"Etre prisonnière en Tunisie": Le faux témoignage des Femen ?
par
Hela Ammar
co-auteur de l'ouvrage Le
syndrome de Siliana (2013, Ceres),
enquête
sur les couloirs de la mort dans les prisons tunisiennes.
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Amina |
Après
avoir été condamnées par le Tribunal de Première Instance de
Tunis à quatre mois de prison ferme, les trois activistes Femen sont
aujourd'hui libres. Leur condamnation a été infirmée par la Cour
de Tunis et réduite à quatre mois avec sursis.
Leur
libération n'a pas manqué d'être saluée par tous ceux qui avait
déploré le caractère inopportun, excessif et donc arbitraire de
leur incarcération. Les déclarations qu'elles ont faites au
lendemain de leur libération, laissent toutefois perplexes.
DES
EXCUSES, DES REGRETS
C'est
lors d'une conférence de presse tenue à Paris que les deux Femen
françaises, Pauline Hillier et Marguerite Stern, et l'Allemande
Josephine Markmann sont revenues sur leurs excuses présentées en
audience et ont témoigné de leurs conditions de détention.
S'agissant
de leurs regrets, on aurait pu s'attendre à ce qu'elles n'en
expriment pas. Elles semblaient parfaitement convaincues de servir
une cause: elles avaient agi en pleine connaissance des risques
auxquels elles s'exposaient et dans un but affiché de dénoncer
l'injustice dont Amina fait encore l'objet.
Leurs
excuses contrastent pour le moins avec la détermination et les
prises de risques dont elles ont toujours fait preuve. A titre
d'exemple, nous rappellerons que Weld El 15, qui a dernièrement
comparu devant le juge, avait refusé de présenter ses excuses à
ceux qu'ils visaient dans son oeuvre. Arguant de son droit à la
liberté d'expression et malgré la gravité des charges qui pèsent
sur lui, Alaa avait maintenu sa position.
Il
reste que l'on ne peut en aucun cas préjuger de la capacité des uns
ou des autres à faire face à la pression ou à l'intimidation. S'il
est légitime de s'étonner des excuses présentées par les trois
activistes Femen, on ne peut sur ce point leur en tenir grief.
DES
ALLÉGATIONS DOUTEUSES
Il
est en revanche permis de douter de la sincérité des témoignages
qu'elles livrent relativement à leur traitement et aux conditions
d'incarcérations des femmes en Tunisie. Une grande partie de
leurs allégations est, en effet, pour le moins exagérée
lorsqu'elle n'est pas mensongère.
Les
violences verbales et physiques que les trois activistes ont subies
devant le Palais de justice sont inadmissibles et il est parfaitement
compréhensible qu'elles en aient été affectées. Il est également
compréhensible qu'elles aient été traumatisées par leur passage
dans ce qu'elles appellent une prison mixte. Il s'agit manifestement
de la geôle par laquelle transitent les prévenus avant d'être
incarcérés et qui est réputée pour sa mixité et son insalubrité.
En
revanche, si les brutalités policières et carcérales sont en
Tunisie une triste réalité, il semblerait qu'elles en aient été
épargnées. D'après les déclarations de leurs chancelleries
respectives, lesquelles ont mandaté l'un de leurs représentants
pour leur rendre visite, les trois Femen auraient bénéficié d'un
traitement de faveur et n'auraient subi aucune maltraitance.
LA
PRISON DE LA MANOUBA
Les
prisons tunisiennes ne sont pas connues pour leur conformité aux
standards internationaux. La vétusté des lieux, les conditions
d'hygiène et le surencombrement qui les caractérisent, font
qu'elles n'offrent pas aux détenus les meilleures conditions
d'incarcération auxquelles ils ont pourtant droit. Le traitement
réservé aux détenus est souvent tout aussi déplorable; les
humiliations et les maltraitances ne sont pas rares et dénotent
souvent d'une méconnaissance des droits humains fondamentaux.
La
prison de la Manouba, où ont séjourné nos trois Femen, y fait
pourtant exception et bien qu'elle ne soit aucunement comparable à
ce qui se fait de mieux en la matière, elle ne ressemble en rien à
ce qui en est décrit.
