Comment les Espagnols meurent à crédit pour leurs banques
En lisant cet article ayons une pensée pour Michel Madec
Depuis 2008, plus de 362 000 foyers espagnols ont été victimes de saisies immobilières, entraînant dans plusieurs cas des suicides… Le gouvernement, en connivence avec les banques, refuse de modifier une loi sur les hypothèques obsolète et inhumaine. Celle-ci permet au créancier, les banques, de gagner sur tous les tableaux et de s’enrichir sur la misère. Les mouvements citoyens s’organisent pour freiner les expulsions et changer la loi.
Pendant
que le chef du gouvernement espagnol, Mariano Rajoy, lisait son
discours sur l’état de la Nation, le 20 février dernier, une
femme s’immolait par le feu dans une succursale bancaire de
Castelló (région de Valence). Brûlée à 50%, elle serait une
victime de plus des cas des saisies immobilières qui se multiplient
dans le pays : 362 776 saisies depuis 2008, d’après une étude de
la Plateforme des victimes de crédits hypothécaires (PAH), une
association citoyenne. L’issue est parfois fatale… Depuis l’été
dernier, une quinzaine de personnes se sont défenestrées le jour où
elles allaient être expulsées de leur domicile.
Pas
un mot, pourtant, du chef du gouvernement sur ce sujet dans son
discours. Sauf lorsque les députés de la gauche plurielle
(minoritaires) ont insisté sur la nécessité de réformer la loi
sur les hypothèques, l’une des plus drastiques et obsolètes –
elle date de 1909 – d’Europe. En Espagne, toute personne se
retrouvant en défaut de rembourser son crédit immobilier, perd non
seulement sa maison mais est condamnée à rembourser le reste du
prêt concédé par la banque, prêt qui ne fait qu’augmenter avec
les taux d’intérêt variables et les pénalités pour retard de
paiement.
Business
et spéculation sur la misère
Petit
exemple pratique pour bien comprendre le « jeu de bonneteau » des
banques avec les crédits hypothécaires… Une famille souscrit un
prêt immobilier pour acheter une maison, mais se retrouve en défaut
de paiement quelques années plus tard. Si aucun accord de
refinancement de la dette n’est atteint avec la banque, la
propriété est saisie et mise en vente par adjudication judiciaire.
La loi espagnole autorise les banques à participer à ces enchères
et à racheter les propriétés à un minimum de 60% de leur valeur
initiale si elles sont les seules à enchérir. Mais elles ont
trouvé une parade pour contourner la loi à leur profit : elles ont
créé leurs propres sociétés immobilières qui interviennent aussi
dans les enchères comme « tiers » et qui peuvent donc racheter les
propriétés à un pourcentage encore plus bas de leur valeur
initiale. Tout reste donc dans le patrimoine de la banque ! Résumons
: dans le « meilleur » des cas, la banque réussit non seulement à
se faire rembourser le prêt majoré des pénalités de retard, mais
elle dégagera aussi un bénéfice avec la revente de la propriété.
D’où
un projet de loi citoyen – une initiative législative populaire
(ILP) – lancé par les victimes de crédits hypothécaires, et
soutenu par les députés de gauche. Ce projet demande l’arrêt des
expulsions des logements principaux, l’instauration de loyers
sociaux, et la possibilité pour les personnes endettées de
rembourser leur dette sous le principe de la « dation en paiement »,
un principe qui permet de payer sa dette en l’échangeant contre un
autre bien [1]. L’initiative a obtenu 1,4 million de signatures,
soit largement de quoi pouvoir la soumettre au débat parlementaire.
Plainte
de l’Équateur
Toujours
selon la loi en vigueur sur les hypothèques, l’emprunteur
insolvable peut aussi voir une partie de son salaire et ses autres
biens immobiliers saisis pour éponger sa dette. Ce dernier aspect a
attiré l’attention du président de l’Équateur, Rafael Correa,
dont de nombreux concitoyens, victimes de saisies immobilières en
Espagne, ont craint de devoir répondre de leurs dettes avec leur
patrimoine en Équateur [2]. Il a introduit des amendements à la loi
sur les hypothèques de son propre pays – qui était similaire à
la législation espagnole – en prescrivant la dation en paiement et
en limitant la responsabilité de l’emprunteur aux seuls biens
hypothéqués en cas de saisie. Le Défenseur du Peuple équatorien –
l’équivalent du défenseur des droits en France – a également
déposé une plainte auprès de la Cour européenne des droits de
l’homme pour dénoncer les abus de la législation espagnole en
matière de saisies immobilières (mise à jour : la plainte a été
jugée le 14 mars).
