Hommage : le dernier dessin de Wolinsky

Patrice Trapier - Le Journal du Dimanche
dimanche 18 janvier 2015

Samedi dernier, trois jours après la tragédie de Charlie Hebdo, Maryse Wolinski est entrée dans le bureau de Georges. La pièce était nimbée d'une douce pénombre. Maryse s'est imprégnée, une fois encore, de l'univers de son mari : la foultitude de livres rangés ou en attente sur une desserte, les affiches, les photos des jours heureux, les peintures, les carnets de croquis. Et puis ces deux tables de travail placées tête-bêche désormais orphelines, le bureau où Georges écrivait et la planche inclinée où il dessinait. Derrière le bureau, Maryse a découvert, scotché sur le mur, ce dessin qu'elle a fait reproduire pour les obsèques, jeudi au Père-Lachaise, et que nous publions aujourd'hui. (le JDD)


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Un couple qui fait l'amour, un autre homme, plus sûrement son double, qui s'envole vers le ciel, un Dieu débonnaire… Aucune indication ne permettra de percer le mystère de ce dernier dessin. Était-ce une ébauche pour Charlie, un projet pour un futur livre? Et ce patriarche accueillant, Georges ne disait-il pas qu'un "dessinateur, c'est obligatoirement athée"?


Dimanche dernier, Maryse Wolinski est entrée à nouveau dans le bureau de Georges, accompagnée de l'un de ses meilleurs amis, Hervé Poulain. Le dessinateur et le commissaire-priseur s'étaient rencontrés en 1967 au festival de jazz d'Antibes-Juan-les-Pins. Quand Maryse a demandé à Hervé de choisir la musique de la cérémonie, ce dernier a aussitôt pensé à Miles Davis et John Coltrane, les deux génies du be-bop, deux citoyens engagés aussi pour les droits civiques. Sur le haut d'une pile, il a reconnu Kind of Blue, le chef-d'œuvre de Miles et John, s'est inquiété de ne pas trouver le CD dans sa pochette avant de le découvrir dans le lecteur. Cette musique qui a ponctué la cérémonie du Père-Lachaise, c'est la dernière que Georges Wolinski a écoutée en dessinant ses planches, peut-être son ultime dessin sur l'au-delà.

Jeudi, Hervé Poulain a évoqué, des sanglots dans la voix, la mémoire de celui qu'il appelait "mon bien-aimé". Juif ashkénaze par son père, juif sépharade par sa mère, Georges Wolinski était mécréant par conscience mais il cachait sans doute au fond de lui une pointe d'angoisse agnostique. Ne demandait-il pas fréquemment à son ami Poulain de lui redire ces mots magnifiques du savant des Lumières, Pierre Louis Moreau de Maupertuis : "Nous n'avons reçu que depuis très peu de temps une vie que nous allons perdre. Placé entre ces deux instants, dont l'un nous a vus naître et l'autre nous voit mourir, nous tâchons, en vain, d'étendre notre être au-delà de ces deux termes. Nous serions plus sages si nous nous appliquions à en bien régler l'intervalle."

Aura-t-il bien réglé son intervalle? Avant de s'en aller le 7 janvier au-devant d'une fin tragique, Georges Wolinski s'est offert les derniers plaisirs d'une existence qui n'en fut pas privée. La veille au soir, il avait acheté une de ces truffes dont il raffolait. Il but ensuite une bière chez Nasser, son ami kabyle, à qui il racontait son enfance tunisienne. Le matin, avant de quitter la maison exceptionnellement tôt, il a eu le temps de redire à sa femme combien il l'aimait et combien elle était belle. Il est parti pour ne plus jamais revenir.

Patrice Trapier - Le Journal du Dimanche
dimanche 18 janvier 2015


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