Ce n'est pas la retraite qu'il faut changer, mais d'abord le travail !
Voilà un article qui a le mérite de poser la vraie question qui est celui des conditions de travail, mais l'auteur oublie que dans le système capitaliste les conditions de travail sont le dernier des soucis des patrons et employeurs, pour eux seul compte la plus value et le profit qui peut être tiré de l'exploitation de la force de travail.
Dans une société ou le travail ne serait là que pour le bien de tous, où le travailleur serait respecté en tant que producteur de richesse et de bien être, où il trouverait à chaque étape de sa vie un travail adapté à ses capacités du moment, il est certain que le problème de la retraite se poserait tout à fait autrement. Alors serait appliqué la belle définition que Marx nous donne du communisme (le vrai) :
"De chacun selon ses capacités, à chacun selon ses moyens."
Maryvonne Leray
***
Voilà
donc, avec François Hollande à l'Elysée, les socialistes enfin à
l'œuvre sur la question des retraites. Jusqu'à présent, ils en
parlaient souvent, critiquaient les réformes des autres mais
n'agissaient presque jamais. On allait donc voir une réforme de
gauche. Hélas, ce qu'a annoncé le Premier ministre Jean-Marc
Ayrault est sans surprise. Le plan 2013 de sauvegarde du système de
retraite, dont le principal objectif semble être de minimiser les
cortèges de mécontents, s'inscrit dans la continuité des plans
précédents - 1993 (Balladur), 1995 (Juppé, avorté), 2003
(Raffarin), 2007 (Sarkozy), 2011 (Fillon) - avec à chaque fois le
même cocktail de mesures : allongement de la durée du travail,
dégradation sur le long terme du ratio entre salaires et pensions,
tentatives d'unification minimales, voire mensongères, des 21
régimes de retraite obligatoires...
Si
les remèdes se ressemblent d'une majorité à l'autre, c'est qu'ils
sont issus d'une même matrice : le Livre blanc sur les retraites,
commandé et préfacé par Michel Rocard, alors Premier ministre de
François Mitterrand, en 1991. Avec le recul, ce rapport aura
engendré un consensus droite-gauche inavoué mais solide, qui
perdure depuis maintenant vingt-deux ans ! Car, malgré les cris
des uns et des autres, aucun basculement de majorité n'a conduit à
la remise en cause des dispositifs adoptés précédemment. Lionel
Jospin s'était bien gardé de toucher à la réforme Balladur,
pourtant extrêmement sévère pour les salariés du privé ; Fillon
a utilisé l'argent du Fonds des réserves des retraites du même
Jospin ; Hollande conserve l'âge obligatoire de départ à 62 ans de
Fillon, et c'est Marisol Touraine, qui pourfendait en 2011 à
l'Assemblée nationale la réforme de la droite, qui se retrouvera
sur le banc des ministres en octobre. Ce Livre blanc est donc une
réussite politique totale. Une sorte d'équivalent pour les
retraites françaises du mot d'ordre thatchérien «Tina» («There
is no alternative») : il n'y a pas d'autre solution...
En
revanche, l'efficacité pratique de ce consensus n'est pas évidente
: la France est, depuis près d'un quart de siècle, en état de
réforme des retraites permanent, chaque dispositif, si sophistiqué
soit-il, se révélant rapidement insuffisant. Et, à force de
répétition, le roi est peu à peu mis à nu. L'axe des réformes,
l'allongement de la durée du travail (par l'allongement des
cotisations ou le recul de l'âge légal de départ) sont devenus si
peu soutenables que l'on y apporte des correctifs coûteux pour les
catégories de personnels qu'ils affectent trop.
En
2003, quand il est décidé de cotiser jusqu'à 42 ans, la droite et
la CFDT instituent ainsi les « carrières longues » pour permettre
à ceux qui ont commencé à travailler à 16 ans de partir plus tôt
(3 milliards par an). En 2013, quand les 43 ans sont programmés, on
invente le « compte pénibilité » (2,5 milliards par an) pour
compenser la moindre espérance de vie des salariés employés à des
tâches usantes. Et puis on trouvera ensuite un dispositif pour aider
les cadres à racheter des années d'études pour leur éviter de
bosser jusqu'à 70 ans et plus ! Et puis les femmes (dont les
pensions sont réduites par les inégalités de salaire et les
trajectoires hachées par les maternités), et puis les précaires,
les chômeurs, les handicapés...
En
2040, ces mesures correctrices, au nom de la « justice », et qui ne
sont en fait que des béquilles pour un système intenable,
représenteront une « dépense » de 4,3 milliards d'euros. Plus du
quart du financement supplémentaire (16 milliards) indispensable
pour équilibrer le régime de retraite du privé sera ainsi consacré
à des « compensations » en direction de certains publics. Quant
aux entreprises, pas touche ! Pour peu qu'on fasse mine d'augmenter
leurs cotisations, le ministre de l'Economie se précipite devant le
Medef pour l'assurer que l'Etat les remboursera « à l'euro près ».
Ces
« pertes en lignes » seraient acceptables s'il s'agissait
effectivement de réparer des « injustices » du système des
retraites, or ce sont des dysfonctionnements de la société du
travail qu'on tente ainsi de compenser par un système de retraite
qui ressemble de plus à une usine à gaz à bout de souffle. Une
vraie réforme devrait commencer par le commencement et s'attaquer
aux questions non résolues qui plombent toujours notre système de
retraite.
