Êtes-vous prêt à admettre que vous aussi, vous êtes raciste?

J'ai pris conscience qu'un bon nombre des choses que je disais et auxquelles je croyais, persuadée qu'elles prouvaient que je n'étais pas raciste, n'étaient que la preuve du contraire. 
 Suis-je trop faible pour supporter le malaise inspiré par le vécu des autres?
 Gretchen Palmer 




Si vous m'aviez accusée d'être raciste il y a trois ans, avant la mort de Michael Brown et d'Eric Garner, avant le mouvement Black Lives Matter, j'aurais été scandalisée. Moi, raciste? Jamais de la vie! Comment osez-vous? 

Je suis de gauche. J'ai vécu à Los Angeles, exemple parfait de mixité, pendant près de dix ans. Je crois pouvoir dire que j'ai des amis noirs. Mes meilleurs amis, même! J'ai grandi dans une famille sans préjugés raciaux, éduquée avec l'idée que nous sommes tous égaux, quelle que soit notre couleur de peau, nos préférences sexuelles, etc.

Je mentais.

Plus précisément, je me mentais à moi-même.
Je pensais sincèrement que je n'étais pas raciste. A vrai dire, je ne m'étais jamais véritablement penchée sur la question, et j'avais encore moins eu à m'en défendre.

Tout a changé il y a deux ans.
Le déferlement des réactions sur les réseaux sociaux suite à la mort de Michael Brown et les émeutes de Ferguson ont attiré mon attention. J'ai vu mes amis noirs exprimer par écrit une souffrance profonde et des émotions vives. J'ai cliqué sur tous les liens et les articles qu'ils publiaient. Et je me suis retrouvée dans un monde dont j'ignorais tout.


En discutant avec une de mes meilleures amies, j'ai réalisé qu'elle portait en elle une douleur profonde qu'elle m'avait cachée pendant toutes ces années, et ça m'a bouleversée. C'était stupéfiant de l'entendre me parler, pour la première fois, avec une franchise habituellement réservée à sa famille et les amis qui partageaient sa couleur de peau.


J'ai contacté un autre ami proche que je connais depuis près de 20 ans. Il m'a parlé pendant quatre heures, m'exposant une réalité que je n'avais jamais vue ni comprise. Comment avais-je pu ignorer tant de choses?

Une chose en entraînant une autre, j'ai fini par rejoindre un groupe Facebook destiné à mieux faire connaître aux Blancs les Noirs américains et leur vécu.
J'ai appris énormément de choses ces deux dernières années. C'est comme si j'avais découvert un autre monde. Un monde qui ressemble beaucoup au mien, mais situé dans un univers parallèle, sur une orbite qui ne fait que croiser la mienne. 

Ce monde m'était inconnu. J'y étais une parfaite étrangère. J'ai vu et entendu des choses choquantes, jusque là insoupçonnées. Je me suis très vite rendu compte que, contrairement à ce que je pensais, je ne connaissais presque rien à la culture afro-américaine. C'est très troublant et vraiment gênant de découvrir qu'on ne sait quasiment rien d'un sujet qui nous semblait pourtant si familier. Pour la première fois peut-être, j'ai vu voler en éclats l'image que j'avais de moi-même.

Étais-je trop faible pour partager sa réalité? Trop faible pour gérer le malaise inspiré par le vécu de quelqu'un d'autre?
Mes contradictions intérieures me sont devenues presque insupportables. Je voulais tout laisser tomber, je n'avais plus envie de continuer. Je voulais mettre fin aux sentiments désagréables qui m'assaillaient.

Et puis il y a eu ce cri du cœur d'une femme du groupe: "Si vous êtes incapable d'encaisser la réalité exprimée par des Noirs avec force et honnêteté, c'est que vous n'êtes pas assez fort pour nous aider, et que vous n'avez donc rien à faire ici."
Merde.

Étais-je trop faible pour partager sa réalité? Trop faible pour gérer le malaise inspiré par le vécu de quelqu'un d'autre? Je m'étais toujours vue comme une femme forte. L'idée de ne pas être suffisamment solide était insupportable pour mon ego.

Alors je me suis engagée. J'ai commencé à agir, à poser des questions, à écouter. J'ai commencé à accepter mon sentiment d'inconfort. J'ai pris position, et cet "autre" monde s'est ouvert à moi. Cela n'a pas été facile, mais j'ai fait des progrès. Pas à pas, j'ai appris à évoluer en terrain inconnu. Cette expérience ne m'a pas seulement ouvert les yeux; elle m'a réconciliée avec moi-même et m'a permis de m'intégrer.

