Pape François : changement de style ou vraie révolution ?
Le
pape François embrasse beaucoup, serre d'innombrables mains et parle
tout autant. Aux antipodes de Benoît XVI et du frémissement
mécanique de ses deux mains timidement levées, il semble vouloir
étreindre les foules qu'il traverse en souriant. Droit comme un "i"
dans la papamobile débarrassée de son toit et de ses vitres
blindés, le pape septuagénaire apostrophe et salue à qui mieux
mieux les fidèles qui l'acclament à chacune de ses sorties sur la
place Saint-Pierre, à Rome. Ses gardes du corps, reconvertis en
"porte-bébés", lui présentent des enfants interloqués,
hurlant ou suffocant sous le soleil romain ; l'homme en simple
soutane blanche les caresse, leur parle et les embrasse avec naturel,
appuyant son étreinte quand il s'agit de jeunes handicapés.
En
quatre mois de pontificat, le pape François a redonné une
indéniable chaleur humaine au catholicisme, engoncé dans des
scandales à répétition. En quelques gestes simples et des éclats
de rire peu protocolaires, Jorge Bergoglio a renoué avec la figure
populaire du "bon pape", épargné – pour l'instant –
par les crises et les couacs. On sait qu'il a renoncé aux fastes et
à l'isolement du palais pontifical pour une résidence plus modeste
de 90 mètres carrés au coeur du Vatican. Qu'il s'est dépouillé
des "signes extérieurs de papauté", croix précieuse et
surplis en tous genres. Qu'il fustige le luxe et "le fétichisme
de l'argent" dès que l'occasion se présente et qu'il souhaite
promouvoir "une Eglise pauvre pour les pauvres". "Cela
me fait mal quand je vois un prêtre ou une religieuse avec une
voiture "dernier cri"", a-t-il digressé récemment
devant une assemblée de plusieurs milliers de séminaristes et de
novices sous le charme.
De
même s'emporte-t-il régulièrement contre le gaspillage et "la
culture du déchet" des sociétés occidentales. "La
nourriture jetée est comme volée à la table du pauvre",
a-t-il asséné un dimanche de juin, écho lointain d'un bon sens
paysan aujourd'hui disparu. Dans une de ses formules ramassées,
érigées par la presse italienne en "fiorettis", ces
"petites fleurs" qui ont forgé la légende de saint
François d'Assise, le pape n'hésite pas non plus à mettre en garde
son propre clergé contre la richesse de l'Eglise et ses potentiels
scandales financiers : "Saint Pierre n'avait pas de compte en
banque, non ?" "Ne vous laissez pas séduire par la
tentation de l'argent", a-t-il aussi asticoté les évêques
italiens, lors de sa première rencontre avec l'un des épiscopats
les plus puissants du monde.
Adepte
d'un christianisme "joyeux", François s'en est pris aux
prêtres et religieuses qui affichent des "têtes de piments au
vinaigre". Et quand il se fait acclamer par d'enthousiastes et
classiques "Francesco ! Francesco !", il somme les foules
de clamer plutôt le nom de "Jésus", à la manière des
pasteurs évangéliques. Mais, s'il a le sens de la formule, François
sait aussi la force des images. Le 8 juillet, son jeté de couronne
de fleurs dans les eaux de Lampedusa, l'île italienne qui recueille
les candidats africains à l'immigration, aura davantage marqué les
esprits – et les télés – que les innombrables dénonciations de
ses prédécesseurs sur le sort réservé aux immigrés lancées des
chaires vaticanes.
Cette
rupture de style d'avec son prédécesseur, enfermé dans de longs
discours appliqués et hors-sol, est vertigineuse. En renonçant à
sa charge, Benoît XVI a été accusé de désacraliser la fonction ;
François la sort de sa componction monarchique, au grand dam des
papophiles les plus orthodoxes. Ses improvisations de professeur
jésuite, ses regards appuyés, ses phrases courtes, son pas décidé
quoique légèrement claudiquant, sa manière de regarder l'heure sur
sa grosse montre noire en toutes circonstances, ont déjà forgé son
image de "pape normal". Et, pour l'instant, l'immense
majorité des catholiques ne s'en plaint pas.
Séduits
par le "style François" et la simplicité de ses propos,
ravis de découvrir en direct les maximes bergogliennes et les traits
d'humour du pape argentin, des dizaines de milliers d'entre eux se
pressent aux "audiences" qu'il donne chaque semaine à
Rome, bien plus nombreux qu'aux meilleures heures de Benoît XVI. Une
popularité qui n'a pas échappé à l'édition italienne du magazine
Vanity Fair. Ses responsables viennent d'élire "homme de
l'année" ce "pape-courage".
La presse catholique se plaît à souligner qu'avec plus de 7
millions de suiveurs le compte Twitter du pape a supplanté celui du
dalaï-lama, jusqu'alors le
chef spirituel le plus suivi du monde. Il faut dire que la désormais
"90e personnalité la
plus populaire" sur le site de micro-blogging publie un message
quotidien en neuf langues, dont le latin...
Mais
il ne faut pas s'y tromper : si François révolutionne nombre
d'habitudes vaticanes, tout, chez ce pape, n'est pas révolutionnaire.
