Moscou ne se bat pas au Moyen-Orient contre les USA ou l'Europe
C'est désormais clair. Elle se bat pour le droit international mais aussi pour que son application corresponde à la disposition réelle des forces dans le monde.
Moscou ne peut plus perdre la bataille diplomatique sur la Syrie
Par
Dmitri Kossyrev,
RIA
Novosti
L'article
de Vladimir Poutine publié hier dans le New York Times et la réponse
malveillante d'une "source de l'administration Obama" font
penser à une chose qui est passée inaperçue dans le tourbillon des
événements autour de la Syrie. A savoir, comment la diplomatie de
Moscou concernant la Syrie a réussi à placer la Russie dans une
situation forcément gagnante?
En
général tous les commentateurs pointent du doigt les erreurs
commises sur un dossier - ici comment Obama s'est retrouvé dans une
situation où, quoi qu’il fasse, tout ira mal.
Peu
d’observateurs, par contre, s'intéressent à l'analyse des succès.
C'est bien dommage car cette démarche peut être très utile.
LA
FAUSSE JOIE DE LA MAISON BLANCHE
L'article
de Poutine déploie des idées assez habituelles pour le lecteur
russe, mais qui avaient du mal à parvenir jusqu'aux Américains et
même aux Européens. Aujourd’hui c’est chose faite.
Et
voici ce que répond une "source anonyme de la Maison blanche"
à la publication du président russe : "Poutine a fait une
proposition et désormais c'est sa zone de responsabilité. Il s'est
totalement impliqué dans le désarmement de la Syrie et… il doit
faire ce qu'il a promis".
Rappelons
qu'il est question de l'initiative russe de placer sous contrôle les
armes chimiques syriennes, en coopération avec les USA et avec
l'accord de la Syrie.
On
ne peut en fait pas se réjouir aussi sincèrement de voir Poutine se
retrouver dans la même situation qu'Obama. Car cette source a tort
sur toute la ligne : la position de la Russie est complètement
différente. Elle est, en fait, sans précédent. Quoi que fasse la
Russie sur le plan syrien ou moyen-oriental, elle ne peut plus
perdre. Bien que dans certaines situations elle n'ait rien à gagner.
C'est de l’art.
Supposons
qu’Obama et quelques uns de ses amis refusent d'évoquer la Syrie
et continuent de préparer leur attaque qui, comme ils le savent
pertinemment, est inutile mais pourrait entraîner de lourdes
conséquences. Dans ce cas la Russie ne perdrait rien. Et en
supposant qu'elle joue "contre" les USA ou les Européens
en cherchant à les affaiblir, elle serait vraiment gagnante.
Pour
le contraste, voici la situation diplomatique inverse, dans laquelle
il est impossible de gagner. Elle ne concerne pas Obama, qui avait
promis d'attaquer la Syrie si les autorités locales utilisaient
l'arme chimique, et qui aurait découvert qu'en réalité ce n'est
pas du tout le gouvernement syrien qui en avait fait usage. Je fais
allusion à la Russie et Edward Snowden, qui a passé plus d'un mois
dans la zone de transit de Cheremetievo. Voilà une situation où il
était impossible de gagner. Le remettre aux Américains ? La Russie
serait devenue la risée du monde entier, sans parler du fait que
cela est contraire à la législation nationale. Le laisser entrer en
Russie (ce qui s'est produit) ? Moscou n'en avait pas besoin et les
Américains se voyaient forcés d'aller au conflit avec le Kremlin.
Une
chose est réconfortante. L’affaire Snowden s'est simplement
produite. Tandis que les bases de la position gagnante russe sur la
Syrie ont été posées depuis des années. Le succès vient
souvent d'une politique réfléchie et pas d’actes convulsifs.
PRÉVOIR
LE SUCCÈS À LONG TERME
Il
est encore possible de retrouver aujourd'hui sur internet les
appréciations méprisantes des "experts" russes disant que
Moscou avait mal réagi au début du Printemps arabe. Ces "experts"
s'indignaient : comment peut-on s'accrocher au passé, aux régimes
militaires et aux dictateurs obsolètes ? Bien sûr selon eux, il
fallait immédiatement se reprendre et commencer à se lier d'amitié
avec les nouvelles forces vives de la région, même s'il s'agissait
des Frères musulmans. On ne sait jamais, ils pourraient pardonner !
Nicolas Ier se comportait de la même manière et luttait contre
toutes les révolutions en Europe : on sait comment il a fini !
Mais
à l'époque de Nicolas les révolutions n'étaient pas des processus
dirigés, qui plus est par les technologies actuelles, utilisées
pour faire sortir dans la rue une foule qui ignore même à qui tout
cela profite.
En
fait, la Russie n'a pas échoué sur ce plan. En revanche la
situation qui a débuté en 2010-2011 était bien sans précédent et
les débats, à l’origine, visaient à comprendre pourquoi les
"occidentalistes" utilisaient leurs technologies
informatiques pour renverser des régimes amis. Puis on a
découvert que personne n'avait le monopole de ces technologies, que
les initiateurs n'étaient pas les "occidentalistes" mais
les "orientalistes" qui avait senti l'affaiblissement des
USA et de l'Europe.
Et
au final certains pays arabes, qui veulent "remettre les choses
au clair" avec les Iraniens, les Syriens et d'autres régimes
indésirables comme celui de Kadhafi en Libye, utilisent l'Occident
prétendu tout-puissant comme une "call girl", pour
bombarder telle cible et s'en aller. Moscou ne s'est pas retrouvé
dans une telle situation et ce n'est certainement pas une perte.
Il
ne faut pas non plus oublier la Libye : à la veille de
l'opération libyenne au printemps-été 2011 la Russie avait cédé
aux arguments des USA et des ses alliés en ne bloquant pas la
résolution du Conseil de sécurité des Nations unies. Ce texte
avait ensuite été utilisé de manière perfide pour justifier
l'opération militaire de l'Otan, au grand bonheur des
"reconstructeurs arabes du Moyen-Orient". C'était une
défaite pour la Russie, au moins morale. Mais elle a servi de leçon.
Voyons
aujourd’hui qui la Russie a en face d’elle. Moscou ne se bat
pas au Moyen-Orient contre les USA ou l'Europe – c'est désormais
clair. Elle se bat pour le droit international mais aussi pour que
son application corresponde à la disposition réelle des forces dans
le monde. Elle n'a pas besoin d'aider Obama à s’embrouiller
davantage dans sa politique au Moyen-Orient.
Imaginez
que l'opération américaine commence en Syrie et qu’il devienne
soudainement impossible d'ignorer que l'attaque chimique dans la
banlieue de Damas du 21 août a été perpétrée par l'opposition
syrienne… Moscou, avec son attitude actuelle, sauve en quelque
sorte Obama d'une situation insupportable. Parce que la Russie n'a
pas besoin de sa défaite. Elle le préfère sympathique et heureux.
Selon
un journaliste du NYT, "Poutine a soudainement fait de l'ombre à
Obama en tant que leader mondial dictant l'ordre du jour de la crise
syrienne. Il a réaffirmé les intérêts de la Russie dans la
région, où ils avaient été marginalisés après l'effondrement de
l'URSS".
Après
tout, on ne peut pas être toujours au service des autres – il faut
bien parfois s'occuper de soi-même. Mais je le répète, les racines
du succès russe d'aujourd'hui ont été plantées en 2010-2011,
lorsque chaque pays a décidé comment il réagirait au Printemps
arabe.
Dmitri
Kossyrev,
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