Femmes africaines unies contre le microcrédit, l’exploitation des plus pauvres
Tous les peuples doivent se méfier de ces institutions de microcrédit, qui sont les petites mains de la banque mondiale.  
 19 juin par Fátima Martín * 
Être femme, pauvre et africaine. Voici les trois critères favoris des 
vautours du microcrédit qui, sous prétexte de lutter contre la pauvreté 
et avec la bénédiction d’organismes comme les Nations Unies (PNUD),
 USAID ou encore la Banque européenne d’investissement, les escroquent, 
les endettent et les ruinent. Leurs victimes font l’objet de menaces et 
se voient même incarcérées, comme au Mali, elles perdent leur famille, 
tombent dans la prostitution, se suicident, comme au Maroc, ou se sont 
surendettées pour ne pas mourir sans pouvoir se payer une césarienne, 
comme au Congo Brazzaville. Désormais, les femmes africaines de divers 
pays conjuguent leurs forces pour se libérer de l’asservissement de la 
microfinance. Nous avons eu l’opportunité de rencontrer et d’interviewer
 Fatima Zahra du Maroc, Amélie du Congo Brazzaville, Émilie du Bénin et 
Fatimata du Mali à l’occasion de l’Assemblée mondiale du réseau 
international du Comité pour l’abolition des dettes illégitimes (CADTM) 
organisée en avril dernier à Tunis. Elles nous y ont fait part de leurs 
expériences respectives.
Fatimata Boundy est une enseignante retraitée malienne. Elle affirme 
que des dizaines de femmes sont incarcérées dans son pays faute de 
pouvoir faire face aux dettes découlant de microcrédits représentant 
environ 150.000 francs CFA (soit 228 euros). Ces femmes se consacrent 
généralement à une activité informelle, un petit commerce, de la vente 
ambulante, etc. Quand elles ne parviennent plus à payer les intérêts 
abusifs qui leur sont exigés, elles font l’objet de pressions et se 
voient confisquer leurs biens, voire même emprisonner. Aucun procès n’a 
encore eu lieu. « Nous avons lancé un appel à la solidarité 
internationale. Une rencontre de femmes se tiendra d’ailleurs au Mali en
 2017 », nous assure Fatimata.
Cet événement fera suite à la Caravane internationale des femmes 
contre le microcrédit organisée dans la région de Ouarzazate au Maroc en
 2014. Fatimata avait  pu y écouter les témoignages de victimes 
marocaines. « Suite à ses dettes, l’une de ces femmes a perdu son 
travail et son mari. Son fils unique n’a alors eu d’autre choix que 
celui de partir à l’aventure. Je me suis mise à sa place et sa douleur 
m’a envahie. Ce jour-là, j’ai pleuré. », raconte-t-elle.
Fatima Zahra : « La finance internationale possède des intérêts stratégiques au Nord et au Sud. La pauvreté est son marché. »
Fatima Zahra, étudiante marocaine de français âgée de 30 ans, nous 
explique que les agents des structures de microfinance font contracter 
des microcrédits dont les taux d’intérêt atteignent jusque 45 % à des 
femmes qui ne savent ni lire ni écrire. Ils n’hésitent pas à visiter 
leurs domiciles pour y identifier les éventuelles possessions de valeur 
faisant office de garantie. Une fois que ces femmes ne sont plus en 
mesure de payer, ils reviennent les voir chez elles et les forcent à 
vendre leurs biens. « Certaines se prostituent, d’autres se suicident ou
 fuient leur foyer en raison de l’humiliation et perdent donc leur 
famille. Les enfants subissent aussi de plein fouet les conséquences des
 microcrédits, contraints de mettre un terme à leurs études pour aider 
leurs mères à rembourser. Ces institutions de microcrédit vont jusqu’à 
proposer des emprunts à des élèves encore au lycée. Les conséquences 
sont à la fois psychologiques et sociales », explique-t-elle.
Avec 12 institutions, plus d’un million de clients actifs
 et une exposition de 500 millions d’euros, le secteur de la 
microfinance au Maroc est le plus dynamique de la région MENA 
(Moyen-Orient et Nord de l’Afrique), d’après Jaïda (le Fonds de 
financement des organismes de micro-finance au Maroc). Son site web 
indique d’ailleurs sans aucune gêne que « le taux d’intérêt est 
libéralisé ».
Les institutions locales de microfinance sont protégées par le régime
 dictatorial, le Majzén, financées par le secteur financier marocain 
(Bank-Al-Maghrib) ou la CDG (Caisse de Dépôt et de Gestion), par le 
secteur financier étranger et même subventionnées par des organisations 
internationales comme le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), l’Agence des États-Unis pour le développement international de USA (USAID), la Banque européenne d’investissement (BEI) et l’Agence espagnole de coopération internationale au développement (AECID).
