Union Africaine qu'as-tu fait de tes 50 ans ?
Tirant
les leçons de ses échecs passés, l'Union africaine (UA) semble
désormais miser sur le développement économique pour favoriser la
cohésion du continent.
Le
30 janvier 2011 est un jour à oublier dans l'histoire du continent.
Ce dimanche-là, l'Union africaine (UA) ouvre son seizième sommet à
Addis-Abeba. Deux semaines plus tôt, le peuple tunisien s'est libéré
du joug de Ben Ali. Mais ce jour-là, personne ne monte à la tribune
pour saluer les enfants de Sidi Bouzid et de Tunis. L'Égypte fait sa
révolution en direct, mais tout le monde se tait. Le Printemps arabe
? Circulez, il n'y a rien à voir ! Dans les couloirs du sommet, la
délégation de Tunis, conduite par Radhouane Nouicer, est même
obligée de répéter sur tous les tons que la « révolution du
jasmin » ne présente aucune menace pour les pays voisins.
La
cacophonie de l'UA sur la Libye ? « C'est le résultat de ce silence
assourdissant sur la Tunisie », affirme le Sénégalais Pape
Ibrahima Kane, d'Open Society, la fondation créée par l'Américain
George Soros et basée à Nairobi. « Officiellement, l'Union
africaine est portée par les peuples, explique-t-il. Mais, cinquante
ans après sa naissance, je suis désolé de dire que les peuples
n'ont rien à voir avec tout cela. Quand la révolution a éclaté en
Libye, beaucoup de chefs d'État africains ont mis la tête dans le
sable. Après, ils se sont étonnés que l'Otan vienne s'occuper des
problèmes à leur place. Mais la nature a horreur du vide ! »
Objectif 2063
L'Union
africaine totalement déconnectée de sa base ? Le réquisitoire est
sévère. Et la réforme de la grande maison d'Addis-Abeba, en
1999-2002, n'a pas été si vaine, loin de là. L'un des effets de
cette mue, c'est l'accent mis sur le développement économique. On
ne le sait pas beaucoup, mais tous les six mois, à la veille de
chaque sommet, plusieurs chefs d'État et de gouvernement africains
(Afrique du Sud, Algérie, Égypte, Éthiopie, Nigeria, Sénégal,
etc.) se réunissent pour écouter le rapport d'Ibrahim Hassane
Mayaki, ex-Premier ministre nigérien, sur les dernières avancées
du Nouveau partenariat pour le développement de l'Afrique (Nepad),
basé à Midrand, en Afrique du Sud. L'électricité, les routes...
Jacob Zuma, Goodluck Jonathan, Macky Sall et les autres passent tout
au crible, région par région, pour suivre les efforts de
désenclavement.
"À l'échelle du continent, l'intégration reste un voeu pieux."
«
Nous sommes 1 milliard d'Africains, mais, en 2011, seuls 16 millions
d'entre nous ont voyagé d'un pays du continent à un autre, regrette
Pape Ibrahima Kane. Tant que le visa coûtera 50 000 F CFA [76 euros]
et que la libre circulation des personnes sera entravée, il n'y aura
pas de marché commun de l'Afrique. Heureusement, la Cedeao [la
Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest] et
surtout la Communauté de l'Afrique de l'Est montrent la voie. »
Aujourd'hui, grâce à un système de compensations entre États, un
transporteur du port de Mombasa qui livre des marchandises à Kigali
règle toutes ses taxes douanières au point de départ et ne paie
plus rien en route. Cela dit, à l'échelle du continent,
l'intégration reste un voeu pieux. Nkosazana Dlamini-Zuma, la
présidente de la Commission de l'UA, a raison de se fixer comme
objectif... l'an 2063 !
"Casques
blancs"
Autre
effet de la grande mutation entre l'Organisation de l'unité
africaine (OUA) et l'UA : les conflits sont mieux gérés. Fini les
querelles de légitimité. Depuis la décision d'Alger de juillet
1999 condamnant les changements anticonstitutionnels de gouvernement,
les candidats putschistes savent que leur entreprise est semée
d'embûches. Avec le Conseil de paix et de sécurité (CPS), mis en
place en 2004, l'UA s'est dotée d'un instrument capable d'ouvrir un
dialogue ou d'envoyer une mission de paix dans un pays en conflit. Au
Darfour, les « casques blancs » ont réussi, avec l'aide de l'ONU,
à séparer les belligérants. En Somalie, les armées ougandaise et
burundaise ont payé le prix du sang pour contenir avec succès la
menace jihadiste. Dans l'est de la RD Congo, un premier contingent de
soldats tanzaniens vient de débarquer à Goma. Au CPS, la rotation
entre États est la règle, mais le commissaire à la paix et à la
sécurité, lui, ne bouge pas. Depuis 2004, le poste est occupé par
un diplomate algérien - en l'occurrence, aujourd'hui, le chevronné
Ramtane Lamamra. Pour Alger, le bénéfice politique n'est pas mince.
