France : l'obscurantisme laïc et la chasse au voile sont devenus sans limite
Ne serait ce pas une sorte de fascisme, voire pire ?
Chasse
au voile : une entreprise de purification nationale
Laurent
Bazin
Anthropologue
au CNRS
Cela
fait plusieurs décennies que la France est engagée dans une chasse
aux sorcières qui se fait chaque jour plus insidieuse, plus
implacable.
Le
récent scandale provoqué par l’arrêt de la Cour de cassation,
dans le litige qui oppose à son employeur une femme licenciée d’une
crèche pour avoir refusé d’enlever son voile, n’en est que le
dernier rebondissement.
Comme
dans chacun des épisodes précédents, la réaction dans les médias
est quasi unanime et présente la laïcité comme une citadelle
assiégée par l’islam.
L’ex-présidente
de la Haute autorité contre les discriminations et pour l’égalité
(Halde), Jeannette Bougrab, estime que « la dernière digue a cédé
» et que la république est menacée.
Un
groupe d’intellectuels réclame déjà à cor et à cri un
aménagement du droit pour étendre la laïcité au secteur privé
(sic) et interdire aux femmes dites voilées l’accès aux
professions de la petite enfance. Comme en écho, le Défenseur des
droits réclame une « clarification » de la loi et le gouvernement
s’est dores et déjà dit prêt à en examiner l’opportunité.
Une loi de plus sur le voile ?
« Une maman de confession musulmane portant le voile peut-elle entrer dans une école chercher son enfant ? »
Des femmes dont on dénie les droits les plus élémentaires
L’acharnement
dans la traque du voile ressemble au jeu cruel d’un enfant qui
arrache une à une les ailes d’une mouche. Après que l’on eut
exclu des jeunes filles des collèges publics et incité – au nom
de la laïcité et du refus du communautarisme – à les enfermer
dans des écoles musulmanes, des mères ont été interdites
d’accompagnement des sorties scolaires, puis décrétées
indésirables à la porte des écoles.
Le
foulard a été proscrit des photos des pièces d’identité, signe
s’il en est de l’appartenance nationale. Ecoles, crèches,
hôpitaux, police, administrations, services parapublics doivent être
purgés de leurs femmes voilées et le secteur privé emboîte le
pas.
Ces
femmes voilées devraient disparaître de la vue du public, et
particulièrement des jeunes enfants, comme si elles constituaient
une intolérable obscénité. Les universités ne sont pas en reste,
qui déjà sont tentées de faire enlever leur foulard aux
étudiantes.
La
burqa a été bannie de l’espace public au terme d’un gigantesque
emballement médiatico-politique pour quelques centaines de cas
recensés : une unanimité facilement acquise derrière un
gouvernement engagé dans la promotion de l’identité nationale.
Une
chanteuse (Diams) a été traînée dans la boue par la presse pour
avoir discrètement posé un bonnet sous sa capuche de rappeuse, et
les dénigrements les plus virulents émanaient d’une secrétaire
d’Etat l’accusant d’être « un vrai danger pour les jeunes
filles des quartiers populaires ».
Une
militante du Nouveau parti anticapitaliste (NPA) a subi la même
campagne houleuse qui a tenté de l’empêcher de présenter sa
candidature à des élections… La liste continue à s’allonger
des femmes dont on dénie les droits les plus élémentaires –
droit à la scolarisation, droit au travail, droit d’accompagner
leurs enfants à l’école, éligibilité – pour une pièce de
tissu recouvrant leurs cheveux.
Derrière le voile, une religion : l’islam
Derrière
le voile, une religion : l’islam. La laïcité ne serait plus la
séparation de l’Etat et de la religion, elle ne serait plus la
neutralité de l’Etat vis-à-vis des religions, ni ce principe
visant à garantir le droit de pratiquer le culte de son choix et le
droit d’exprimer librement ses convictions.
Dans
son nouvel habillage, la laïcité devrait extirper toute
manifestation de la religion (c’est-à-dire de l’islam) d’une
sphère publique qui s’avère à géométrie variable, puisqu’il
s’agirait non plus seulement de l’extirper de l’Etat, mais de
l’espace public (pourtant lieu par excellence de l’expression de
la liberté d’expression) et désormais du secteur privé.
Le
droit ne le permet pas ? Il n’y a qu’à le détourner. « Aux
élus de nous sortir de la confusion » dit l’appel « pour une loi
sur les signes religieux ». « Notre loi doit impérativement être
modifiée […] nous en appelons au législateur. »
Par
petites touches, en prenant le prétexte des signes religieux, qui
fait illusion malgré son caractère ouvertement fallacieux, une
législation dérogatoire pour l’islam se fabrique, comme au temps
des colonies, lorsqu’il fallait surseoir au principe fondateur du
droit français depuis l’abolition des privilèges en 1789 –
l’égalité de tous devant la loi – pour doter les « indigènes
» d’un statut particulier.
L’idée d’une incompatibilité de l’islam avec une république laïque
Faut-il
rappeler que la loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat ne
s’est jamais appliquée dans les trois départements de l’Algérie
« française » et que la « république laïque » a substitué à
la catégorie « indigène » celle de Français musulman d’Algérie
(FMA) pour restreindre les droits de ceux qu’elle désignait ainsi
jusqu’à la fin de la guerre d’Algérie et au-delà ?
