« Israël vise l’annexion de la Cisjordanie et la consolidation du système d’apartheid »

Entretien avec le Dr Mustapha Barghouti. Le climat reste très tendu en Cisjordanie, où un Palestinien de vingt-deux ans a été tué par l’armée israélienne ce vendredi au cours de heurts à Tulkarem. À Hébron, cinq-mille personnes ont manifesté pour réclamer qu’Israël soit traduit devant la justice internationale pour ses crimes de guerre à Gaza. Le secrétaire général de l’Initiative nationale palestinienne parle de soulèvement populaire.
De Ramallah (Palestine),


Que change cette nouvelle guerre contre Gaza dans l’esprit des Palestiniens ?

Dr Mustapha Barghouti. Rien ne sera plus comme avant. Israël est en train de commettre à Gaza le pire des crimes humanitaires. Le problème ne se pose pas seulement avec Israël, il se pose avec tous les pays qui se rendent complices de ces crimes. C’est honteux, inacceptable. Les dirigeants du monde devraient venir constater par eux-mêmes qu’Israël a le droit de se défendre, tandis que les Palestiniens ne peuvent exercer ce droit. Ce sont eux, pourtant, qui sont opprimés depuis plus de 70 ans par l’occupation et par un système de ségrégation. Nous assistons aujourd’hui à la fin d’une ère, celle du processus d’Oslo. L’approche des Palestiniens est désormais complètement différente, ils réalisent qu’Israël ne comprend malheureusement que le langage de la force. D’importants efforts seront déployés à l’avenir, pour adopter une nouvelle stratégie unifiée, basée sur la résistance, que nous espérons non violente. Il nous faudra aussi renforcer la campagne en faveur du boycott et des sanctions. Enfin, les Palestiniens doivent impérativement s’unir. Les trois formations qui sont encore à l’extérieur de l’OLP, le Hamas, le Jihad islamique et l’Initiative nationale devront y entrer. La direction palestinienne devra être rajeunie et plus attentive aux besoins de notre peuple. Avec cette agression, Benyamin Netanyahou a tenté de faire voler en éclat nos efforts d’unification. Jusqu’ici, nos divisions lui permettaient d’affirmer qu’aucune force n’était représentative des Palestiniens. La constitution d’un gouvernement d’entente nationale l’a rendu fou. Avec le Hamas, nous avons de profonds désaccords idéologiques. Mais ils sont issus de notre peuple, c’est aux Palestiniens de choisir qui les représente. Ces évènements ne feront en définitive que renforcer le Hamas. Il incarne désormais la résistance, au détriment du Fatah, qui apparaît comme incapable de combattre l’occupation.


Comment expliquez-vous la complaisance qui permet à l’armée et au gouvernement israéliens de violer le droit international, le droit humanitaire, en toute impunité ?


Dr Mustapha Barghouti. Les Israéliens laisseront derrière eux, à Gaza, un désastre. Toutes les infrastructures sont détruites. Les pertes humaines sont au-delà de toute description. Des civils, des femmes, des enfants sont massacrés. Comment l’armée israélienne aurait-elle pu se permettre de bombarder une école de l’ONU où des civils étaient réfugiés, sans la complicité, sans le silence du monde ? Je constate toutefois qu’il y a un abîme entre les peuples, révoltés par ce massacre, et les gouvernements, soumis aux pressions des lobbies pro-israéliens. Selon la propagande israélienne, cette offensive militaire serait dirigée contre le seul Hamas, qualifié d’organisation terroriste. Mais cette agression vise en réalité tous les Palestiniens ! C’est toute la population qui souffre aujourd’hui à Gaza ! Tous ceux qui se taisent devant cette catastrophe devront rendre, un jour, des comptes. Nous exhortons le président Abbas à porter l’affaire devant la justice internationale et je ne doute pas que des démarches en ce sens seront engagées dans les heures qui viennent. Des commissions d’enquête internationales feront, j’en suis sûr, la lumière sur ces crimes de guerre. 


Vous parlez d’un soulèvement populaire en Cisjordanie…

Dr Mustapha Barghouti. Ceux qui pensaient que la Cisjordanie resterait calme et silencieuse devant le spectacle du massacre à Gaza se trompaient. La manifestation durement réprimée qui a réuni près de 30 000 personnes à Qalandiya le 24 juillet a marqué un tournant. Mais ce qui se passe aujourd’hui à Gaza révolte le monde entier. Aux antipodes des positions honteuses de certains pays, États-Unis en tête, et du silence des Européens, il y a aussi la réaction de ces huit pays d’Amérique latine qui ont rappelé leurs ambassadeurs en Israël. Quant à la plupart des dirigeants arabes, c’est peu dire qu’ils se sont mal comportés.

Pensez-vous à l’Egypte ?

Dr Mustapha Barghouti.   L’Egypte pose des limites à son implication à cause de ses conflits internes avec les Frères musulmans. Nous disons aux pays arabes que la Palestine ne peut être ni le terrain de règlement de leurs affaires interne, ni l’enjeu de compétitions régionales, au prix du sang.

Cette nouvelle guerre contre Gaza permet-elle au gouvernement israélien de faire oublier la poursuite de la colonisation en Cisjordanie et à Jérusalem-est ? 

Dr Mustapha Barghouti. Bien sûr. Gaza serait à part, il n’y aurait pas de problème palestinien… En fait, leur jeu vise l’annexion de la Cisjordanie et la consolidation du système d’apartheid. Rappelons que cette guerre a commencé en Cisjordanie, avec l’arrestation de plus de 1000 personnes, avec les actions de punition collective. Les Israéliens poursuivront cette politique tant qu’on les laissera s’affranchir du droit international. À mon avis, le problème ne se résume pas au gouvernement israélien. C’est toute la société israélienne qui a glissé. Un profond racisme s’y exprime désormais ouvertement. Un pays qui accepte qu’un membre de la Knesset appelle en séance à l’assassinat des femmes palestiniennes pour qu’elles ne puissent plus donner naissance à « des serpents »,  un pays qui tolère que l’un de ses scientifiques de renom appelle publiquement à user du viol comme arme de guerre, un pays où l’écrasante majorité de la population s’oppose au cessez-le-feu est, à mon avis, un pays qui a déjà glissé vers le fascisme. 

Humanité.fr

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