En
dépit de ces efforts, il faut bien dire que, dix-neuf ans après le
drame rwandais, l'Afrique n'est toujours pas en mesure de régler
elle-même ses conflits les plus graves. Lors du sommet de janvier
2013 à Addis-Abeba, le président en exercice de l'Union, le
Béninois Boni Yayi, et beaucoup de ses pairs ont vivement remercié
la France pour son intervention militaire dans le Nord-Mali. À
l'exception notable du Tchad, aucun pays africain n'a été en mesure
de déployer des unités offensives face aux jihadistes. En juillet,
c'est l'ONU qui doit prendre la relève. Et l'Union africaine ? «
Franchement, jusqu'à présent, elle n'a pas beaucoup brillé dans la
crise malienne, lâche une figure politique de Bamako. Au point qu'on
se demande si elle a tiré les leçons de son échec en Libye. »
«
Une partie de la résolution 2100 du Conseil de sécurité retire
certaines attributions de l'UA et les transfère à l'ONU seule. Il y
a certaines questions que nous aurions examinées différemment »,
lâche l'ex-ministre sud-africaine des Affaires étrangères avec
amertume. De son propre aveu, la Force africaine en attente (FAA),
que l'UA doit lancer en 2015, rencontre encore beaucoup de «
problèmes ». Pronostic du Camerounais Paul-Simon Handy, directeur
de recherches à l'Institut d'études de sécurité de Pretoria : «
Dans les dix prochaines années, l'Afrique aura encore besoin de ses
partenaires occidentaux. »
"États-Unis d'Afrique"
«
Ce qui manque le plus à l'UA, c'est un leader », disent beaucoup de
familiers du Centre de conférences d'Addis-Abeba. « Malgré tous
ses défauts, Kaddafi avait réussi à donner l'impulsion aux
changements institutionnels, remarque Paul-Simon Handy. Il n'obtenait
jamais ce qu'il voulait, mais il faisait bouger les autres. Regardez
la FAA : le jour où Kaddafi a proposé à ses pairs de créer une
armée africaine, tout le monde a pris peur et, tout de suite,
plusieurs chefs d'État ont lancé l'idée de cette force pour
contrer son projet. »
Évidemment, beaucoup regrettent le temps où
Kwame Nkrumah, le panafricaniste, enflammait ses auditoires avec le
projet des « États-Unis d'Afrique ». « Mais les temps ont changé,
poursuit Paul-Simon Handy. Au temps du colonialisme et de
l'apartheid, il était possible de faire l'unité de l'Afrique contre
ces deux ennemis extérieurs. Aujourd'hui, l'ennemi commun est à
l'intérieur de l'UA. C'est la pauvreté. »
De
2003 à 2008, le premier président de la Commission de l'UA,
l'ancien président malien Alpha Oumar Konaré, a su donner un élan
à la nouvelle organisation continentale. Sans pour autant parvenir à
imposer ses vues. En 2005, par exemple, lors de la bataille pour la
succession de Gnassingbé Eyadéma, au Togo, il s'est opposé à la
solution dynastique défendue par le Nigérian Olusegun Obasanjo et
le Gabonais Omar Bongo Ondimba. Écoeuré, fatigué, Konaré est
parti sans solliciter un second mandat, et les chefs d'État se sont
empressés de nommer à sa place un ex-ministre des Affaires
étrangères, le Gabonais Jean Ping, qui ne pouvait nécessairement
plus leur parler d'égal à égal. Aujourd'hui, Nkosazana
Dlamini-Zuma est confrontée au même défi.
Que
peut la présidente de la Commission face au syndicat des chefs
d'État ? Si ceux-ci l'empêchent d'exister, il reste une dernière
chance aux panafricanistes : une entente entre les quatre ou cinq
poids lourds du continent. Une sorte de G4 ou de G5. « Pour réaliser
le rêve de Nkrumah, il faut des valeurs et des hommes qui portent
ces valeurs, confie à Jeune Afrique le président nigérien,
Mahamadou Issoufou. Comme dans une centrale nucléaire, il faut une
masse critique afin de provoquer une réaction en chaîne. »
Par
Christophe Boisbouvier
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