ERADIQUER
LA PÉNIBILITÉ PLUTÔT QUE LA
COMPENSER
S'il
faut évidemment permettre aux salariés cassés par le labeur de
partir avant les autres, c'est parce que la France affiche un retard
considérable en matière de prévention des risques et
d'amélioration des conditions de travail. Les ouvriers ont une
espérance de vie en bonne santé de sept ans inférieure à celle
des cadres, et que propose-t-on ? De les « indemniser » en leur
permettant de partir en retraite au mieux deux années plus tôt. Un
marchandage immoral ! Plutôt que de donner un prix à la non-vie, le
dispositif « pénibilité » (dont les entreprises de plus n'auront
à assumer que le tiers du coût) devrait donner le jour à un
bonus-malus qui engagerait un mouvement rapide de disparition des
conditions de travail dangereuses ou trop fatigantes.
ERADIQUER
LES INÉGALITÉS HOMMES-FEMMES AU TRAVAIL
S'il
faut évidemment servir des pensions décentes aux femmes à la
retraite, c'est encore parce que persiste un insupportable
différentiel des rémunérations de 25 % entre les femmes et les
hommes, ou qu'elles peuplent à 85 % les emplois à temps partiel,
souvent non choisi. L'obligation de négocier dans les entreprises
pour réduire ces injustices a bien été établie en 2011, mais le
ministre de l'époque, Xavier Bertrand, a évité toute sanction pour
celles qui ne feraient aucun effort ! Le remède existe, appliqué à
La Poste, qui met de côté une partie de sa masse salariale pour
résorber ces inégalités. Il suffit de généraliser cette
pratique.
RÉINTÉGRER
LES JEUNES DANS LE TRAVAIL
Si
les jeunes sont si perplexes devant leurs propres perspectives de
retraite, n'est-ce pas d'abord parce qu'ils ont l'impression,
justifiée, que le marché de l'emploi leur est fermé ? Non
seulement les entreprises rechignent à intégrer les jeunes, mais en
plus l'enseignement supérieur accepte de jouer les parkings
d'attente pour futurs chômeurs. Le modèle français du «diplôme
d'abord» est devenu contre-productif. A l'instar de leurs collègues
allemandes, qui accueillent plusieurs millions d'apprentis de tous
niveaux, les entreprises doivent accepter de former leur main-d'œuvre
et, à l'inverse, l'université doit intégrer massivement des jeunes
ayant déjà travaillé.
REDONNER
LE GOÛT DU TRAVAIL
Si
les salariés de plus de 45 ans, les cadres en particulier, sont
terrorisés à l'idée de devoir travailler au-delà de 62 ans,
n'est-ce pas d'abord et principalement parce qu'ils sont tenaillés
par la peur de finir leur vie active par la case Pôle emploi ? La
France se distingue par son faible taux d'emploi des plus de 55 ans :
39,7 %, très loin de la Suède (70,5 %), de l'Allemagne (57,7 %) ou
du Royaume-Uni, la moyenne de l'Europe des 27 étant de 46,3 %.
N'est-ce
pas parce que les modes de management néolibéraux ont transformé
l'exercice de nombreux métiers en véritable chemin de croix ,
révélé par la vague de suicides dans les grandes entreprises comme
La Poste ou France Télécom, que les travailleurs du privé, du
public, mais aussi indépendants voient dans la retraite une sorte de
refuge ultime, un havre où ils seront à l'abri du licenciement, de
la précarité et de l'enfermement dans un boulot qui perd son sens ?
La France s'est fourvoyée dans des modes de management par le stress
et un autoritarisme hiérarchique digne des sociétés de l'Ancien
Régime. Si les modèles allemands ou nordiques doivent être imités,
c'est bien dans la manière de considérer les salariés comme des
collaborateurs et dans leur respect d'une démocratie sociale, qui
font de l'entreprise un collectif et redonnent au travail un sens...
commun. Ajoutons que le bazar de la formation permanente française,
peu efficace et peu soucieuse des chômeurs, n'arrange pas les
choses...
RECRÉER
LA CROISSANCE D'URGENCE
Il
n'y a aucune solution à long terme sans réduction du chômage et de
la précarité. D'abord, parce que l'équilibre des régimes sociaux
n'est possible qu'avec un retour à un taux de chômage aux alentours
de 5 %. Laurence Dequay a déjà expliqué ici même combien pèse le
« coût du non-travail ». Il suffit de rappeler que la chute de
l'emploi salarié pendant la crise a déjà généré plus de 14
milliards d'euros de pertes pour les régimes de retraite, à peu
près l'équivalent du manque de financement prévu en 2020. On
mesure très concrètement l'effet conjugué des délocalisations et
des politiques d'austérité en Europe depuis le début 2009.
Contrairement
à la vulgate orthodoxe, ce n'est pas le poids des retraités qui
bloque les réformes, c'est la réalité des entreprises et du marché
du travail qui fait peser sur le système des retraites des attentes
qu'il est bien incapable de satisfaire, ce qui finit par faire
obstacle aux vraies réformes nécessaires. Ce sont donc toutes
les conditions du travail - économiques, sociales, sociologiques -
qu'il faut commencer par réformer.
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