Bretagne : les bonnets rouges s'organisent
Après le succès
de deux manifestations des «bonnets rouges» en un mois en Bretagne -
l'une à Quimper et l'autre ce samedi à Carhaix-, le collectif Vivre,
décider et travailler en Bretagne, qui en est à l'origine, voit son
pouvoir indiscutablement renforcé. Mais ensuite?
Tout reste à
bâtir pour ce mouvement populaire qui, pour s'imposer comme il le
souhaite, va devoir exister en dehors des rassemblements de rue. C'est
ce qu'il cherche d'ailleurs à faire. Des cahiers de doléances * sont
mis à disposition de la population et des comités locaux voient le jour
en Bretagne. «Il en existe dix aujourd'hui et on espère en installer
bientôt deux cents», indique Christian Troadec, le maire DVG de
Carhaix, figure de proue des «bonnets rouges».
«Avec ces
initiatives, on voit que ce mouvement commence à s'organiser. Il veut
aussi se bâtir une colonne vertébrale intellectuelle en se rapprochant
de structures de réflexion», analyse Romain Pasquier, directeur de
recherche au CNRS et spécialiste de gouvernance territoriale.
Au-delà
du désarroi exprimé par les manifestants qui ne veulent plus de
nouvelles taxes, de l'écotaxe et qui veulent préserver l'emploi en
Bretagne, les responsables du collectif souhaitent imposer un nouveau
schéma institutionnel. «Nous voulons la régionalisation des décisions
en Bretagne. Il faut que les gens s'organisent par eux-mêmes, pour
eux-mêmes. Il y en a assez que tout vienne de Paris», explique le maire
de Carhaix. Le pacte d'avenir pour la Bretagne, présenté ce 4 décembre
à Rennes, incarne ce qu'il rejette. «Ce sont des décisions venant des
ministères, prises après des faux-semblants de concertation.»
D'ailleurs,
note Romain Pasquier, les «bonnets rouges» n'ont guère été associés par
le gouvernement à la réflexion pour ce pacte. Une erreur? «Ce n'est pas
forcément une stratégie payante», selon le chercheur. «Dans sa manière
de gouverner, le premier ministre n'est guère innovant et reste
extrêmement classique.» Pourtant, en période de crise, le gouvernement
ne perdrait pas grand-chose, selon ce spécialiste, à tenter une
expérimentation en Bretagne. Mais l'État ne semble toujours pas disposé
à se tourner vers les «bonnets rouges» et a «pris acte» du dernier
rassemblement à Carhaix. Pourtant, la force de mobilisation de ce
mouvement est bien plus importante que celle des syndicats
traditionnels dont les dernières manifestations en Bretagne ont été des
demi-succès.
Mais s'il continue à être ignoré, le collectif
affirme être prêt à retourner dans la rue. «Avec nos comités locaux, le
rassemblement sera d'une tout autre dimension», prévient Christian
Troadec. «Quand un État persiste à ignorer un mouvement, ce n'est pas
sans risque. Il peut se radicaliser», indique Romain Pasquier.
Figaro
* Le message fort des cahiers de doléance bretons
On
retrouve en Bretagne comme ailleurs, et plus encore, les expressions
des signes devenus forts d'une crise de confiance à l'adresse des
institutions, de la représentation, et des corps intermédiaires de
notre système. Le message breton est clair: on veut davantage de
maîtrise de notre destin. Si vous pouviez le faire, ce serait mieux.
Vous n'en n'êtes plus capables, on va s'en charger. La spécificité
bretonne, par rapport à d'autres populations, c'est une déclaration
collective et transversale.
Homogénéité sociétale
Face
aux vents de la mondialisation et dans les creux de la crise, comme
dans les provinces espagnoles ou dans d'autres pays avant elle, la
plateforme des bonnets rouges bretons parvient à homogénéiser les
différences des positions politiques, sociales, géographiques,
générationnelles, confessionnelles, … Elle s'appuie sur des
caractéristiques que nous ne détaillerons pas mais qui alimentent les
spécificités bretonnes. Entre racines fondatrices, combats historiques,
éloignement durable des centres de pouvoir et des institutions,
industrialisation récente, identité et appartenance puissantes, … la
Bretagne fabrique une homogénéité sociétale très peu partagée en
France, même au cœur de l'Alsace et de ses bonnets noirs.
Solidarité directe néo-tribale
Quand
la crise survient, quand les instruments de la solidarité
institutionnelle craquent petit à petit, les individus et les
communautés cherchent à compenser et inventent ou réinventent d'autres
formes. On le voit partout dans le Monde et donc aussi en France. C'est
le mélange moderne d'internet et des circuits courts, entre local et
global, la solidarité directe, la proximité territoriale, une
communauté de destin et un lien identitaire.
Nous voyons naître
une solidarité de nature presque néo-tribale. Elle allie la dimension
traditionnelle qui associe la permanence des comportements d'avant la
création des institutions de solidarités du modèle social français et
les très contemporaines solidarités des réseaux digitaux et du 2.0.
Localisation des décisions
Il
y a comme une affirmation collective puissante : nous Bretons, nous
sommes mieux armés pour faire face aux difficultés nées de la crise et
de la mondialisation. Mieux armés que qui ? Autres populations divisées
et assistées, partis politiques impuissants, corps intermédiaires,
syndicats, notamment ouvriers, contestés, institutions de la solidarité
dépassées ?
Traduction concrète, la plateforme ne dit pas "j'ai
la solution", mais elle exprime une demande, notamment la «
localisation des décisions », ou la « localisation des emplois ». Dans
la crise, c'est l'expression d'un espoir, pas une proposition
alternative de système. Pour l'instant, n'affleurent pas à trop la
surface des revendications politiques ou institutionnelles précises. On
voit des drapeaux, mais on n'entend peu d'expressions autonomistes dans
les rassemblements. Demain sera peut-être plus complexe.
Cahiers de doléances
Quel
que soit le résultat très aléatoire des luttes engagées pour limiter la
casse économique, (plus optimiste en ce qui concerne les objections
fiscales, car Stéphane Le Foll annonce déjà que l'entrée en vigueur de
l'écotaxe sera repoussée à janvier 2015), le mouvement va se poursuivre
sous la forme des cahiers de doléances. Le terme est fort et choisi. Un
programme du peuple breton ? L'annonce d'un face à face institutionnel
avec les autorités ?
Étrange parallèle au moment où l'Écosse va
discuter de son avenir autour de son Livre Blanc. 670 pages sur
l'indépendance dévoilées le 26 novembre. Les Écossais vont avoir 10
mois pour se positionner avant le référendum du 18 septembre 2014 qui
déterminera si l'Écosse se séparera de l'Angleterre, une union qui
remonte à 1707, ou restera dans le Royaume-Uni.
Il n'y a pas de
rupture entre la Bretagne et la France mais une méfiance retrouvée. La
suite devra éviter la radicalisation politique pour s'écrire entre
apaisement économique et invention institutionnelle. Sinon....
*Professeur associé à l'Université de Paris 1 la Sorbonne
Président de j c g a, membre de la SEAP, Society of European Affairs Professionals
La Tribune
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