Sa doctrine globale est identique à celle de ses prédécesseurs,
qu'il s'agisse de la morale sexuelle, du célibat des prêtres, de la
place de la femme, des questions éthiques et bioéthiques... Il a,
par exemple, récemment défendu l'idée d'un "statut juridique
pour l'embryon". "S'il
est vrai qu'il a changé la façon de faire le pape, il ne changera
pas les contenus",
confirme le cardinal allemand Walter Kasper, longtemps responsable à
la curie romaine, dans un entretien au quotidien italien Il Foglio,
le 16 juillet. Une ligne, qui au-delà du style pourrait, à terme,
décevoir le camp le plus "progressiste" des fidèles.
La
bonhomie, l'humilité et la bonne humeur ne résument pas non plus à
elles seules le caractère du pape jésuite, aussi connu pour sa
fermeté et sa liberté de ton. Ces dernières semaines, par des
gestes inédits et des décisions tranchées, il a donné un aperçu
de la manière dont il entend mener la danse vaticane.
A
cet égard, le 22 juin restera symboliquement dans les annales du
pontificat. Ce jour-là, le pape est attendu dans l'immense salle
Paul-VI pour un concert de musique classique donné au Vatican, à
l'occasion de "l'Année de la foi", devant plusieurs
milliers de personnes. Son absence, à quelques minutes du début du
spectacle, inquiète. François aurait-il eu un malaise ? Le Vatican
a vécu ses dernières années au rythme de la santé fragile de
Benoît XVI et de l'agonie de Jean Paul II. Mais la présence dans la
salle de son médecin laisse présager que le pape va bien.
Son
"excuse" sera plus cinglante que les communiqués
habituellement fort diplomatiques du service de presse. "Je ne
suis pas un prince de la Renaissance qui écoute de la musique au
lieu de travailler", aurait lancé le pape, repris par le site
italien Vatican Insider, généralement bien informé. En
l'occurrence, son "travail" consistait à se chercher un
nouveau secrétaire d'Etat – Tarcisio Bertone, numéro 2 de Benoît
XVI, n'étant qu'en sursis – et à déminer de nouvelles
révélations sur les dysfonctionnements de la "banque du pape",
l'Institut des oeuvres de religion (IOR), compromise dans des
affaires de blanchiment et de corruption.
Cette
liberté prise avec le protocole, on la retrouve dans le ton de ses
homélies quotidiennes ou au travers de ses nombreuses conversations
"privées", qui fuitent régulièrement dans la presse.
Chaque matin, à 7 heures, le pape "fait le curé", au
risque de choquer les plus "tradis" des catholiques, qui
goûteraient davantage de sacralité et une parole plus rare. Le
pape profite pourtant de ses messes quotidiennes, dans la modeste
chapelle de la résidence Sainte-Marthe, pour distiller au fil de
courtes homélies sa vision de l'Eglise, devant quelques dizaines
d'employés du Vatican, estomaqués de bénéficier d'une poignée de
main papale en fin de cérémonie.
C'est
dans ce cadre que le pape a fustigé "les chrétiens tièdes",
"la culture du confort et du provisoire" ou une "Eglise
qui agit comme un poste de douane", allusion aux prêtres qui
refusent de baptiser les enfants nés hors mariage. C'est aussi lors
d'une de ces cérémonies matinales qu'il a insisté sur la nécessité
de "changer les structures" de l'Eglise. C'est enfin au
cours d'une conversation "privée" avec des religieux
sud-américains qu'il a regretté l'existence d'un "courant de
corruption et d'un lobby gay", dénoncée jusque-là mezza voce
au Vatican et reconnu son incapacité à agir vite pour réformer la
curie.
Car
le pape François a été élu par ses pairs pour faire le ménage
dans des institutions sclérosées. Il
est attendu sur une réorganisation de la curie, dont les
dysfonctionnements ont alimenté la chronique durant le pontificat de
Benoît XVI ; il a promis d'instaurer plus de collégialité entre le
Vatican et les évêques ; il doit enfin et surtout s'atteler au
périlleux chantier de la transparence, en matière de moeurs et de
finances, avec l'espoir, côté Vatican, de restaurer l'image ternie
de l'Eglise catholique.
Pour
ce faire, il consulte et fait consulter à tout-va, recueillant des
avis au-delà des responsables religieux habituels. De manière
inédite, il a confié à huit cardinaux représentant les divers
continents une réflexion en la matière ; certains se sont adjoint
l'aide de consultants en management ! De même, François a chargé
cinq personnes de confiance d'enquêter sur le fonctionnement de la
"banque du pape".
Mais,
en bon jésuite, il tranchera ensuite seul et, selon l'organisation
quasi militaire de son ordre, veillera à ce que les consignes soient
appliquées. Voilà pour la
théorie ! Mais les embûches semées par l'un ou l'autre des camps à
l'oeuvre dans l'Eglise, l'inertie d'une partie de la machine
vaticane, la force des baronnies – "les nombreux patrons"
du pape, comme s'en est récemment plaint François auprès d'un ami
–, ses propres maladresses pourraient compliquer ses engagements.
La vox populi romaine prétend même que ses velléités de
changements pourraient conduire à son "assassinat". Preuve
qu'il se passe bien quelque chose au Vatican.
Stéphanie
Le Bars
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