Birmanie : "une icône" écornée

D'Aung San Suu Kyi, comme en son temps, d'Ingrid Betancourt, on attendait peut-être trop de grandeur. Quinze années d'exil intérieur avaient conféré à la prix Nobel de la paix 1991 et ex-première opposante à la junte birmane une légitimité quasi indestructible. Celle-ci est en train de s'effondrer sous les coups portés par les extrémistes bouddhistes, appuyés par l'armée, contre les Rohingyas.(Marianne)

"J'aime beaucoup l'armée", a même déclaré la lauréate du prix Nobel de la paix. (L'Express)

 Aung San Suu Kyi assistant aux commémorations de la résistance 
de l'armée birmane contre l'occupation japonaise en 1945. 


En novembre 2012, Marianne avait évoqué ce début de disgrâce en donnant la parole à la journaliste Sophie Ansel, coauteur d'un livre consacré à cette minorité considérée comme la plus persécutée au monde. Notre consœur dénonçait déjà le mutisme têtu de San Suu Kyi, désormais libre de ses mouvements et élue au Parlement, face aux exactions meurtrières dont sont victimes depuis des mois ces populations musulmanes.

Bien qu'installées en Birmanie depuis la fin du XIXe siècle, surtout dans l'Arakan, le long de la frontière avec le Bangladesh dont elles sont issues, leur appartenance à la communauté nationale birmane a constamment été niée. De l'Arakan, les violences se sont récemment déplacées dans le centre du pays, et plus particulièrement dans la ville de Meiktila.

Des dizaines de morts (43 pour le seul mois de mars) et des milliers de déplacés se sont ainsi ajoutés à ceux du mois de juin dernier. Après une brève accalmie, une école musulmane a été incendiée le 2 avril, cette fois à Rangoon, l' ancienne capitale dont les hôtels sont pris d'assaut par une cohorte d'investisseurs étrangers soucieux de ne pas manquer l'énorme marché birman après la relative libéralisation du régime.

Pourtant, Aung San Suu Kyi refuse toujours de condamner explicitement la répression.

Les plus indulgents y voient une prudence calculée pour ne pas tomber dans le piège d'affrontements ethniques que manipuleraient les durs du régime afin de déstabiliser le président, Thein Sein, l'artisan de l'ouverture.

Reste que, au chapitre Rohingyas, Thein Sein se montre on ne peut plus « radical » : « Ils sont entrés illégalement dans le pays et ne font pas partie du système ethnique birman. » (voir Note 1)

Plutôt que de contredire une vision qu'elle sait partagée par une bonne partie de la population bama, l'ethnie majoritaire, San Suu Kyi a préféré participer à la parade annuelle de l'armée, le 27 mars, espérant peut-être y gagner une place de choix à l'issue des élections générales de 2015.

Cette stratégie s'accompagne d'une reprise en main autoritaire de son parti, la Ligue nationale pour la démocratie (LND), qui a entraîné le départ de plusieurs centaines de militants dont certains comptaient parmi les plus actifs. Les Rohingyas, et l'éthique, risquent d'en faire les frais.


NOTES
1- En Birmanie, les déclarations du président Then Sein sur les Rohingyas suscitent la colère dans cette communauté. Ce jeudi 12 juillet, Then Sein a estimé que les membres de cette minorité sont des immigrés illégaux qui devraient être regroupés dans des camps ou être expulsés. En juin déjà, de violents affrontements ont opposé des rohingyas à des membres de la majorité arakane, faisant des dizaines de morts et des milliers de déplacés.

Les déclarations du chef de l’Etat birman ont fait l’effet d’une bombe parmi la grande communauté des exilés rohingyas. « Mon grand-père a été secrétaire parlementaire pendant la période démocratique de 1948 à 1962. Et je ne suis pas citoyen birman ! C’est plutôt surprenant pour moi que le président dise que je suis un immigré clandestin ! », s'est ainsi scandalisé Tun Khin, responsable de l’Organisation des birmans rohingyas de Grande-Bretagne.

La position de Then Sein a d’autant plus surpris que, malgré la répression du précédent régime contre les Rohingyas, il avait lancé un vibrant appel à la fin des violences lors des affrontements meurtriers du mois de juin dans l’Etat d’Arakan. Comme beaucoup d’autres membres de sa communauté, Tun Khin estime que le chef de l’Etat birman montre désormais son vrai visage : « Si l’on s’en tient au communiqué du président Then Sein de ce jeudi, son régime a soutenu les violences récentes contre les Rohingyas. Donc Then Sein est responsable de cette tragédie ».

Il y a quelques semaines, Then Sein avait estimé que les violences intercommunautaires dans l’ouest risquaient de déteindre sur le reste du pays. S’il confirme ses propos anti-Rohingyas, c’est lui-même qui risque d’attiser les braises.

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