2 aout : Samudaripen : commémoration du génocide des tsiganes

Invitation publique à F. Hollande à la commémoration du génocide des tsiganes


Le 24 juin dernier, La voix des Rroms envoyait au président de la République française, M. François Hollande, une invitation solennelle à la commémoration du génocide des tsiganes le 2 août 2013 à Auschwitz. Organisée par le réseau européen de jeunesse ternYpe, dont fait partie La voix des Rroms, cette commémoration a lieu à la date anniversaire de la liquidation par les nazis de 2500 tsiganes dans la nuit du 2 au 3 août 1944 à Auschwitz - Birkenau.

Nous souhaitions publier cette lettre d'invitation à un organe de presse nationale.

Nous l'avons proposée au Monde, qui l'a refusée en raison du nombre important des tribunes prévues à publier.

Nous l'avons proposée à Libération, qui ne nous a pas répondu, ce qui après 3 jours équivaut refus, aux termes du message automatique de confirmation de réception de notre courriel.

Nous l'avons proposée au Figaro, qui n'a pas répondu non plus et ne l'a pas publié.

C'est clair, il y a une autre actualité sur les Rroms, plus payante médiatiquement et électoralement. Elle est rythmé par des propos d'un Jean-Marie Le Pen et d'un Christian Estrosi. Par les réactions d'un Manuel Valls aussi, dont l'action contredit le discours, bien que le discours reste débile et donc non convaincant, tant il est empreint d'ignorance, si ce n'est de mauvaise foi.

Nous n'avons pas droit à la parole publique, sauf si c'est pour réagir à ces propos-là, pour dire quasi sur commande que nous sommes indignés, choqués, et autres adjectifs à la mode. Non, nous ne le sommes pas! Non, nous n'avons pas des nausées, sauf pour quelques femmes enceintes, et c'est dû à leur grossesse, à la vie qu'elle portent en elles et qu'elle donneront bientôt. Elles mettront au monde les enfants qui enterreront l'ignorance crasse et la médiocrité qui couvrent des manœuvres politiciennes mortifères, si nous n'y arrivons pas avant.

Non, nous ne sommes pas indignés, ni choqués! Ces sentiments bon marchés ne sont pas des nôtres. Nous sommes révoltés, comme des millions de nos frères humains au-delà des races, des langues, des couleurs de peau, des religions ou de leur absence, des habitats ou de leur absence, des emplois ou de leurs absence et cette liste-là pourrait s'allonger bien plus.

Nous commémorerons le Samudaripen, le génocide qui fit 500.000 morts parmi nos anciens, en restant debout et la tête haute. Nous le ferons malgré les refus ou le silence méprisant de ceux qui, gérant de l'argent public ou privé, ne nous ont pas accordé un seul centime pour couvrir les frais du voyage pour ce groupe de jeunes qui souhaite se rendre à Auschwitz. Nous le ferons grâce à la solidarité des hommes et des femmes qui ont répondu et qui continuent à répondre présents à notre appel à la solidarité. Car la dignité ne s'achète pas.

Nous avons voulu que les Français prennent connaissance des termes dans lesquels nous avons invité le président Hollande à nous rejoindre dans cette commémoration, termes qui traduisent une fois de plus la dignité qui est la nôtre. Les médias sollicités n'ont pas voulu publier notre lettre. Il est vrai, elle fait tache entre les discours des Le Pen, Estrosi & Co.

Eh bien, nous vous la livrons avec nos moyens, limités, mais les nôtres.

Monsieur le Président,

Il est des hommes et des femmes qui ont longtemps fait du silence et de l’oubli le moyen de sauver leurs enfants de l’Histoire. Car il est des crimes dont la mémoire laisse à jamais sur la figure des victimes la signature monstrueuse des bourreaux.

Dans quel état ces enfants seraient parvenus jusqu’au siècle dernier avec les poignets et les chevilles enflés, bleuis et ensanglantés par les fers qui entravent les pères « bohémiens », déportés aux galères par une ordonnance de Colbert, tandis que les mères sont tondues et enfermées dans les hospices du Royaume de France ? Dans quel état ces enfants seraient parvenus jusqu’au siècle dernier avec les reins meurtris, le sein flétri par les fouets et les fers des propriétaires moldaves d’esclaves « Tigani » ? Dans quel état seraient-ils parvenus, la langue tranchée, l’oreille coupée par les armes des gens de Torquemada, inquisiteur, qui croit anéantir ainsi l’esprit des « Gitanos » d’Espagne; et le cou brisé par les cordes des polices de Frédéric Guillaume Premier qui entreprend de pendre tous les « Zigeuner » de Prusse ?

