Morales, Batho : Les radios du matin demeurent l'oreille collée à la serrure des palais
Cas
d'école : deux nouvelles, de la veille et de la nuit, se disputent
au réveil l'attention du matinaute. La veille, le limogeage de la
ministre de l'écologie française Dephine Batho, coupable d'avoir
déclaré que son budget était "mauvais". Et
dans la nuit, l'escale forcée à Vienne, en provenance de Moscou, du
président bolivien Evo Morales, la France et le Portugal lui
ayant interdit le survol de leur territoire, pensant (apparemment à
tort) que Edward Snowden se trouvait à bord. Batho, Morales : deux
réprouvés, deux tricards, sur lesquels s'excitent à égalité les
Twittos de la nuit.
Batho était-elle une bonne ministre? Est-ce
Hollande en personne qui a pris la décision d'interdire l'espace
aérien à Morales ? A-t-elle été virée parce qu'elle était une
femme, parce qu'elle était nulle, ou parce qu'elle avait eu le
courage de l'ouvrir ? Les Etats-Unis ont-ils fait pression sur la
France et Portugal ? Et le réchauffement, tout le monde s'en fout,
désormais, du réchauffement ? Les Etats-Unis jouissent-ils
désormais d'une totale immunité ? Bref, deux sujets en concurrence,
deux sujets qui incitent au développement, aux éclairages, aux
prolongements, aux indignations, (et je ne parle pas du feuilleton
égyptien, qui se poursuit, mais n'est pas une nouvelle de la veille,
à proprement parler).
11h30:
la France et l'Espagne ont démenti mercredi matin avoir interdit à
l'avion de Morales d'utiliser leur espace aérien.
Et
dans les radios du matin ? Surprise : un de ces deux sujets a disparu
des écrans radar, devinez lequel. Sur Batho, oui, on s'étripe, on
s'interpelle, la grande machine Legrand-Aphatie-Cohen déploie toute
ses talents, une ministre de l'écologie virée après un couac,
c'est du bon, que du bonheur, du soleil dans la grisaille.
Mais
sur Morales en transit forcé à Vienne, rien. Rien d'autre qu'une
brève dans le journal de 8 heures de France Inter, sur "le
voyage mouvementé du président bolivien". Ah, ces Sud
Américains, ces Alcazar, ces Tapioca, irrésistibles, vraiment. Ils
n'en feront jamais d'autres. Rien sur la crise diplomatique qui se
profile avec toute l'Amérique du Sud offensée (lire la remarquable
couverture en direct du Guardian). Pas l'ombre d'une question sur cet
alignement nocturne hollandien sur Obama, à peine trois jours après
qu'on ait fait mine de s'offusquer sur les grandes oreilles
américaines. Pas de question aux ministres qui passent devant
les micros. Soyons juste : une responsable politique a réagi (au
micro de RMC). "Si c'est vrai, la France est devenue un pays
sous tutelle totale des Etats-Unis". Elle s'appelle Marine Le
Pen. Rage. Rage de se sentir en accord avec Le Pen.
Que
nous dit cette disproportion ? Deux choses (et sans doute bien
d'autres). D'abord,la confirmation de ce qu'écrivait ici notre
nouveau chroniqueur Georges Marion, sur le sort peu enviable qui,
aujourd'hui comme hier, guette les lanceurs d'alerte, et auquel l'ère
radieuse d'Internet n'a pas changé grand chose. Pendant que s'agite
la Toile, pendant que se déploie la Finance où on la laisse se
déployer, les Etats conservent dans l'ombre leurs ancestrales
prérogatives, leurs cabinets noirs, leurs oubliettes, leurs lettres
de cachet. Et leurs gazettes d'antichambre. Car la surdité à
l'affaire Snowden-Morales des radios du matin montre bien comme elles
demeurent l'oreille collée à la serrure des palais des princes,
plutôt qu'à la voix de la rue.
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