Grèce : la vérité sur la dette




La Présidente du parlement Zoé Konstantopoulou a lancé une commission d'audit à Athènes en mars pour «analyser l’origine et l’historique de la dette grecque».

A quoi va servir la commission sur l’audit de la dette crée à votre initiative en mars ?

En principe, tous les pays européens soumis à des mémorandums [des plans d’austérité, ndlr] ont l’obligation de faire un audit de leur dette publique. C’est le règlement 472 imposé par l’Union européenne en 2013. Dans la pratique, la Grèce est pour l’instant le seul pays à avoir initié un tel audit. Mais, curieusement, les institutions qui imposent l’austérité n’évoquent jamais cette obligation faite à tous les pays européens. En Grèce, cette commission d’audit, qui rassemble des experts et des représentants de la société civile et des mouvements sociaux, va analyser l’origine et l’historique de la dette grecque pour la «décodifier» : voir comment elle s’est constituée et pourquoi elle a augmenté. En déterminant par exemple si une partie de la dette est liée à des affaires de corruption ou à des taux d’intérêts excessifs. Ou, plus généralement, à des décisions qui n’allaient pas dans le sens de l’intérêt général. On verra ainsi si une partie de la dette est illégitime, illégale ou insoutenable pour le peuple grec.



Mais n’y a-t-il pas une contradiction pour la Grèce à continuer à négocier un accord avec ses créanciers tout en enquêtant sur le bien-fondé de la dette ?

Les conclusions préliminaires de cette commission seront présentées le 18 juin mais il faudra attendre un an pour que les résultats définitifs de l’audit soient connus. On ne peut pas répondre avant d’avoir terminé le travail. Reste qu’on a déjà des indices qui montrent qu’une partie de cette dette est illégitime ou illégale. Et je ne peux pas imaginer que ceux qui, en Europe, exigent les remboursements puissent continuer à le faire quand on aura rendu nos conclusions. Il faudra bien avoir une discussion sur la base de ce travail. En ce qui concerne les cas de corruption, certaines affaires sont déjà connues et impliquent les précédents gouvernements grecs. Mais souvent, elles concernent aussi des entreprises allemandes. Au sein d’une autre commission créée récemment par le Parlement, celle des institutions et de la transparence, nous avons d’ailleurs rouvert l’affaire Siemens, entreprise allemande accusée d’avoir versé des pots-de-vin à tous les partis politiques et qui avait déjà fait l’objet d’un rapport en 2011, sous un précédent gouvernement. Lequel avait estimé que le coût de cette corruption s’élevait à 2 milliards d’euros de manque à gagner pour la Grèce. Les affaires de corruption comme celle de Siemens ou bien celles impliquant des entreprises d’armement étrangères ont bien évidemment alourdi la dette grecque de façon illégale.

L’Allemagne refuse par ailleurs toujours d’extrader Michalis Christoforakos, l’ancien président de la filiale grecque de Siemens qui s’est enfui de Grèce. Or c’est aussi l’Allemagne qui se montre souvent la plus dure face à la Grèce dans les négociations…

Le témoignage de cette personne serait vital pour le procès Siemens à Athènes [en mars, les juges ont décidé d’inculper 64 suspects liés à la corruption de Siemens, ndlr]. Mais c’est avant tout une question de justice qui démontre qu’il y a un double langage de la part de l’Allemagne. Non seulement à cause des affaires de corruption qui impliquent des entreprises allemandes, mais aussi sur la question des réparations dues par l’Allemagne depuis l’Occupation et dont le montant a été évalué récemment à 340 milliards d’euros. Soit un montant supérieur à la dette grecque ! Nous avons également créé une commission qui examine cette question des réparations. Mais le problème est que l’Allemagne refuse de parler de ces réparations alors qu’elle exige le remboursement d’une dette qui pourrait prochainement apparaître comme illégale ou illégitime.

Reste qu’en dehors de la Grèce, la revendication de réparations allemandes est souvent perçue comme une provocation des Grecs…

On a du mal à comprendre ceux qui disent qu’il faudrait oublier le passé. Après 1945, l’humanité a déclaré «plus jamais ça» et s’est reconstruite sur la mémoire, non sur l’oubli. Comment peut-on exiger de tourner la page alors qu’en Grèce, il y a encore des victimes vivantes de cette tragédie ? Et alors qu’un pays comme la France continue de juger les responsables de la Seconde Guerre mondiale ? C’est une faute historique et même morale. L’Allemagne elle-même n’a-t-elle pas bénéficié d’une suppression de 62% de sa dette en 1953 ? Et pourtant, c’était alors l’Allemagne vaincue, responsable des pires atrocités…

Certes mais ces revendications sont aussi perçues comme un moyen de faire pression dans des négociations difficiles avec les créanciers de la Grèce…
 
Que la vérité et la justice sont considérées comme des moyens de pression ne changent rien au fait qu’il s’agit de vérité et de justice.


Mais pourquoi la Grèce est-elle si isolée dans ces négociations ? Même la France ne semble guère soutenir la position d’Athènes. Hollande n’est-il pas de gauche ?

J’ai l’impression que la réponse est déjà dans la question… Il y a un vrai problème au sein de l’Europe, où les forces dites socialistes ont finalement accepté de se soumettre à l’agenda néolibéral. Alors même que parfois les citoyens leur avaient donné un autre mandat. Ces choix éloignent les gouvernements de leurs responsabilités politiques. La manière dont sont menées les politiques libérales en Europe est assez caractéristique d’une forme de totalitarisme au sein de l’Europe, un totalitarisme économique. Il y a clairement une méthode et un objectif de subordination. Or il y a toujours des choix et des alternatives possibles. Et c’est pour ça qu’il y a aujourd’hui une véritable bataille menée par ceux qui veulent prouver que la gauche ne peut qu’échouer. Reste qu’il ne faut pas s’arrêter à la photographie du moment, on verra peut-être bientôt émerger d’autres voix, différentes, au sein de l’Europe. Je crois que Syriza et la Grèce montrent que nous sommes à la veille de grands changements du logiciel européen.


Une majorité de Français ont déclaré qu’ils ne seraient pas opposés à un «Grexit» (d’une sortie de la Grèce de la zone euro). N’est-ce pas le signe que vous êtes parfois mal compris par l’opinion ?

Dans les sondages, tout dépend toujours de la façon dont on pose la question. Si on demandait aux Français s’ils sont pour qu’on exerce un chantage sur le peuple grec et son gouvernement afin de les faire plier, je suis certaine qu’une majorité serait contre.

Propos recueillis par Maria Malagardis et Fabien Perrier

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