31 octobre : l'heure de nous même a sonné
Marche pour la dignité
Au départ, il y a le 8 mai 2015, au nom des nombreuses
familles qui ont perdu aux mains de la police française un frère, un
père, un mari, un compagnon, un fils, l’appel lancé par Amal Bentounsi à
une Marche de la dignité et contre le racisme. Au départ, il y a les
victimes, les familles des victimes, l’impunité de la police, et les
promesses trahies de sévir face au contrôle au faciès et d’accorder le
droit de vote aux étrangers. Au départ, il y a le sentiment profond, que
rien ne vient malheureusement contredire, que sous la Ve République toutes les vies ne se valent pas.
En réponse, il y a la Marche de la «dignité» pour affirmer la dignité
inhérente à tous et le refus d’être «une chose». Des femmes sont à
l’origine de cet appel car nous connaissons les liens entre racisme et
sexisme. Aucune de nous n’est dupe du rôle que l’Etat voudrait nous
faire jouer en nous séparant de nos pères, frères et compagnons
présentés comme violents, arriérés, sexistes. Il nous veut dociles et
obéissantes, il veut faire de nous des auxiliaires de ses politiques de
pacification. Mais, à la suite de nos aînées, esclaves, colonisées,
migrantes, réfugiées, ouvrières, nous refusons ce marchandage. Notre
émancipation ne se fera pas au prix d’une trahison.
Depuis des décennies, nous sommes témoins de politiques étatiques
d’exclusion, de relégation, et de stigmatisation. Si nous ajoutons à ces
chiffres les victimes tombées sous les coups des gendarmes, de la
police ou de milices privées en Guadeloupe, en Martinique, à La Réunion,
en Guyane, ou en Kanaky, si nous ajoutons les morts dans les lagons de
Mayotte et les noyés en Méditerranée, le déni d’existence des
communautés romani, si nous ajoutons le taux de chômage, les chapitres
oubliés de l’histoire esclavagiste et coloniale dans les programmes
scolaires, les représentations paternalistes ou racistes au cinéma, à la
télévision, au théâtre, nous pouvons parler d’une politique d’Etat
économique, culturelle et sociale racisée qui touche en premier une
majorité des jeunes dans les terres dites «d’outre-mer» comme dans les
quartiers populaires de l’Hexagone.
En 1956, Aimé Césaire publiait une lettre dans laquelle il écrivait à propos du «fraternalisme» des communistes français : «Car
il s’agit bel et bien d’un frère, d’un grand frère qui, imbu de sa
supériorité et sûr de son expérience, vous prend la main (d’une main
hélas ! parfois rude) pour vous conduire sur la route où il sait se
trouver la Raison et le Progrès. Or, c’est très exactement ce dont nous
ne voulons pas. Ce dont nous ne voulons plus, et il ajoutait ce n’est pas volonté de se battre seul et dédain de toute alliance. C’est volonté de ne pas confondre alliance et subordination».
Pour nous, cette critique s’applique à toute la gauche française, et
elle est toujours d’actualité. C’est encore trop souvent une
subordination qui nous est proposée. On nous fait miroiter un futur au
prix d’un renoncement à nous-mêmes. Or, nous entendons désormais
déclarer notre indépendance, et renouer avec notre histoire et nos
droits pour forger notre avenir en toute souveraineté.
«L’heure de nous-mêmes a sonné», disait Aimé Césaire. Nous
savons que ce sera long et difficile, mais nous marchons en conscience
sinon en présence avec nos sœurs et frères étudiants d’Afrique du Sud,
nos sœurs et frères expulsés et maintenus dans la rue, nos sœurs et
frères migrants et réfugiés, nos sœurs et frères de Palestine, des
Etats-Unis, de Grèce, d’Espagne, de tous les pays où un nouveau vent se
lève.
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