l'Europe allemande exige la rédition du peuple grec

La BCE pousse la Grèce vers la sortie de l'euro


La banque centrale européenne (BCE) n’a laissé aucune chance au gouvernement de Syriza après la victoire du non au référendum du dimanche 5 juillet. Pressée de laver l’affront grec, l’institution monétaire a donné la réponse européenne. En fin de soirée, lundi, elle a annoncé qu’elle durcissait les conditions pour assurer la liquidité du système bancaire grec, acceptant le risque de provoquer un effondrement complet bancaire.

Alors que les banques grecques demandaient que le plafond des fonds d’urgence de liquidité (emergency liquidity assistance, ELA) soit augmenté de trois milliards, la banque centrale a refusé de changer la limite qu’elle avait imposée il y a dix jours. L’aide à la liquidité reste gelée à 89 milliards d’euros. Mais il y a plus grave : la BCE a décidé de durcir les conditions imposées aux banques emprunteuses pour accéder au fonds d’urgence. Une décote – la BCE n’en a pas précisé le montant, il est question de 10 % – va être appliquée sur les titres apportés en garantie (“collateral”) par les banques grecques. Selon la Banque centrale, la détérioration de la qualité de ces titres apportés en garantie – essentiellement des titres de l’État grec – justifie cette décision.


C’est le dernier tour d’écrou imposé à la Grèce. Car la BCE ne peut ignorer les conséquences de cette mesure. En imposant une décote sur les titres, elle réduit de fait le montant des fonds d’urgence au système bancaire grec. Si la décote est de 10 %, elle réduit de plusieurs milliards le montant des fonds d’aide d’urgence. Si elle est de 60 %, la valeur des titres apportés en garantie est presque ramenée à zéro, selon les estimations d’analystes de la Barclays.

« S’ils font cela, la situation va devenir vraiment sérieuse. Cela s’apparente à une tentative de renversement du gouvernement », avait déclaré dimanche Euclide Tsakalotos, alors responsable de la négociation, devenu entretemps ministre des finances après la démission, lundi, de Yanis Varoufakis. Car couper les fonds d’urgence, au moment où le système bancaire grec, fermé depuis huit jours, étouffe, c’est le conduire à la faillite. C’est précipiter le pays vers la banqueroute et la sortie de l’euro.


Depuis huit jours, depuis la fermeture des banques, l’économie grecque s’asphyxie et se trouve au bord du “collapse”. « Nous avons eu une crise cardiaque », a confié un conseiller du gouvernement à Mediapart, en commentant la fermeture des banques rendue obligatoire après la décision de la BCE de ne pas augmenter les fonds d’urgence le 26 juin. « Notre économie est en train de mourir, elle est en soins intensifs. Partout, tout est en train de s’arrêter », a témoigné lundi l’économiste Dimitris Athanasopoulos. Dans une lettre publiée lundi, le président de la chambre de commerce grecque, Vasilis Korkidis, pressait le premier ministre, Alexis Tsipras, de trouver rapidement un accord avec les Européens . « Le dommage provoqué par la fermeture des banques est incalculable », écrit-il.

La liquidité manque partout. Selon les témoignages, les billets de 20 euros, de 10 euros comme les pièces de 1 euro sont en train de disparaître de la circulation. Les banques n’ont plus assez de billets pour approvisionner les distributeurs. Elles n’ont plus de réserves. Et le gouvernement a dû prendre la décision de les maintenir fermées jusqu’à mercredi, dans l’espoir d’un accord avec les Européens.


Comment la BCE peut-elle justifier une mesure qui conduit à serrer encore un peu plus le nœud coulant autour de la Grèce ? Les traités, répond-elle. Depuis des semaines, le président de la Bundesbank, Jens Weidmann, demandait l’application stricte des règles : il en allait de la crédibilité de l’institution monétaire européenne, expliquait-il. La BCE, selon les textes, ne peut prêter une assistance à la liquidité qu’à un système bancaire momentanément en difficulté mais solvable. Or le système grec ne l’est plus, a-t-il soutenu à de nombreuses reprises.


Mais les traités font aussi de la BCE la garante de la stabilité du système monétaire européen. C’est même sa mission première. En acceptant la perspective de mettre à terre les banques grecques, la banque centrale se transforme en pompier pyromane : elle prend le risque de créer elle-même la crise et de la diffuser dans tout le système européen. Les Européens se disent assurés que rien de grave ne peut plus leur arriver, que tout est mis en place désormais pour éviter la contagion. Les mises en garde du gouverneur de la banque centrale d’Angleterre, Mark Carney, disant tout mettre en œuvre afin de limiter les conséquences de la crise de l’euro, comme le brutal réveil du premier ministre espagnol, Mariano Rajoy, se déclarant soudain partisan du maintien de la Grèce dans l’euro, tendent à prouver que ces assurances ne sont pas partagées.


Preuve supplémentaire que la décision de la BCE est bien de circonstance : depuis le début de la crise, Mario Draghi, prêt à tout pour sauver l’euro, a pris l’habitude de sortir des cadres des traités. Du LTRO (les 1 000 milliards accordés aux banques) au quantitative easing (les 80 milliards dépensés chaque mois depuis janvier pour racheter des obligations d’État), rien n’est conforme aux traités actuels.

