Tour de France : le Ventoux de la peur
Ventoux.
Le nom siffle aux oreilles des coureurs, claque comme une menace,
assombrit les regards, tend les traits. Les images défilent, les
souvenirs déferlent portés par un vent entêtant (jusqu'à 200
km/h), celui d'une histoire marquée par les drames et les
défaillances balayant un paysage désertique. Lunaire. Le mont
Ventoux, planté à 20 kilomètres de Carpentras. Une verrue. Une
incongruité qui s'aperçoit à 100 kilomètres à la ronde. «Le
mont Chauve», «le Géant de Provence». Un haut lieu du Tour de
France.
Dimanche,
la 15e étape Givors-mont Ventoux, la plus longue de cette 100e
édition du Tour (242,5 km), écrira un nouvel épisode de cette
ascension redoutée, visitée pour la quinzième fois par le Tour.
«Peu de souvenirs heureux s'attachent à ce chaudron de sorcières
qu'on n'aborde pas de gaieté de cœur. Nous y avons vu des coureurs
raisonnables confiner à la folie sous l'effet de la chaleur et des
stimulants, certains redescendre les lacets alors qu'ils croyaient
les gravir, d'autres brandir leur gonfleur au-dessus de nos têtes en
nous traitant d'assassins», a écrit Antoine Blondin dans L'Équipe
pour décrire ce site. Roland Barthes, dans Mythologies, évoquait
lui: «Un Dieu du mal auquel il faut sacrifier. Véritable Moloch,
despote des cyclistes, il ne pardonne jamais aux faibles, se fait
payer un tribut injuste de souffrance.»
«Certains
y ont perdu la vie»
La
route a été ouverte en 1882 quand fut planté l'observatoire
météorologique. Le Tour de France y passe régulièrement depuis
1951. Sans en abuser. Comme pour ne pas banaliser le voyage hors du
temps marqué, hanté, par le décès de Tom Simpson le 13 juillet
1967 au cœur d'une journée brûlante qui fut appelée «l'étape de
la soif». Images en noir et blanc, ce blanc sans filtre éblouissant
renvoyé par le décor rocailleux brûlé à la chaux vive. Tête
penchée et corps désarticulé, un pantin tombe avant d'être remis
en selle. Puis de s'effondrer trois cents mètres plus loin.
Terrassé. Par un mélange d'amphétamines, de chaleur, de fatigue et
des effets de l'altitude. D'autres défaillances, telles celles de
Jean Malléjac, Ferdi Kubler ou Eddy Merckx ont ensuite tissé
l'histoire de cette ascension hors normes, fait de ce passage une
épreuve.
Le
Ventoux a une histoire. Que le Tour connaît, respecte, craint.
«Certains y ont perdu la vie, d'autres du temps, d'autres le Tour.
Le Ventoux a un aspect scénographique, topographique fort. Là-haut,
il n'y a rien. Juste le vent. Il n'y a plus de repères, pas de
forêt, pas de verdure, pas de paysage. Rien. Le Ventoux traîne une
réputation. Il s'agit d'une montée dans laquelle il ne faut pas se
retrouver isolé. Si on perd une roue, on peut amèrement et
longtemps le regretter», résume John Lelangue, le manager de
l'équipe BMC. «Il s'agit du col le plus difficile que je connaisse
en France. La pente est rude, l'ascension interminable, 20
kilomètres», plante Stéphane Heulot, le manager de la formation
Sojasun. «La chaleur, les spectateurs, tout cela excite. Il y a des
cols plus pentus qui font moins mal. Le Ventoux est unique», glisse
Bernard Thévenet, lauréat d'une étape en 1972.
«L'ascension
se fait en deux tempos, la partie la plus difficile en forêt,
l'autre en plein vent. Le Ventoux ne permet pas la moindre relâche.
Et l'approche est en prise. Il m'est arrivé d'être dans le dur
avant même de passer le panneau indiquant le début de l'ascension»,
rapporte Thomas Voeckler (Europcar). Jean-François Bernard y a vécu
un jour de gloire en 1987. Lors d'un contre-la-montre inoubliable et
victorieux en s'emparant du maillot jaune: «On m'en parle encore.
Les gens ont oublié le reste. Le Ventoux est figé dans les
souvenirs par les noms des vainqueurs qui s'y attachent et aussi
parce qu'il y a eu peu de visites. C'est toujours un moment fort.
C'est un endroit où il peut toujours se passer quelque chose. Cette
année, ce serait bien que Thibaut Pinot s'impose au sommet et que
Chris Froome n'ait plus que 30 secondes d'avance au classement
général. Ce serait une belle histoire...»
Pris
au piège et isolé hier, le maillot jaune peut appréhender ce
rendez-vous au sommet avec crainte. Ses dauphins, le Néerlandais
Bauke Mollema et l'Espagnol Alberto Contador, lui ont repris plus
d'une minute. Et semblent déterminés à le harceler. «Le Ventoux
fait peur. C'est souvent écrasé de chaleur et balayé par le vent,
de nombreux coureurs passent à travers. L'étape va faire des
dégâts...», pronostique Thibaut Pinot, le grimpeur de l'équipe
FDJ.fr. Brûlant de rentrer à son tour dans la légende.
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