France : Retraites, une réforme à la hussarde et sans concertations
Est-ce
de la désinvolture ? Ou bien de la maladresse ? Voire du cynisme ?
En tout cas, le fait est là, stupéfiant : le gouvernement a lancé
la prochaine réforme du système des retraites de la plus mauvaise
des façons. Comme s'il se moquait éperdument des réactions
d'indignation que cela pourrait susciter dans l'opinion et notamment
dans les milieux les plus modestes.
Ce
qu'il y a de stupéfiant, c'est d'abord la forme retenue par l'Elysée
et Matignon pour promouvoir cette réforme. Nulle véritable
concertation ! Nul débat approfondi pour tenter de trouver des
pistes nouvelles ou originales - il en existe ! - qui n'aggravent pas
encore davantage la politique d'austérité. C'est à la hussarde que
les dirigeants socialistes ont visiblement choisi d'agir.
Après
le défilé au pas de course, le 13 mai, de tous les dirigeants
syndicaux et patronaux dans le bureau du Premier ministre, puis un
nouvel et bref échange, les 20 et 21 juin, à l'occasion de la
prochaine conférence sociale - qui aura de nombreux autres dossiers
à son ordre du jour -, la consultation, si on peut appeler cela
ainsi, sera bouclée. Et, en deux temps, trois mouvements, un projet
de loi sera couché sur le papier pour être entériné à l'automne
par le Parlement.
Au
diable la démocratie sociale ! C'est donc au pas de charge que
tout cela va être mené. A la baguette ! Et s'il en sera ainsi, si
les partenaires sociaux n'auront quasiment pas leur mot à dire,
c'est que, sur le fond, les dés en sont déjà jetés. François
Hollande n'a en effet pas même pris soin de sauver les apparences et
de faire croire que toutes les bonnes idées étaient les bienvenues.
Non,
dès le 28 mars, il a signifié par avance, sur France 2, que, pour
financer les 20 milliards d'euros de déficit des régimes de
retraite attendus en 2020, « il va falloir faire des efforts », et
notamment accepter un allongement des durées de cotisation. « Ceux
qui auront cotisé longtemps devront partir à temps. Mais la durée
de vie s'allonge. La durée de cotisation devra s'allonger aussi »,
a-t-il prévenu. Plusieurs ministres ont, dans le même temps,
suggéré qu'une désindexation des retraites pourrait venir
compléter la réforme.
Ceci
explique donc cela : à quoi bon en effet organiser des palabres
interminables pour savoir s'il vaut mieux augmenter les durées de
cotisation, baisser les prestations, majorer les cotisations ou
chercher encore d'autres pistes alternatives, si le chef de l'Etat
s'est autorisé à trancher le débat avant même qu'il ne soit
officiellement ouvert ? On comprend mieux, dans ces conditions (assez
peu démocratiques), que le gouvernement ait préféré ne pas
s'embarrasser d'une trop longue concertation.
François
Hollande et Jean-Marc Ayrault en 2003 débattant sur la réforme
Fillon prévoyant pour les retraites un allongement de la durée de
cotisations - CHAMUSSY/SIPA
Ce
choix d'une méthode autoritaire et rapide présente toutefois de
graves dangers. A cela, il y a une première raison - qui renouvelle
fortement les controverses habituelles autour de la réforme des
retraites.
De
nombreux économistes font valoir que la dérive actuelle des comptes
sociaux, et notamment des régimes de retraite, est d'abord le
produit de la crise économique historique dans laquelle l'Europe et
la France sont plongées et du chômage de masse qu'elle a engendré.
Dans
cette optique, l'urgence, c'est d'abord de trouver les chemins d'une
nouvelle politique de croissance, pour relancer l'emploi qui,
mécaniquement, permettra aux régimes sociaux de trouver de
nouvelles marges financières. Et ce n'est surtout pas, à l'inverse,
d'aggraver à cette occasion encore un peu plus une politique
d'austérité qui asphyxie l'économie et menace par ricochet les
comptes sociaux eux-mêmes.
En
voulant aller vite, le gouvernement prend donc le risque de faire
l'impasse sur un débat majeur qui prend de plus en plus d'ampleur :
croit-on vraiment qu'il est possible de rétablir l'équilibre des
régimes de retraite dans un contexte de chômage historique ?
L'urgence, c'est l'emploi, et ce devrait être la seule, car de lui
tout dépend, y compris l'avenir de notre modèle social.
Mais,
dans la foulée, le gouvernement clôt aussi d'autres débats qu'il
aurait été utile, au contraire, d'ouvrir. Durant de longs mois,
avant l'alternance, les dirigeants socialistes avaient ainsi
promis que l'une de leurs ambitions serait d'aligner la fiscalité du
capital, très avantagée, sur celle du travail, très pénalisée.
Un débat calme et serein sur l'avenir des régimes de retraite
aurait donc pu permettre de réfléchir à cette question.
Et
de trouver de nouvelles pistes de financement des régimes de
retraite qui s'éloignent de la punition sociale que réclame à
chaque occasion le Medef, avec à la clé un relèvement progressif
des durées de cotisation jusqu'à quarante-trois ou quarante-quatre
ans.
Au
passage, dans cette incompréhensible précipitation, le gouvernement
fait aussi l'économie d'autres débats, notamment sur les pistes
alternatives de financement. Un seul exemple : pourquoi les
socialistes ont-ils depuis longtemps renoncé à trouver des idées
pour abonder le fonds de réserve des retraites ? L'idée était
judicieuse et a été laissée en jachère depuis plus d'une
décennie.
Et
puis, il y a le dernier risque, le plus grave. Le risque de la colère
sociale. En allant vite, François Hollande veut le conjurer. Mais il
n'ignore pas qu'il peut, tout à l'inverse, l'attiser.
*
laurent.mauduit@mediapart.fr
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