La décision de la BCE, prise lundi soir, doit donc se lire pour ce qu’elle est : politique. Elle a tiré un trait sur la ligne de défense qu’elle avait posée à partir de l’été 2012 : l’euro n’est plus irrévocable. « La Grèce peut être exclue », comme l’a reconnu un de ses membres, Benoît Cœuré, dans un entretien aux Échos la semaine dernière joignant le geste à la parole, la banque centrale a lundi baissé le pouce, condamnant la Grèce. Elle s'aligne sur l'Allemagne qui a rallié nombre d'Européens à sa suite, tous décidés à pousser Athènes hors de la zone euro.

La réaction du ministre allemand Sigmar Gabriel, dimanche, après la victoire du « non » grec, résume l’état d’esprit qui règne parmi les responsables européens. « Tous les ponts sont coupés », a-t-il commenté. Avant de lancer le lendemain un avertissement clair : « La banqueroute finale est imminente. » 

La menace n’est même plus voilée. Du non grec, les responsables européens, même si certains émettent quelques réserves, ne veulent retenir qu’une lecture : c’est un non à l’Europe. Même si officiellement, Angela Merkel et François Hollande, à l’issue de leur rencontre lundi, disent vouloir « laisser une dernière chance à la Grèce », ils ne lui en laissent aucune.

Balayant le résultat des urnes d’un revers de la main, ils sont prêts à mettre à terre la Grèce, à moins que le gouvernement de Syriza n’accepte des conditions encore plus dures que celles qu’il a rejetées précédemment. Pas question de négocier une réduction de la dette, pas question de plan de relance. C’est une reddition sans condition que l’Europe exige désormais de la Grèce, mercredi, en la plaçant sous la menace explicite d’une explosion immédiate de son économie. Elle veut voir Athènes comme les bourgeois de Calais, la corde au cou.


Dans une conversation rapportée dimanche par l’éditorialiste du Telegraph, Ambrose Evans-Pritchard, Yanis Varoufakis, alors encore ministre des finances, avait envisagé cette réaction des Européens et anticipait le mouvement à mener. Pour faire face à l’étouffement de l’économie et l’effondrement du système bancaire, celui-ci envisageait la création d’une monnaie parallèle. « Si c’est nécessaire, nous émettrons une monnaie parallèle et un IOU dans le style de la Californie, dans une forme électronique. Nous aurions dû le faire il y une semaine », confiait-il alors. Un “IOU” pour I Owe You (je vous dois) est une reconnaissance de dettes. L’État de Californie avait émis des titres semblables pour payer ses fournisseurs au moment de la crise de Lehman Brothers. Il y a plus longtemps, les assignats révolutionnaires, gagés sur les biens nationaux, étaient aussi au départ une reconnaissance de dettes avant de devenir une monnaie d’échange.


Cette hypothèse est étudiée par de nombreux économistes : pour eux, la mise en place d'IOU, qui leur semble le moyen le plus rapide pour rétablir dans l’urgence un système d’échanges, conduirait à la création d’une monnaie parallèle et à une sortie de l’euro.

De Paul Krugman à Joseph Stiglitz, en passant par nombre d’économistes atterrés comme Henri Sterdyniak, ils sont de plus en plus nombreux à penser que, contrairement à la volonté affichée de Syriza, la Grèce ne doit plus s’accrocher à l’euro et doit sortir. Athènes, expliquent-ils, retrouverait ainsi sa souveraineté monétaire, pourrait dévaluer très fortement – les estimations varient entre 30 % et 60 % – sa monnaie par rapport à l’euro, ce qui permettrait à son économie de rebondir, d’en finir avec une austérité destructrice et de remettre ses finances publiques en ordre. Même si les débuts risquent d’être très chaotiques et dangereux, à terme, la Grèce s’en sortirait mieux que de garder le corset mortifère de l’euro, concluent-ils.


Les responsables européens en sont arrivés à la même conclusion, mais pas pour les mêmes raisons. Ils veulent se débarrasser de l’élément perturbateur grec, qui leur coûte trop cher, qui monopolise toute leur attention depuis trop longtemps, qui les empêche d’aller vers la grande Europe intégrée dont ils rêvent. Mais cette sortie de la Grèce de la zone euro, qu’ils ont désormais engagée, ne va pas se passer de façon « ordonnée », comme le suggèrent certains, afin d’aider Athènes à en sortir le mieux et le plus rapidement possible.

Tout se met en place pour que cette sortie se passe salement, laissant des traces irrémédiables. C’est un pays ruiné, effondré, où l’économie a explosé, sans système bancaire, sans monnaie, que l’Europe s’apprête à expulser. Avec une joie mauvaise, les responsables des différents fonds européens ont déjà annoncé qu’ils ne pourraient plus rien pour Athènes, puisqu’elle est en faillite. 
Prenant à nouveau le contre-pied de ses services qui, l’après-midi, avaient assuré être à la disposition de la Grèce pour l’aider, Christine Lagarde a souligné, dans la soirée, que le FMI ne pourrait rien non plus puisque la Grèce était en défaut de paiement. Quel crime a donc commis la Grèce pour subir un tel traitement ? Toute rationalité semble avoir disparu chez les Européens. C’est la sainte Inquisition qui brûle l’hérétique, parce qu’il démontre, par les faits, l’inanité de ses croyances.

Médiapart



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