Referendum en Ecosse :

S’il y a une idée générale à tirer de ce référendum, c’est que les Etats-nations du monde entier sont en train de perdre de leur souveraineté en amont et en aval.


L’Empire arrogant face aux Ecossais

A dix mois du référendum sur l'indépendance de l'Ecosse, le mépris de la classe politique londonienne pourrait bien faire basculer les électeurs écossais indécis.

Ce n’est pas pour s’enrichir qu’un pays veut être indépendant. Il veut être indépendant pour être libre. En préparation au référendum de septembre 2014, le Premier ministre écossais, Alex Salmond, a publié un rapport de 670 pages expliquant quelle serait la situation économique d’une Ecosse indépendante.
Peu de choses dans ce document importent vraiment. Trente pays se sont séparés de leur voisin qui les dominait au cours des cinquante dernières années, et rares sont ceux qui se sont arrêtés en cours de route pour évaluer les coûts. Ils ont laissé les détails concernant les drapeaux, frontières, impôts et monnaies aux négociateurs. Ils voulaient simplement se gouverner comme ils l’entendaient. Cela leur suffisait.

Que l’Ecosse soit au bord de la sécession après trois siècles d’union avec l’Angleterre est historiquement stupéfiant. Il y a cinquante ans à peine, une telle chose était inconcevable. Il y a une raison bien précise à cela. L’insensibilité de la classe politique de Westminster aux aspirations des tribus subordonnées vivant dans les îles Britanniques semble n’avoir aucune limite. [L’homme politique et philosophe irlandais du XVIIIe siècle] Edmund Burke avait observé que Londres gouvernait ses colonies américaines avec plus de considération qu’elle n’en avait pour l’Irlande. Quant à l’Ecosse, des impôts locaux à la lenteur de la dévolution [premier processus d’autonomie], toutes les actions qui ont été menées ont fait le jeu des nationalistes.

Corde dorée

Les adeptes du vieil Empire britannique croyaient qu’il durerait éternellement. Ils se trompaient. Il a disparu parce que l’humeur de l’époque, alimentée par l’ineptie des administrateurs coloniaux, était contre lui. L’Empire britannique précédent, celui des Anglais sur la moitié “celte” des îles Britanniques, a également commencé à s’écrouler. La majeure partie de l’Irlande a tiré sa révérence. Le livre blanc de Salmond servira de plan pour démanteler ce qui reste.

Ce livre blanc est un mélange confus de constitutionnalisme authentique et de vieilles propositions politiques du Parti national écossais (SNP) jetées là en vrac pour donner à l’indépendance un attrait électoral. On y apprend que la reine pourra rester la reine, que les frontières pourront rester ouvertes, que la nationalité pourra être partagée et la dette du pays divisée. Salmond a plus de mal avec un double pilier économique : l’appartenance à l’Union européenne et la conservation de la livre sterling. Son adjointe, Nicola Sturgeon, et lui-même doivent savoir que leur modèle économique pèche par beaucoup d’optimisme, voire de rêve.

La réalité est que la Grande-Bretagne a passé depuis longtemps au cou des Ecossais la corde dorée de la dépendance aux subventions : elle leur verse chaque année 1 000 livres de plus par personne qu’aux Anglais. Selon l’Institut des études fiscales, l’Ecosse devra augmenter les impôts de 9 % pour compenser la perte de l’aide britannique. Ce à quoi Salmond réplique en disant que les Ecossais auront 600 livres de plus par personne.

Mais ce sont là les affaires de l’Ecosse. La Grande-Bretagne sait déjà tout ce qu’il y a à savoir des sécessions. Elle a défendu la séparation de l’Ulster d’avec l’Irlande. Elle est partie en guerre pour permettre au Kosovo de se détacher de la Serbie. Elle a soutenu la division de la Yougoslavie et de l’Irak. Le seul empire que Londres continue à encourager s’avère être les restes de sa propre confédération d’îles.

S’il y a une idée générale à tirer de ce référendum, c’est que les Etats-nations du monde entier sont en train de perdre de leur souveraineté en amont et en aval. Les Etats doivent s’incliner devant des traités supranationaux – l’Union européenne pour la Grande-Bretagne –, alors que leur contrôle interne est érodé par des groupes infranationaux de plus en plus entreprenants. En réaction, des pays pleins de sagesse comme l’Espagne accordent l’autonomie aux Basques et aux Catalans. Il existe beaucoup de modèles de confédérations parmi lesquels choisir, depuis la Belgique et l’Italie jusqu’à l’Union européenne et le Commonwealth.

Nouvel accord ?

La tradition politique de l’Angleterre rejette un tel pluralisme, et elle en paie le prix. L’empire qui s’étendait jadis de l’autre côté des océans a aujourd’hui du mal à franchir la mer d’Irlande, le mur d’Hadrien et la digue d’Offa. La majeure partie de l’Irlande a divorcé en 1922 à cause de la maladresse de Westminster. Les Anglais seraient aujourd’hui bien avisés de cesser de sermonner les Ecossais. L’humilité générale est urgente.

Les sondages laissent penser que les Ecossais n’iront peut-être pas jusqu’à l’indépendance, mais ils risquent fort de donner à Londres le choc du siècle. Il est clair que la majorité des Ecossais veulent, à défaut de l’indépendance, plus d’autonomie par rapport à la Grande-Bretagne. La coalition [au pouvoir à Londres] doit sérieusement envisager de proposer un nouvel accord anglo-écossais, quelque part entre l’indépendance et la dévolution actuelle.

Salmond a inscrit à l’ordre du jour la nécessité d’une nouvelle distribution des pouvoirs entre Londres et les capitales “nationales” de la Grande-Bretagne, celles de l’Irlande du Nord et du pays de Galles comme celle de l’Ecosse. Seule l’arrogance de la classe politique londonienne trouve une telle perspective intolérable. Cette arrogance a déjà mené un Empire britannique à sa perte. Elle pourrait en perdre un autre.


—Simon Jenkins
Publié le 26 novembre

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