J'ai pris conscience qu'un bon nombre des choses que je disais et auxquelles je croyais, persuadée qu'elles prouvaient que je n'étais pas raciste, n'étaient que la preuve du contraire.

J'ai appris qu'en affirmant ne faire aucune distinction entre les races, je faisais plus de mal que de bien. J'ai compris qu'en disant cela, je niais l'identité, la vision et le vécu uniques des Noirs.

J'ai appris que je m'attendais à ce qu'on me traite toujours avec respect et sollicitude dans mon travail, mais que toutes les personnes de couleur ne pouvaient pas prétendre à ce privilège de Blancs.

J'ai appris que j'étais susceptible face aux personnes qui m'exprimaient franchement et sans détour l'exaspération que leur inspiraient mes remarques pleines d'ignorance et, sans le savoir, racistes. J'ai appris que c'était ma "fragilité de Blanche" qui s'exprimait. Or, je n'avais aucune envie d'être fragile. Découvrir cette facette de ma personnalité moi a été sans doute l'une des choses les plus désagréables.

J'ai pris conscience qu'un bon nombre des choses que je disais et auxquelles je croyais, persuadée qu'elles prouvaient que je n'étais pas raciste, n'étaient que la preuve du contraire.
J'ai appris que le racisme est différent de l'intolérance ou du préjugé. Ce sont trois mots et trois choses différentes.

J'ai appris que les Américains blancs sont forcément racistes. C'est inévitable. Relisez cette phrase.

I-né-vi-table.

Tout ce qu'on nous a appris -tous nos livres d'Histoire, les publicités, les films, les contes de fées-, tout ce qui nous entoure ne cesse de souligner la supériorité fondamentale des Blancs sur les Noirs.

Et le seul moyen de ne pas être raciste est de choisir, dans chaque circonstance du quotidien, d'essayer d'aller au-delà des apparences et de considérer les choses du point de vue plus large de l'expérience des Afro-Américains, des Amérindiens, des Latinos... et de tous les autres. Quand on est Blanc, il faut se poser des questions, réfléchir, puis faire le choix d'être antiraciste, et pas seulement de ne pas être raciste.

Bien sûr, cela demande des efforts. Et je ne suis pas sûre que l'on puisse éliminer complètement toutes nos influences racistes. Je crois que cela fait partie des réalités désagréables que nous devons apprendre à accepter.

J'ai appris qu'en reconnaissant simplement le racisme latent dans presque tous les aspects de la vie et en choisissant de démanteler activement mon propre système de croyances, inconsciemment ancré en moi, j'intégrais enfin la réalité afro-américaine.

Je peux apporter ma contribution, m'engager et participer pleinement. Je me sens même accueillie avec bienveillance, chose qui me semblait inimaginable au départ, et que trop de Blancs estiment certainement impossible.

Autre constat: les gens de couleur n'attendent pas des excuses. Ils veulent que l'on reconnaisse ce qu'ils vivent. Ils veulent que les Blancs ouvrent les yeux, qu'ils sortent de leur léthargie et fassent le travail d'éducation nécessaire dans la communauté blanche pour abolir le système raciste responsable de leur oppression. Est-ce vraiment trop demander?

Les gens de couleur n'attendent pas des excuses. Ils veulent que l'on reconnaisse ce qu'ils vivent.
Maintenant que j'ai pris conscience de la situation, je travaille et vis en essayant d'être une alliée. Pas par sentiment de culpabilité, mais parce que c'est juste. Je ne peux pas regarder tranquillement mes frères et sœurs noirs souffrir pendant que je profite de mes privilèges de Blanche. Comme l'a dit Martin Luther King, personne ne sera libre tant que tous ne le seront pas. Il est temps de finir le travail initié par le mouvement des droits civiques.

Si vous n'êtes pas trop faible pour supporter le sentiment d'inconfort, pour vous examiner et mettre à jour vos mensonges inconscients, je vous encourage à vous lancer dans cette aventure. Passées les premières difficultés, c'est une expérience intensément profonde, instructive et enrichissante.

Êtes-vous prêt à admettre que vous aussi, vous êtes raciste? C'est la première étape incontournable. Pour avancer, il faut commencer par reconnaître le racisme systémique dans lequel nous avons grandi.

Après cette prise de conscience, vous pourrez rejoindre le mouvement pour combler le fossé entre nos deux mondes. Je ne sais pas ce que vous en pensez, mais l'Amérique dans laquelle je veux vivre est une Amérique juste et unie. Certains me taxeront d'optimiste, mais je crois que l'on peut y arriver. Êtes-vous prêt-e à me rejoindre dans ce combat?
 





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