Cette
histoire n’est pas si ancienne. C’était alors la République qui
imposait une censure sévère sur toute expression critique de sa
politique coloniale. Alors que la question du foulard n’en finit
pas de rebondir pour servir de prétexte à de continuelles
restrictions de l’expression de l’islam dans la société
française, c’est l’islam qui est très directement accusé de
constituer une menace pour la liberté d’expression.
Une
telle rhétorique fondée sur l’inversion fantasmatique des
rapports réels est une caractéristique récurrente des politiques
d’oppression. L’idée d’une incompatibilité de l’islam avec
une République laïque était il y a trente ans portée, au mieux,
par quelques dizaines d’intellectuels qui s’exprimaient
constamment dans les médias. Ils partageaient en cela parfaitement
les idéaux des mouvements intégristes qui prenaient de l’ampleur
dans le monde à la même période.
L’idée a gagné les médias
C’est
une idée qui a largement gagné les médias, et ceux-ci multiplient
les sondages visant à montrer qu’elle est désormais répandue
dans les deux tiers, voire les trois quarts de la population
française. Depuis trente ans cependant, toutes les études sérieuses
ont montré que les musulmans en France ne se distinguaient pas par
leurs opinions des autres citoyens et adhéraient en particulier
massivement au principe d’un Etat laïc.
N’est-ce
pas la « République », par la voix de ceux qui s’en revendiquent
les défenseurs, qui proclame son incompatibilité avec l’islam,
avançant chaque jour d’un cran dans la violence verbale et
symbolique, exigeant sans cesse de nouveaux dispositifs juridiques ?
Que l’islam soit une menace pour la France était jadis l’un des
slogans du Front national. Ce temps semble déjà très loin.
Des
intellectuels ont depuis largement pris le relais pour accréditer
cette idée, avec une efficacité bien plus redoutable, et une
agressivité qui ne cesse de s’amplifier.
Sous les foulards, les bonnets et les hidjabs, ce sont des femmes
Certains
de ses mouvements, de ses courants et de ses figures intellectuelles
tentent de faire du féminisme un appareil idéologique d’Etat,
pièce maîtresse de l’idéologie de l’identité nationale qui
s’érige sur le culte de la république et le rejet symétrique de
l’islam. La sacralisation de la laïcité et sa production en
slogan politique déconnecté de ses ancrages juridiques historiques
est le dispositif central de cette collusion.
Par
les exclusions qu’il prononce, cet ordre nationaliste du « genre »
qui se construit n’est pas moins sexiste et violent que le vieil
ordre sexuel qu’il a remplacé ni que le machisme qu’il prétend
aujourd’hui combattre en arrachant leur voile aux musulmanes.
Car
derrière le voile, l’islam, mais sous les foulards, les bonnets et
les hidjabs, ce sont des femmes. Ce sont des femmes que l’on
regarde de travers, que l’on montre du doigt, que l’on érige en
menace, en souillure dont il faut préserver les enfants, des femmes
dont on restreint chaque jour un peu plus les droits.
Ce
sont des femmes – et non des hommes – qui sont expressément
visées, qui subissent l’opprobre le plus violent et qui se voient
interdire l’accès aux espaces publics, de l’école, du travail…
et sans doute bientôt des élections.
Si
ce sont des femmes que l’on persécute de la sorte, c’est
qu’elles sont perçues comme vulnérables et doublement inférieures
parce que femmes et parce que porteuses d’une religion considérée
comme étrangère.
Ne comprennent-elles pas qu’on veut faire leur bien, ces ingrates ?
Le
féminisme des années 70 se donnait comme objectif d’émanciper
les femmes, toutes les femmes. Ce n’est plus le cas de certains
courants du féminisme contemporain qui, en s’adossant à l’Etat,
prononcent des excommunications et secrètent des figures de
sorcières malfaisantes.
Ne
comprennent-elles pas qu’on veut faire leur bien, ces ingrates, ces
salopes ? Les prises de position médiatiques se déchaînent :
lorsqu’elles ne sont pas victimes ou aliénées, c’est qu’elles
sont comploteuses, manipulatrices, dangereuses.
De
la femme qui refuse de se soumettre à la salope, la prostituée, il
n’y a jamais qu’une frontière ténue, car la femme scandaleuse
est par définition celle qui échappe aux prescriptions et ne se
cantonne pas à la place qui lui est assignée.
Et
dans les campagnes médiatico-politiques qui se déploient, il en va
effectivement des femmes voilées comme des prostituées : au nom de
la laïcité, au nom de l’égalité homme-femme, au nom de la
république, cette nouvelle Trinité du « bien », la frénésie qui
tente de les faire disparaître de la vue en prétendant les arracher
à leur soumission, cette frénésie ne semble connaître aucune
limite.
Ces sorcières du temps présent dans leurs voiles maudits
Cette
frénésie a un nom, et ce nom est particulièrement inquiétant :
c’est une véritable entreprise de purification nationale qui peu à
peu s’est mise en place à partir de la première « affaire du
voile » des années 90. Et il serait temps d’en prendre
conscience, car il ne peut y avoir aucune limite à une telle
entreprise de purification.
Son
objet étant fantasmatique, la poursuite de son éradication ne
pourra trouver aucune borne. A l’invention de quel genre de bûcher
va-t-on assister demain pour brûler ces sorcières du temps présent
dans leurs voiles maudits ?
Cette analyse percutante "dévoile" l'ampleur de la dérive et les ravages du décervelage...
RépondreSupprimerA quand une campagne de réaction à la hauteur ?