Malgré
tout, le gouvernement espagnol refuse toujours de légiférer en
faveur des mesures proposées par la Plateforme des victimes de
crédits hypothécaires. Pour les économistes et magistrats proches
de cette association citoyenne, il n’y a pas de doute : les crédits
hypothécaires sont un négoce trop juteux... Le ministre de
l’Économie espagnol, Luis de Guindos, ne s’en est pas caché : «
En Espagne, les hypothèques se paient et je crois que c’est
quelque chose qu’il faut encourager, parce que c’est l’un des
points forts de notre pays. »
180
milliards pour les banques, austérité pour les citoyens
Pour
Miguel Angel Pérez, ancien directeur de banque et aujourd’hui
membre actif de la Plateforme, « le gouvernement n’a jamais voulu
attenter aux privilèges de la banque. La banque est celle qui
gouverne et elle n’est pas disposée à faire du social avec son
bien ». Jorge Fonseca, professeur d’économie internationale à
l’Université polytechnique de Madrid et membre d’Attac Espagne
explique à son tour : « Les banques ne veulent pas octroyer la
dation en paiement, et encore moins de façon rétroactive, car elle
apparaîtrait comme une perte dans leur bilan comptable ».
A
l’heure où l’Espagne a tant besoin des crédits européens,
elles sont soucieuses de « montrer patte blanche », d’autant plus
que la Banque centrale européenne (BCE) exige que les actifs
toxiques soient provisionnés. Qu’à cela ne tienne ! Le
gouvernement a créé une société de gestion d’actifs immobiliers
pour racheter aux banques leurs actifs toxiques, qui se chiffreraient
à 180 milliards d’euros, d’après les données du ministère de
l’Économie espagnol ! Et ce, en partie avec… de l’argent
public [3] ! Quelle que soit la donne, la banque gagne sur tous les
tableaux.
Résistance
citoyenne
Les
victimes de saisies immobilières ne peuvent compter que sur des
collectifs citoyens pour s’en sortir. Depuis 2008, la Plateforme
des victimes de crédits hypothécaires a réussi à stopper 577
expulsions sur toute l’Espagne. Sous sa pression, le gouvernement a
fini par accepter que le projet de loi citoyen soit soumis au débat
parlementaire, même si le parti majoritaire (le Parti populaire) a
déjà averti qu’il votera contre. « La loi sera modifiée tôt ou
tard », affirme cependant Rafael Mayoral, l’un des avocats de la
plateforme. « C’est une nécessité sociale imparable et pas moins
de deux tribunaux internationaux [la Cour de justice de l’Union
européenne et la Cour européenne des droits de l’homme] sont en
train d’examiner la législation espagnole et pourraient bien
forcer le gouvernement à la modifier pour violation des droits
fondamentaux des personnes. »
La
Plateforme compte sur le soutien direct d’avocats et de
psychologues bénévoles pour aider les victimes des banques. Ses
revendications sont partagées par une partie de plus en plus grande
de la magistrature et par l’un des syndicats policiers espagnols,
le SUP (depuis l’année dernière, au moins un policier et un
pompier espagnols ont été mis à pied pour avoir refusé de
participer à une expulsion). « Le gouvernement sait parfaitement
que tant que la loi ne sera pas modifiée nous lui rendrons la vie
impossible », conclut Vicente Pérez, l’un des porte-paroles de la
Plateforme à Madrid. À bon entendeur…
Texte
: Nathalie Pédestarres
Photos
: PAH et © Serge Bonnet
Photos
:
-
Des victimes de saisies immobilières ont protesté pendant près de
6 mois devant le bureau central de Bankia, à Madrid.
Notes
[1]
Fin 2012, le gouvernement a émis deux décrets-lois qui prévoient
de suspendre pendant deux ans les expulsions de « collectifs
particulièrement vulnérables » (qui représenteraient seulement 4%
de l’ensemble des victimes des saisies, selon la PAH) et qui fait
de la dation en paiement une mesure à caractère volontaire, que la
banque est libre ou non de négocier avec ses clients.
[2]
En 2011, la banque Pichincha (Équateur) rachetait à Caja Madrid
(aujourd’hui Bankia) les crédits de plus de 500 clients
équatoriens établis en Espagne (pour une valeur totale de 5,5
millions d’euros), sans que ces derniers en soient informés au
préalable. Ils ont alors craint de devoir répondre de leurs dettes
en Espagne avec leurs biens en Équateur.
[3]
Une pratique dénoncée par l’Association espagnole des usagers de
banques, caisses d’épargne et assurances (ADICAE).
Exigeons de modifier la loi.
RépondreSupprimerOui à la résistance citoyenne espagnole
les peuples d'Europe doivent s'unir et se révolter, s'indigner ne suffit plus...
RépondreSupprimerHasta la victoria siempre