Bradley Manning : un procès politique de la pire espèce
Le procès du soldat Manning ou l’honneur perdu de l’Amérique
Jacques
Dion
C’est
un procès politique de la pire espèce qui se tient actuellement à
Fort Meade, dans le Maryland (Etats-Unis). L’accusé est le soldat
Bradley Manning, 25 ans. Accusé entre autres de « collusion avec
l’ennemi » (sic) pour avoir organisé la fuite des 700.000
documents classifiés révélés par WikiLeaks, il encourt la prison
à vie.
Étonnant
retournement. Tout le monde, ou presque, a salué la publication de
ces documents qui ont mis à nu certains des aspects les plus
sordides de la pratique impériale des États-Unis, notamment en
Irak. En revanche, personne ne s’émeut outre mesure de voir celui
qui a permis de dévoiler la vérité traité comme un traître, à
la manière des victimes expiatoires mises en scène lors des procès
staliniens d’antan.
On
n’ose imaginer ce qui se serait dit ou écrit si une telle
mascarade judicaire avait eu lieu à Cuba, ou dans le Vénézuéla de
Chavez.
Mais là, on est aux États-Unis, au royaume de la
liberté d’expression. On est donc prié de laisser sa conscience
au vestiaire du tribunal et d’écouter sans broncher le
réquisitoire du procureur militaire, Joe Morrow, qui parle comme au
temps du sénateur Mc Carthy de la guerre froide.
Pour
Joe Morrow, taillé dans le marbre des certitudes, le soldat Manning
est un agent de « l’ennemi », rien de moins. Quel « ennemi » ?
Al-Qaïda , tout simplement. Et d’exhiber des documents qui
prouverait que dans sa tanière pakistanaise, Ben Laden avait demandé
et reçu les rapports de WikiLeaks sur l’Afghanistan. Pour un peu,
on reprocherait au soldat Manning d’être responsable a posteriori
de l’attentat contre les sœurs jumelles de New York.
La
réalité est celle d’un jeune militaire débarquant à 22 ans en
Irak, imprégné de certains des idéaux de la démocratie
américaine, au point d’avoir fait graver le mot « humaniste »
sur sa médaille d’identification. Cela peut faire sourire, mais
c’est plus respectable que d’avoir envahi un pays sous des
prétextes mensongers, d’y avoir semé la mort, et de s’y être
livré à des exactions dignes des grandes horreurs de l’histoire.
Ce
n’est pas Bradley Manning qui devrait rendre des comptes à la
justice mais l’ancien président Georges W.Bush, ou encore Colin
Powell, son ex secrétaire d’Etat. On se souvient de ce dernier
agitant à l’ONU ses petites fioles. Il entendait ainsi prouver
l’existence des armes de destruction massive attribuées à Saddam
Hussein, qui n’ont jamais existé que dans l’imagination des
docteurs Folamour de l’administration américaine.
Le
soldat Manning, lui, a vu les GI’s à l’œuvre, à Bagdad et
ailleurs. Il a vu les bouchers trancher dans le vif, couverts par des
gradés se lavant la conscience en même temps que les mains. Il a vu
les assassins commettre leurs forfaits. Il a vu la guerre transformer
ses collègues de chambrée en monstres à visage humain.
Il
a voulu faire éclater le scandale en disant la vérité, aussi
gênante soit-elle. D’ailleurs, il ne s’en cache pas puisqu’il
a plaidé coupable de 10 chefs d’accusation sur les 22 qui pèsent
contre lui. Mais il récuse toute idée de « collusion avec l’ennemi
», et il a raison.
C’est
ce qui fonde Julian Assange, fondateur de WikiLeaks, réfugié à
l’ambassade d’Équateur à Londres pour échapper aux poursuites
de la justice américaine, à dire que Bradley Manning est « le
prisonnier politique le plus important de l’histoire moderne des
États-Unis ».
Depuis
quand peut-on assimiler la diffusion de faits avérés à une
trahison? Le droit à l’information inscrit dans la
Constitution des États-Unis relève-t-il des tribunaux ? Vouloir «
faire de ce monde un monde meilleur », comme le disait le soldat
Manning, est-ce un crime contre l’État ? Plutôt que le traiter
comme un terroriste, ne serait-il pas temps de fermer le goulag
tropical de Guantanamo, comme s’y était engagé Barack Obama ?
Le
21 janvier 2010, Hillary Clinton, alors secrétaire d’État, avait
prononcé un important discours sur la liberté d’Internet. A cette
occasion, elle avait repris à son compte le credo de l’actuel
président : « Plus l’information circule librement, plus les
sociétés deviennent fortes ».
Si,
par hypothèse funeste, le soldat Manning est condamné, la société
américaine en ressortira encore plus ébranlée.
oui, c'est un procès politique très significatif et de la plus haute importance.
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