Ainsi ceux-là, Monsieur le président, ont traversé la violence des siècles en redonnant chaque fois leurs enfants à un monde capable d’innocence. Le silence et l’oubli n’étaient ni une fable, ni un conte, mais la promesse confiante que ces enfants trouveraient toujours un abri pour à leur tour aimer et donner la vie.

Or, au milieu du siècle dernier, le progrès des temps a porté au cœur des Etats d’Europe, le « Auschwitz-Erlass », la réalité technique de l’extermination de masse.

Heinrich Himmler, Commissaire du Reich pour le renforcement de la race allemande, décide le 16 décembre 1942 de la destruction des « Zigeuner-mischlinge, rom- Zigeuner und balkanischen Zigeuner » du Grand Reich.

Dés le 4 octobre 1940, le Commandant militaire du Reich en France, Otto von Stülpnagel, ordonne que « Les Tsiganes (…) doivent être transférés dans des camps d’internement ». Le préfet de la Mayenne, écrit le 23 octobre : « les chefs de brigade noteront spécialement ceux des nomades qui présentent les caractères ethniques distinctifs par quoi se signalent extérieurement les individus d’origine nettement bohémienne, appelés encore « romanichels » ou « Tziganes.»

Un quart de ceux qui sont ciblés par cette ordonnance française seront assassinés sur le territoire de l’Europe par l’administration unifiée et centralisée du Reich avec la complicité multiple et variable des États européens alliés et collaborateurs.

Nulle forêt ni caverne ne peut plus abriter les enfants de la violence meurtrière de l’Histoire. Avec les hommes, les femmes et les enfants a été détruite la possibilité de l’abri, du silence et de l’oubli.

Tout a été détruit, Monsieur le Président.

Avec la mort au mois de mars 1945 du « plus innocent d’entre nous », l’enfant que trouve Primo Levi dans un baraquement, abandonné de tous, celui dont il ne reste désormais rien que le nom inventé d’Hurbinek, que lui donne celui qui n’est pas mort, dans La Trêve, car nul de ceux, parlant toutes les langues d’Europe, qui sont là avec lui, ne connaît sa provenance ; avec la mort de celui qui n’a jamais appris à dire son nom car sa mère a été gazée et brûlée la nuit du 2 au 3 août 1944, avant de le lui apprendre ; depuis cette nuit, ceux qui, depuis l’horizon de leur passé, avaient fait de l’oubli la condition de leur confiance dans le monde, n’ont plus la possibilité de l’anonymat et du silence.

Nul ne naît abandonné dans une aire d’accueil à La-Ferté-sous-Jouarre, dans un bidonville à Casilino, dans un bloc de la cité de Ferentari, ou dans l’Albacyn à Grenade, sans la conscience précise et écrasante d’une hostilité incompréhensible et coupable du monde à son égard. Le monde a perdu son innocence. Nous n’avons pas perdu notre amour. Mais désormais nous savons. Et il nous revient de bâtir l’abri où nos enfants aimants rachèteront l’innocence du monde. Dût-ce être aussi notre faute, désormais notre Histoire commence.

C’est pourquoi, Monsieur le Président, avec le réseau TernYpé (jeunesse en langue Rromani), mouvement européen de la jeunesse Rom ), nous vous invitons solennellement le 2 août 2013 à Auschwitz, pour vous souvenir avec nous de la liquidation du « Zigeuner-familienlager » d’Auschwitz II –Birkenau, et du génocide des Roms.

Veuillez agréer, Monsieur le Président, l’expression de notre très haute considération,


Saimir Mile, Président de l’association

Pour télécharger la lettre de
La voix des Rroms à François Hollande, cliquez ici. ( https://dl.dropboxusercontent.com/u/158971075/FH-auschwitz.pdf )

Pierre Chopinaud, Responsable des relations internationales http://rroms.blogspot.fr/2013/07/invitation-publique-f-hollande-la.html

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