L’Amérique latine après Chávez
Luiz
Inácio Lula da Silva
ancien
président du Brésil
L’histoire
confirmera, à juste titre, le rôle joué par Hugo Chávez dans
l’intégration de l’Amérique latine et l’importance de ses
quatorze années de présidence pour les pauvres du Venezuela, où il
est mort mardi (5 mars) après une longue lutte contre le cancer.
Toutefois,
avant de permettre à l’histoire de nous dicter son interprétation
du passé, nous devons disposer d’une compréhension claire de la
signification de l’oeuvre de Monsieur Chávez, à la fois dans le
contexte politique national et international. Ce n’est qu’ensuite
que les dirigeants et les peuples d’Amérique du Sud - on peut
d’ailleurs affirmer que celle-ci constitue aujourd’hui la région
la plus dynamique au monde - pourront définir clairement les tâches
qui nous attendent.
Et ce, afin que nous puissions consolider les avancées vers l’unité internationale réalisées ces dix dernières années. Ces tâches ont acquis une importance nouvelle maintenant que nous sommes privés de l’aide apportée par l’énergie sans limite de Monsieur Chávez, par sa confiance profonde dans le potentiel d’intégration des nations d’Amérique latine, et par son engagement en faveur des transformations sociales nécessaires au soulagement de la misère de son peuple.
Et ce, afin que nous puissions consolider les avancées vers l’unité internationale réalisées ces dix dernières années. Ces tâches ont acquis une importance nouvelle maintenant que nous sommes privés de l’aide apportée par l’énergie sans limite de Monsieur Chávez, par sa confiance profonde dans le potentiel d’intégration des nations d’Amérique latine, et par son engagement en faveur des transformations sociales nécessaires au soulagement de la misère de son peuple.
Les
campagnes sociales de Monsieur Chávez, notamment dans les domaines
de la santé publique, du logement et de l’éducation, ont réussi
à améliorer le niveau de vie de dizaines de millions de
Vénézuéliens.
Personne
n’est obligé d’être d’accord avec tout ce qu’a dit ou fait
Monsieur Chávez. Il ne fait aucun doute qu’il était un personnage
controversé qui laissait rarement indifférent. Il ne refusait
jamais le débat. Pour lui, aucun sujet n’était tabou. Je dois
avouer que j’ai souvent eu le sentiment qu’il aurait été plus
prudent pour lui de ne pas dire tout ce qu’il a dit. Mais c’était
une de ses caractéristiques et elle ne devrait pas, si peu que ce
soit, porter le discrédit sur ses qualités.
Chacun
peut également être en désaccord avec l’idéologie de Monsieur
Chávez et avec un style politique que ses contempteurs qualifiaient
d’autocratique. Il n’a jamais fait des choix politiques faciles
et n’a jamais hésité dans ses décisions.
Cependant,
toute personne un tant soit peu honnête - même parmi ses opposants
les plus virulents - est obligée de reconnaître le haut niveau de
fraternité, de confiance et même d’amour qu’éprouvait Monsieur
Chávez pour les pauvres du Venezuela et pour la cause de
l’intégration latino-américaine. Des nombreux personnages
influents et responsables politiques que j’ai côtoyés dans ma
vie, peu ont autant cru dans l’unité de notre continent et de ses
populations diverses – Indiens indigènes, descendants d’Européens
et d’Africains, immigrants récents – que lui.
Monsieur
Chávez a joué un rôle de premier plan dans le traité de 2008 qui
a établi l’Union des nations sud-américaines (Unasur), une
organisation intergouvernementale composée de 12 pays qui pourrait,
un jour, faire avancer le continent vers le modèle de l’Union
européenne. En 2010, la Communauté des États d’Amérique latine
et de la caraïbes (Celac) a franchi le pas de la théorie à la
pratique en offrant un forum politique continentale parallèle à
l’Organisation des États américains (OEA). Elle n’inclut pas
les États-Unis et le Canada, contrairement à l’OEA. La Banque du
Sud, nouvel organisme de prêt, indépendant de la Banque mondiale et
de la Banque inter-américaine de développement, n’aurait pas non
plus vue le jour sans l’initiative de Monsieur Chávez. Enfin, il a
également démontré un vif intérêt pour le renforcement des
relations entre l’Amérique latine, l’Afrique et le monde arabe.