La
prison de la Manouba est l'unique prison pour femmes de la
République. La Manouba dénote avec les prisons masculines. C'est
une prison moderne qui a une capacité d'accueil de 450 lits
distribués sur 17 cellules. Contrairement aux prisons masculines où
les prisonniers, faute de place, dorment parfois à même le sol,
toutes les détenues y bénéficient d'un lit. Les cellules sont
propres et certaines d'entre elles sont personnalisées. La Manouba
ne dispose cependant pas de cantine, et les détenues ne sont pas
servies individuellement. La nourriture leur est livrée dans des
gamelles collectives et non pas dans des seaux comme l'affirme l'une
des Femen. La fréquence des douches est de deux à trois fois par
semaine. Le reste du temps, les femmes se lavent dans une partie de
la chambrée qui est réservée à cet effet. Pour les avoir
visitées, le seul inconvénient qu'on peut y trouver est leur
exigüité; les conditions sanitaires minima étant tout du moins
respectées.
La
prison de la Manouba dispose d'une bibliothèque assez fournie, et
même s'il est permis de douter que toutes les détenues y aient
accès, celles-ci, contrairement à ce qu'affirment les Femen,
peuvent demander à consulter n'importe quel ouvrage en plus du livre
saint. Plusieurs d'entre celles que nous avons rencontrées nous ont
montré des romans en arabe qu'elles lisaient pour passer le temps.
Toutes
les chambrées sont équipées d'une télévision et les programmes
qui y sont diffusés sont présélectionnés par l'administration
pénitentiaire. Contrairement à ce qu'affirme l'une des Femen, il ne
s'agit pas exclusivement d'émissions religieuses mais de variétés,
de feuilletons et de journaux télévisés.
La
seule distinction prise en considération au moment de la
distribution des prisonnières est la distinction entre prévenues et
condamnées. Autrement, jeunes et moins jeunes, condamnées à de
longues ou courtes peines, délinquantes et criminelles s'y côtoient.
Comme toutes les autres prisons, la Manouba n'est pas, sur ce point,
en conformité avec les recommandations internationales qui
prescrivent une séparation en fonction de la situation pénale des
détenues. Il demeure toutefois que si elles ont été incarcérées,
toutes les détenues l'ont été pour des actes préalablement
incriminés par la loi. Or, jusqu'à nouvel ordre « le port d'un
short » n'est pas un crime et si cela avait été le cas, les trois
quart des tunisiennes, moi la première, aurions été incarcérées!
Le «bisou donné à un autre homme que le mari» ne l'est pas non
plus, à moins qu'il ne s'agisse d'un adultère dûment prouvé et
établi. Enfin, bien qu'elle soit encore difficilement admise dans
certains milieux conservateurs, la perte par une femme de sa
virginité n'est pas non plus incriminée et encore moins réprimée.
J'ai
personnellement eu l'opportunité de rencontrer les détenues de la
Manouba; une première fois d'abord dans le cadre de l'enquête menée
par la Commission Nationale d'investigation sur les abus commis
pendant la révolution, puis une deuxième fois pour enquêter sur la
peine de mort en Tunisie. Lors de notre première visite, et face à
l'insistance des détenues, la directrice de la prison nous avait
fait visiter la totalité des chambrées nous permettant par là-même
de discuter librement avec les prisonnières. Toutes se sont plaintes
de la promiscuité, de la sévérité de leurs peines et certaines de
la brutalité de quelques surveillantes. Mais aucune, ne s'est
plainte d'avoir été incarcérée pour «un short», pour «un
bisou» ou pour «avoir perdu sa virginité».
PRÉJUDICE
À AMINA
Quel
intérêt auraient donc eu les Femen à mentir de la sorte? Il n'y en
a aucun pour Amina, dont elles ne font qu'aggraver la situation.
Amina est en détention depuis le 19 mai et risque les peines les
plus sévères pour avoir scellé son sort à celui des Femen. Elle
est accusée - faut-il le rappeler? - de «constitution d'association
de malfaiteurs».
Il
est difficile de croire que les Femen ignoraient les risques que de
telles allégations mensongères font prendre à Amina. Tout porte
à croire au contraire qu'elles ont agi sciemment dans le seul but de
provoquer l'émoi d'une opinion internationale prête à croire que
la Tunisie est désormais un Etat religieux et que la femme n'y a
aucun droit. Elles ont fait abstraction du statut au demeurant
privilégié des tunisiennes dans le monde arabe. Elles ont occulté
le combat des tunisiennes pour la défense et la promotion de leurs
droits. Profitant des craintes actuelles d'un retour en arrière,
elles n'auront pas hésité à mettre en danger la jeune Amina pour
démontrer que «si on naît femme [en Tunisie], c'est pas de
chance».
Amina
ne méritait pas cela. Elle a naïvement cru qu'elle pouvait plaider
la cause féminine en s'associant à ces femmes. Elles l'ont en
quelque sorte trahie. Aujourd'hui, les Femen sont libres. Amina quant
à elle, doit encore affronter le pire.
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