El Shennawy obtient sa libération conditionnelle après 38 ans de prison

Philippe El-Shennawy, 59 ans dont 38 passés derrière les barreaux, connaîtra bientôt la liberté. Le tribunal d’application des peines de Créteil a décidé de lui accorder une libération conditionnelle. La décision est tombée juste avant 10 heures du matin. Philippe El-Shennawy est un symbole : présenté comme le plus ancien détenu de France, l’homme n’était théoriquement libérable qu’en 2032. Il aurait alors eu 78 ans. C’est la grâce présidentielle partielle accordée en mars par François Hollande qui a ouvert la voie à sa libération conditionnelle.
Philippe El-Shennawy sortira vendredi matin de la prison de Fresnes, précise Maud Marian, l’une de ses avocats. Elle ajoute : «J’ai eu sa femme au téléphone, il y a eu des larmes, des cris de joie. Car c’était un dossier difficile sur lequel on a tous beaucoup travaillé.» Ressent-il de l’appréhension ? «Ah non ! Il a toujours été libre. C’est pour ça qu’il a été un problème pour l’administration pénitentiaire, il était insoumis», selon l’avocate. «Pour lui, ce n’est pas une nouvelle vie. Il n’a pas passé quarante ans entre parenthèses. Il a fait avec les moyens qu’on lui donnait en prison pour vivre sa vie. Il va maintenant pouvoir faire la même chose dans un meilleur cadre.»

Philippe El-Shennawy commencera à travailler lundi. Il a déjà signé son CDI dans une entreprise d’événementiel. «Il sera coordinateur de projets dans le milieu culturel», explique Maud Marian. En échange, l’homme devra respecter les termes de sa libération conditionnelle. Equipé d’un bracelet électronique, il n’aura le droit de sortir de son domicile de Créteil qu’entre 7 heures et 19 heures en semaine, ainsi que trois heures le samedi après-midi et trois heures le dimanche matin. «Ce sont des conditions très strictes, notamment par rapport au secteur dans lequel il va travailler, mais c’est mieux que la prison», juge l’avocate.

DÉTENU DEPUIS 1975

Les relations entre El-Shennawy et la justice française débutent le 8 septembre 1975. El-Shennawy, né à Alexandrie d’un père égyptien et d’une mère française, est accusé du braquage et de la prise d’otages de l’agence CIC de l’avenue de Breteuil, à Paris. En 1977, il prend perpétuité, bien qu’il nie avoir participé au casse, qui par ailleurs s’est terminé sans effusion de sang. Peine ramenée à vingt ans de réclusion quelques années plus tard. Libéré en conditionnelle en 1990, il s’installe en Corse, où il élève des lapins avec Martine, devenue sa femme en 1987. Mais El-Shennawy brave l’interdiction qui lui est faite de se rendre à Paris, pour y voir son fils, un «bébé parloir». Quinze ans de rab.

Bardé d’un sigle – «DTS», pour «détenu particulièrement surveillé» – qui le suit dans toutes les prisons du pays, il passe le plus clair de son temps à l’isolement. Son épouse déménage une vingtaine de fois pour rester à ses côtés. En 1997, première évasion, lors d’une permission. El-Shennawy est rattrapé. Son dossier s’alourdit : recel de cartes de crédit, association de malfaiteurs…

Après cinq années en hôpital psychiatrique, le détenu s’évade de nouveau en 2004. Bourré de médicaments, il «se traîne dehors, comme un animal épuisé», se souvient un soignant. On le rattrape en 2005, alors qu’il retrouve son épouse pour la Saint-Valentin. Il est condamné à dix et treize ans de réclusion, pour des vols avec armes commis lors de ses cavales. A propos de l’évasion, l’homme dit en 2008 : «C’est quand on en arrive au bout de quelque chose qu’on n’a plus d’espoir.»


«SYMBOLE DES PEINES SANS FIN»

En 2011, la Cour européenne des droits de l’homme condamne la France pour le traitement qu’elle lui a réservé à la maison d’arrêt de Pau. Des fouilles corporelles à nu, filmées, 4 à 8 fois par jour… En 2012, il cesse de s’alimenter pendant de longues semaines. «Un suicide», confie alors son épouse à Libération.

Lors du recours en grâce de François Hollande en mars, des intellectuels, dont le sociologue Alain Touraine ou l’écrivaine Yasmina Reza, demandent au président de la République de libérer El-Shennawy, «symbole des peines sans fin». A leurs yeux, comme à ceux de ses avocats, il présentait toutes les garanties de réinsertion. Une épouse, des amis, un travail.


Sylvain MOUILLARD

Libération

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