D'un simple décret, Khrouchtchev fit don de la Crimée à l'Ukraine en 1954
Effaçant le geste de Khrouchtchev par un bulletin de vote, vingt-trois ans plus tard, la Crimée va demander, dans un référendum contesté par les minorités pro-ukrainiennes, et notamment tatare (12 % de la population de Crimée), à retourner sous l'autorité de Moscou.
C'était un cadeau surprise : en 1954, Nikita Khrouchtchev « donnait » la Crimée à l'Ukraine d'un simple décret. Quinze minutes de débat à peine avaient suffi pour que la décision soit entérinée au sein du comité central du Parti communiste, selon le quotidien Pravda. Cette cession avait surpris, mais le don était symbolique car l'Ukraine faisait partie intégrante de l'URSS. Ce n'est qu'en 1991, quand l'Union soviétique se disloque, que les conséquences de cette décision se font sentir : la Crimée se trouve alors soumise à l'autorité d'un pays avec lequel elle a peu d'histoire commune.
Aujourd'hui encore, les raisons du geste de Khrouchtchev restent
mystérieuses. De nombreux Russes estiment que le dirigeant n'aurait
jamais dû donner la Crimée, qui était sous le giron russe depuis que Catherine II en avait fait la conquête à la fin du XVIIIe siècle. Pendant près de deux siècles, la péninsule avait été la tête de pont de la Russie
dans les mers chaudes : l'aristocratie de Moscou et de
Saint-Pétersbourg séjournait dans les luxueuses résidences d'été de
Yalta tandis que la marine établissait le quartier général de sa flotte
dans la mer Noire à Sébastopol.
En 1954, le « don » de Khrouchtchev était censé marquer
le tricentenaire du traité de Pereïaslav, par lequel les cosaques
d'Ukraine avaient proclamé leur allégeance à Moscou. La cession avait
alors été présentée comme un « cadeau » de remerciement de la Russie à
l'Ukraine, célébrant la fraternité entre les peuples de l'Union
soviétique.
Avaient également été évoqués les liens sentimentaux de Krouchtchev
avec l'Ukraine, où il avait travaillé à la mine et avait fait son
ascension politique. Selon l'arrière-petite-fille du dirigeant soviétique, Nina Khrouchtcheva, interrogée par la radio américaine NPR, la cession de la Crimée « était dans une certaine mesure un geste personnel envers sa république préférée. Il était russe ethniquement, il se sentait beaucoup d'affinités avec l'Ukraine. »
UN DÉCRET DE HUIT LIGNES
Une semaine après la décision, la Pravda avait publié le décret officialisant le rattachement de la Crimée à Kiev : huit lignes justifiant cette décision par « l'intégration économique, la proximité territoriale, les liens culturels et linguistiques »
entre la péninsule et l'Ukraine. Des arguments peu convaincants, car
l'économie criméenne dépend alors essentiellement du tourisme, et la
péninsule compte environ trois habitants russes pour un habitant
ukrainien, se trouvant culturellement bien plus proche de Moscou que de
Kiev.
Beaucoup d'analystes et d'historiens estiment que les enjeux
démographique et économique ont motivé ce choix : à l'issue de la
seconde guerre mondiale, la péninsule se trouve largement dépeuplée, car
Staline avait ordonné la déportation des Tatars, communauté
turco-mongole installée en Crimée depuis le XIIIe siècle,
accusée d'anticommunisme et, pour certains, de collaboration avec les
nazis. En quelques années, la Crimée avait perdu environ 300 000
habitants, dont la moitié fut déportée en Asie centrale quand l'autre
périt. En transférant administrativement la Crimée en Ukraine, Nikita
Krouchtchev espérait inciter des paysans ukrainiens à s'installer dans la péninsule et favoriser
la mise en place d'infrastructures de fournitures d'eau et
d'électricité depuis Kiev. Politiquement, cette cession ne semblait pas avoir encore de conséquences.
A la suite de l'éclatement de l'URSS en 1991, la question de
l'autorité de tutelle de la Crimée s'est posée beaucoup plus
sérieusement. En 1991, quand l'Ukraine a organisé un référendum sur son
indépendance à l'égard de Moscou, la Crimée a voté à 54 % pour : la plus
courte majorité de toutes les régions d'Ukraine. Vingt-trois ans plus
tard, la Crimée va demander, dans un référendum contesté par les minorités pro-ukrainiennes, et notamment tatare (12 % de la population de Crimée), à retourner sous l'autorité de Moscou, effaçant le geste de Khrouchtchev par un bulletin de vote.
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