Quand la Grèce et l’Espagne aidaient l’Allemagne d’après-guerre à se reconstruire
Il
y a eu soixante ans le 27 février 2013, un accord a été conclu à
Londres pour annuler la moitié de la dette de l’Allemagne
d’après-guerre. Cette annulation, et la façon dont cela a été
fait, est essentielle à la reconstruction de l’Europe de
l’après-guerre. Elle est en contraste frappant avec la souffrance
infligée aux peuples européens aujourd’hui au nom de la dette.
L’Allemagne
a émergé de la seconde guerre mondiale en supportant encore des
dettes originaires de la première guerre mondiale : les réparations
imposées au pays suite à la conférence de paix de Versailles en
1919. Beaucoup, y compris John Maynard Keynes, ont fait valoir que
ces dettes impayables et les politiques économiques qui en
découlaient ont conduit à la montée du nazisme et à la seconde
guerre mondiale.
En
1953, l’Allemagne avait également des dettes due aux prêts pour
la reconstruction effectués immédiatement après la fin de la
seconde guerre mondiale. Parmi les créanciers de l’Allemagne, on
trouvait la Grèce et l’Espagne, le Pakistan et l’Egypte, ainsi
que les États-Unis, le Royaume-Uni et la France.
La
dette allemande était bien inférieure aux niveaux observés en
Grèce, en Irlande, au Portugal et en Espagne d’aujourd’hui, et
ne représentait qu’un quart du revenu national. Mais même à ce
niveau, la préoccupation était vive que le service de la dette
obligerait à utiliser de précieuses recettes en devises et
mettraient en danger la reconstruction.
Ayant
besoin d’une Allemagne de l’Ouest forte comme rempart contre le
communisme, les créanciers du pays se sont réunis à Londres et ont
montré qu’ils avaient compris comment aider un pays qu’on
souhaite voir sortir des ruines. Ils ont également montré avoir
compris que la dette ne peut jamais être considérée comme étant
de la responsabilité du seul débiteur. Des pays tels que la
Grèce ont volontairement pris part à un accord pour aider à créer
un environnement stable et prospère en Europe occidentale, malgré
les crimes de guerre qu’avait infligé l’occupant allemand
quelques années auparavant.
L’annulation
de la dette de l’Allemagne a été rapide, avant qu’une vraie
crise n’éclate. L’Allemagne a bénéficié d’une annulation
de 50% de sa dette. L’accord couvrait toutes les dettes, y
compris celles dues par le secteur privé et même les particuliers.
Il a également couvert l’ensemble des créanciers. Personne n’a
été autorisé à s’abstraire de l’accord pour gagner plus que
les autres. Tous les problèmes ont été traités par des
négociations entre égaux, plutôt que par des sanctions ou
l’imposition de politiques non démocratiques.
Peut-être
l’aspect le plus novateur de l’accord de Londres était une
clause qui disait que Allemagne de l’Ouest ne devrait payer sa
dette qu’en cas d’excédent commercial, et que les remboursements
étaient limités à 3% des recettes d’exportation chaque année.
Cela signifiait que ces pays qui avaient consenti les créances
devaient acheter les exportations ouest-allemands afin d’être
payés. Cela signifiait que Allemagne de l’Ouest ne paierait que
sur ses gains réels, sans avoir recours à de nouveaux emprunts. Et
cela signifiait que les créanciers de l’Allemagne avaient un
intérêt certain à ce que le pays et son économie soient en plein
essor.
Suite
à l’accord de Londres, l’Allemagne de l’Ouest a connu un «
miracle économique », avec une dette allégée et des années de
croissance. Le médicament administré aux pays lourdement endettés
au cours des 30 dernières années, n’aurait pas pu être plus
différent. La pratique depuis les années 1980 a été de renflouer
les prêteurs imprudents à travers l’octroi de nouveaux prêts,
tout en forçant les gouvernements à mettre en œuvre austérité et
libéralisation du marché au nom de la « compétitivité ».
À
la suite de cela, en Amérique latine et en Afrique dans les années
1980 et 1990, en Grèce, en Irlande et en Espagne d’aujourd’hui,
la pauvreté a augmenté et les inégalités grimpé en flèche. En
Afrique dans les années 1980 et 1990, le nombre de personnes vivant
dans l’extrême pauvreté a augmenté de 125 millions, tandis que
l’économie était en récession. En Grèce aujourd’hui,
l’activité économique a chuté de plus de 20%, tandis que un
jeune sur deux est au chômage. Dans les deux cas, la dette a gonflé.
La
priorité d’un gouvernement endetté aujourd’hui est de
rembourser ses dettes, quel que soit le montant du budget que ces
remboursements consomment. Contrairement à la limite de 3% sur
les paiements de la dette allemande, aujourd’hui, le FMI et la
Banque mondiale estiment qu’une charge qui absorbe jusqu’à
15-25% des recettes d’exportation est « soutenable » pour les
pays pauvres. La charge de la dette grecque représente environ 30%
des exportations.
Lorsque
celle-ci a été « restructurée », cela n’a concerné qu’une
partie de l’ensemble des dettes, et seulement les créanciers qui
souhaitaient y participer. En 2012, seuls les créanciers privés de
la Grèce ont subi une restructuration. Les créanciers qui
détenaient des titres émis selon la loi britannique ou suisse ont
pu la refuser, et poursuivront la Grèce en justice dans les années
à venir.
La
« stratégie » en Grèce, Irlande, Portugal et Espagne aujourd’hui
est de mettre le fardeau de l’ajustement uniquement sur le pays
débiteur, l’obligeant à rendre son économie plus compétitive
grâce à un chômage de masse et des réductions de salaires. Mais
sans que les créanciers comme l’Allemagne soient prêts à acheter
plus de leurs exportations, cela ne marchera pas, et provoquera une
crise sans fin.
L’accord
sur la dette allemande a été un élément clé de la reconstruction
après les dévastations de la seconde guerre mondiale. Dans l’Europe
d’aujourd’hui, la dette déchire le tissu social. Hors d’Europe,
les pays lourdement endettés sont encore contraints à des
politiques d’austérité et des mesures d’ajustement. Le
Pakistan, les Philippines, le Salvador et la Jamaïque consacrent
tous entre 10 et 20% des recettes d’exportation au paiement de la
dette publique extérieure, non compris les paiements de dettes
privées.
Si
nous n’avions pas une expérience concrète de la façon de
résoudre une crise de la dette de manière équitable, nous
pourrions peut-être considérer que les dirigeants européens se
trompent. Mais nous avons l’exemple positif de l’Allemagne il y a
60 ans, et l’exemple dévastateur de la crise de la dette
latino-américaine il y a 30 ans. Les actions des dirigeants
européens sont tout simplement criminelles.
Traduit
par Thomas Coutrot
source
: CADTM
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