'Angela Davis à la marche des femmes (français et anglais )

PLAIDOIRIE DE GISÈLE HALIMI AU PROCÈS DE BOBIGNY (extraits)

Le Génocide des indiens du Brésil