Par exemple, parmi les actionnaires fondateurs de Jaïda figurent des 
entités allemandes et françaises sensées soutenir le développement comme
 la KfW (la banque de développement allemande), la CDC (Caisse de Dépôts
 et Consignations) et l’AFD (Agence française de développement). Il 
n’est pas rare de trouver également derrière ces institutions de 
microcrédit d’importantes personalités nationales ou internationales. 
L’association de microcrédit INMAA est liée à l’ONG AMSED et à 
PlanetFinance, du ’parrain’ Jacques Attali, fondateur d'Action contre la
 faim, alors que Al Amana a élevé au titre de président d’honneur Driss 
Jettu, ancien premier ministre du Maroc sous Mohamed VI.
« La finance internationale possède des intérêts stratégiques au Nord
 et au Sud. La pauvreté est son marché », affirme Fatima Zahra. Elle 
estime que le mouvement des associations des victimes du microcrédit est
 très important pour « des femmes qui sont parvenues à se libérer de 
tous les dogmes patriarcaux, à sortir dans la rue pour lutter contre les
 politiques néolibérales et cesser de rembourser. Des femmes qui se 
rebellent contre l’austérité imposée par le Fonds Monétaire International (FMI) et la Banque mondiale (BM), les véritables responsables. Nous n’avons pas remporté toutes les batailles mais nous poursuivons la lutte. »
« Soit les femmes s’endettent au travers de microcrédits pour bénéficier d’assistance médicale, soit elles meurent faute de pouvoir se payer une césarienne. »
Amélie Kiyindou, représentante pharmaceutique au Congo Brazzaville, explique comment son pays a accepté l’Initiative pour les pays pauvres très endettés
 (PPTE) du FMI et de la BM. Vu le manque d’investissements dans les 
programmes sanitaires, les femmes doivent y choisir entre s’endetter au 
travers de microcrédits pour bénéficier de l’assistance médicale ou 
mourir faute de pouvoir se payer une césarienne.
« Les microcrédits se présentent comme une voie pour sortir de la 
pauvreté mais dans les faits, les intérêts obligent les femmes à 
rembourser plus que ce qu’elles gagnent, de sorte à ce qu’elles 
enchaînent les emprunts. Celles qui sont conscientes des conséquences 
néfastes tâchent d’informer la population sur les risques du cercle 
vicieux de l’endettement », ajoute-t-elle. Étonnamment, le FMI promeut 
des conférences intitulées « Finance pour tous : Promouvoir l’inclusion 
financière en Afrique centrale »  qui encouragent les femmes, piliers de
 leurs familles, à tomber dans les griffes de la microfinance.
« Le FMI et la BM ont surendetté mon pays. Désormais, la même austérité fait son chemin au Nord. »
Émilie Atchaka, paysanne du Bénin, a trouvé une 
issue autogérée aux besoins de financement des femmes de sa communauté. 
Son mari s’est retrouvé sans emploi suite aux programmes d’ajustement structurel
 draconiens imposés par le FMI à son pays depuis 1989. Mère de quatre 
enfants, elle a alors dû ramener seule de quoi faire vivre toute la 
famille. S’inspirant d’un système de collecte traditionnel en Afrique 
appelé la tontine, elle a fondé le Cercle d’Autopromotion pour un 
Développement Durable (CADD), « notre propre banque de femmes qui se 
destinent à la formation », qui applique de faibles intérêts. « Nous 
avons mis sur pied cette alternative car le gouvernement n’assume pas sa
 responsabilité », déclare-t-elle.
Émilie raconte que les entreprises de microcrédit vont jusqu’à donner
 publiquement à la radio les noms des femmes qui ne parviennent pas à 
rembourser leurs emprunts. Pour elle, « tout cela nous fait beaucoup 
réfléchir. Le FMI et la BM ont surendetté mon pays. Leurs programmes 
d’ajustement structurel ont poussé les femmes à contracter des 
microcrédits, financés de surcroît par la banque mondiale. Cet 
instrument les ruine, les mène jusqu’au surendettement et à 
l’appauvrissement. Il ne possède aucune dimension sociale et vise le 
seul profit. Désormais, la même austérité fait son chemin au Nord, une 
austérité qui n’entraîne aucun développement. Tous les peuples doivent 
se méfier de ces institutions de microcrédit, qui sont les petites mains
 de la banque mondiale. Il faut opérer un suivi strict de ces 
institutions et les éliminer. »
Traduction : Sarah Berwez
* Fátima Martín
journaliste, est membre du CADTM et de la PACD, la Plateforme d’Audit Citoyen de la Dette en Espagne (http://auditoriaciudadana.net/). Elle est l’auteure, avec Jérôme Duval, du livre Construcción europea al servicio de los mercados financieros, Icaria editorial 2016. Pour rappel, voir son dernier article : Una bomba de austeridad

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