Si
un personnage public disparaît sans laisser d’idées, son héritage
et l’esprit qui l’animait disparaissent aussi. Ce n’est pas le
cas de Monsieur Chávez, figure forte, dynamique et inoubliable, dont
les idées seront discutées pendant des décennies dans les
universités, les syndicats, les partis politiques, et partout où
les gens s’intéressent à la justice sociale, au recul de la
misère, et à une distribution plus juste du pouvoir entre les
peuples du monde. Peut-être ses idées serviront-elles d’inspiration
aux jeunes dans l’avenir, comme la vie de Simón Bolívar, le grand
Libertador de l’Amérique latine, a inspiré Monsieur Chávez
lui-même.
Son
héritage dans le domaine des idées demandera encore du travail pour
que ces dernières deviennent une réalité dans le monde brouillon
de la politique, où les idées sont débattues et contestées. Sans
lui, le monde aura besoin que d’autres dirigeants fassent preuve
des mêmes efforts et de la même volonté pour que ses rêves ne
subsistent pas que sur le papier.
Pour
maintenir vivant cet héritage, les partisans de Monsieur Chávez au
Venezuela ont encore beaucoup de travail devant eux afin de
construire et renforcer les institutions démocratiques. Ils devront
aider à rendre le système politique plus intégré et plus
transparent ; à rendre la participation à la vie politique plus
accessible ; à renforcer le dialogue avec les partis d’opposition
; et à consolider les syndicats et la société civile. L’unité
du Venezuela, et la survie des succès durement obtenus par Monsieur
Chávez, l’exigeront.
C’est
sans aucun doute le souhait de tous les Vénézuéliens – qu’ils
soutiennent ou s’opposent à Monsieur Chávez, qu’ils soient
militaires ou civils, catholiques ou évangélistes, riches ou
pauvres – que se réalise le potentiel d’une nation aussi riche
de promesses que la leur. Seules la paix et la démocratie peuvent
faire que ces aspirations deviennent réalité.
Les
institutions multilatérales que Monsieur Chávez a contribué à
créer aideront aussi à parvenir à la consécration de l’unité
sud-américaine. Il ne sera plus présent aux sommets sud-américains,
mais ses idéaux, ainsi que le gouvernement du Venezuela,
continueront à être représentés. La fraternité démocratique
entre les dirigeants de l’Amérique latine et des Caraïbes est la
meilleure garantie de l’unité politique, économique, sociale et
culturelle que veulent nos peuples, et dont ils ont besoin.
Dans
ce mouvement vers l’unité, nous avons atteint un point de
non-retour. Mais aussi déterminés que nous soyons, nous devons
l’être plus encore quand nous négocions la participation de nos
nations dans les forums internationaux comme les Nations unies, le
Fonds monétaire international et la Banque mondiale. Ces
institutions, nées sur les cendres de la Deuxième guerre mondiale,
ont insuffisamment répondu aux réalités du monde multipolaire
d’aujourd’hui.
Charismatique
et singulier, capable de forger des amitiés, de communiquer avec les
masses comme peu d’autres dirigeants avant lui, Monsieur Chávez
nous manquera. Je chérirai toujours l’amitié et l’esprit de
partenariat qui, pendant les huit années où nous avons travaillé
ensemble comme présidents, ont amené tant d’effets positifs pour
le Brésil et le Venezuela, et pour nos peuples.
Luiz
Inácio Lula da Silva, président du Brésil de 2003 à 2010, est
président honoraire de l’Institut Lula, dédié aux relations
entre le Brésil et l’Afrique.
Ce
texte a été traduit du portugais (vers l’anglais) par Benjamin
Legg et Robert M. Sarwark et publié sur le site du New York Times :
http://www.nytimes.com/2013/03/07/opinion/latin-america-after-chavez.html
Traduction
française : Bernard Leprêtre
Edition
: Mémoire
des luttes
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