Bradley Manning : un homme libre, un donneur d'alerte
La
majeure partie des informations « chaudes » diffusées par
Wikileaks, et qui ont fait la renommée d’un homme, Julian Assange,
a été apportée par un simple soldat américain, indigné par ce
qu’il voyait. Sans Bradley Manning, Wikileaks n’aurait
probablement pas atteint le même niveau de visibilité. (Reflets)
Il
a voulu lancer un débat public sur les bavures militaires des
Américains en Irak et Afghanistan, il risque aujourd’hui la prison
à perpétuité pour collusion avec l’ennemi, après avoir confié
plus de 700 000 câbles et documents classifiés à Wikileaks. Le
procès du jeune soldat Bradley Manning s’ouvre aujourd’hui
devant la cour martiale du Maryland.
Le
déclencheur fut une vidéo de 2007, "du porno guerrier"
comme l’appelle Bradley Manning, montrant des soldats américains
dans un hélicoptère s’en prendre sciemment à des civils et à
une équipe de journalistes de Reuters. En commentaire, les
militaires expriment leur fierté d’avoir abattu autant de gens.
"Ils avaient déshumanisé les personnes qu’ils attaquaient et ne semblaient pas prendre en compte les vies humaines qualifiant les personnes de « salauds de morts » tout en se félicitant les uns-les-autres de leur capacité à tuer des gens en grand nombre. Attristé par le manque de préoccupation pour la vie humaine de l’équipage j’ai aussi été troublé par la réponse de l’équipage à la découverte d’enfants blessés sur les lieux. […] L’équipage ne présente aucun remord. Au lieu de cela, ils minimisent l’importance de leurs actions, en disant, je cite « Eh bien, c’est de leur faute puisqu’ils amenaient leur enfant au cœur d’une bataille »"
avait expliqué Bradley Manning au
cours d'une audience préliminaire dont le compte-rendu a été
publié en mars.
Choqué,
l’analyste a sauvegardé cette vidéo, avant de la confier à
Wikileaks. Puis il a confié à l’organisation de Julian Assange
plus de 250.000 câbles diplomatiques et 500.000 rapports militaires
classés secrets défense.
Un
héros ou un traitre
Aujourd’hui,
Bradley Manning, fait face à 21 chefs d'accusation, et plaide non
coupable en ce qui concerne le plus grave, celui de collusion avec
l'ennemi, passible de la prison à vie. Le soldat a en revanche
plaidé coupable à dix autres charges, dont la possession et la
diffusion d'informations classés secrètes sur l'Irak et
l'Afghanistan, pour lesquelles il risque une peine pouvant aller
jusqu'à vingt ans de prison. Le procès a lieu à Fort Meade, siège
de la National Security Agency (NSA), jusque fin août et Bradley
Manning sera jugé par une seule personne, le colonel Denise Lind, et
non par un jury militaire.
"J'assume
l'entière responsabilité de mes actions", a-t-il affirmé lors
de l'audience. "J'avais le sentiment d'accomplir quelque chose
qui me permettrait d'être en paix avec ma conscience." Une
déclaration d’importance, car l'accusation, qui a convoqué plus
de cent témoins, estime que les fuites provoquées par Bradley
Manning ont mis en danger la sécurité nationale des Etats-Unis et
menacé la vie de plusieurs personnes. L’accusation tente de faire
passer le soldat Manning pour un dépressif, qui assume mal son
homosexualité.
L’audience
du soldat à l’inverse montre un jeune homme en pleine possession
de ses moyens et responsable. Il a réagit selon son éthique face à
des informations qui ont profondément heurté sa conscience. Il
comprend clairement que ces bavures et errements diplomatiques vont
profondément nuire à l’image de son pays. Il se place ainsi en
donneur d’alerte, voulant informer les citoyens et lancer un "débat
national sur le rôle de l’armée et de notre politique étrangère
en général ainsi que la manière dont elle était liée à l’Irak
et de l’Afghanistan". Preuve en est, avant de contacter
Wikileaks, Bradley Manning avait tenté de sensibiliser plusieurs
grands journaux, comme New York Times ou le Washington Post, qui
n’avaient pas donné suite. (Humanité.fr)
Le site Reflets a organisé une traduction collaborative de l’intégralité de la déclaration.
Il
ressort principalement trois choses de ce témoignage.
1)
Bradley Manning semble être une personne équilibrée qui réagit
aux événements auxquels il est confronté sur la base d’une
éthique et d’une morale raisonnables. Il est choqué par des
dérives de militaires ayant allègrement franchi la ligne jaune. Il
est en désaccord avec la politique menée en Irak et en Afghanistan
par l’Administration Bush. Il entrevoit clairement que les
errements en matière diplomatique, de relations internationales
risquent de faire du mal durablement à l’image de son pays. Ses
actions rejoignent, sur la motivation ou les moyens la sociologie
classique du wistleblower. Rien de neuf donc pour les Etats-Unis qui
ont déjà été confronté largement à cette « problématique ».
2)
Bradley Manning a eu accès à une foule d’informations parce que
les néocons de Washington avaient décidé de fournir toutes ces
informations à tous les « combatants » afin qu’ils puissent
prendre des décisions fondées et rapides. Nous avions évoqué ce
sujet il y a déjà longtemps sur la base d’autres documents entrés
en notre possession pendant les années Bush. Si l’on cherche un
coupable pour ces fuites d’informations, il faut se tourner vers
Washington qui a pris à cette époque des décisions drastiques pour
décloisonner ces informations. Et non pas vers Bradley Manning. Les
mêmes qui ont appliqué ces décisions sont aujourd’hui appelés
pour mieux les sécuriser. C’est pathétique et ridicule. Par
ailleurs, Wikileaks a évolué avec les livraisons de Bradley
Manning. Ce qui n’est pas neutre en termes de philosophie pour
l’organisation. De documents bruts livrés en une fois, on est
passé à des livraisons au compte-gouttes, dans un format peu
utilisable et souvent via des journaux choisis. Comme si le public
n’était pas assez adulte pour se faire une idée lui-même.
3)
La majeure partie des
informations « chaudes » diffusées par Wikileaks, et qui ont fait
la renommée d’un homme, Julian Assange, a été apportée par un
simple soldat américain, indigné par ce qu’il voyait. Sans
Bradley Manning, Wikileaks n’aurait probablement pas atteint le
même niveau de visibilité.
Par ailleurs, ces informations auraient aussi bien pu finir dans un
journal comme le New York Times, le Washington Post ou Politico que
Bradley Manning avait approchés. Leur peu d’empressement à
répondre à sa proposition laisse rêveur. D’une part il
questionne leur implication journalistique à creuser ce qui est le
plus grand bouleversement dans les relations internationales depuis
la deuxième guerre mondiale. D’autre part, il démontre des
failles dans les méthodes journalistiques lorsqu’une source
approche le journal. Enfin, la publication des SigActs a été un
déclencheur pour que la presse parle de choses qui étaient connues
depuis des lustres. C’est un point qui devrait amener le public à
réfléchir sur la manière dont la presse exerce son rôle de
contre-pouvoir.
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