Les peuples asservis privés des symboles de leur souveraineté
Quelle est la nature des objets culturels dont le Bénin demande la restitution à la France ?
FRANÇOISE VERGÈS Il s’agit d’objets
rapportés par le général Dodds, vainqueur de la guerre de conquête
livrée contre le roi du Dahomey en 1892. Il s’est approprié des pièces
du trésor royal, emportées en France comme un butin. La plupart de ces
objets sont aujourd’hui exposés au Quai Branly, même si certaines pièces
se trouvent en Allemagne.
Est-ce la première fois qu’une telle demande de restitution émane des autorités d’une ancienne colonie ?
FRANÇOISE VERGÈS Les restitutions sont
très rares et elles concernent essentiellement, jusqu’ici, des restes
humains. Comme les têtes maories rendues à la Nouvelle-Zélande en 2012,
le crâne du chef insurgé kanak Ataï, remis à ses descendants en 2014, ou
encore la dépouille de Saartjie Baartman, la « Vénus hottentote »,
rapatriée et inhumée en Afrique du Sud en 2002.
Quelle est la portée symbolique de cette demande béninoise, qui porte sur des objets pillés durant la colonisation ?
FRANÇOISE VERGÈS Cette démarche est très
importante. Elle permet de réaffirmer que ces objets n’ont pas été
donnés ni achetés mais bien pillés puis exhibés comme signe de la
défaite des peuples asservis, du triomphe de la colonisation.
À la
conquête succédait la confiscation de tous les symboles de la
souveraineté. Il fallait priver les sociétés, les populations locales
des symboles de ce qui avait été un passé souverain. S’agissant des
restes humains, ils constituaient autant de signes d’appropriation et
d’humiliation. Leur étude était censée, aussi, prouver la prétendue
supériorité de la « race blanche ». L’accumulation par les missions de
restes humains, d’objets rituels ou usuels répondait à la démarche
ethnographique européenne d’étude des productions des autres « races »,
des autres cultures. Cette « visée scientifique » affichée était mise au
service de l’idée d’une hiérarchie des races, des civilisations.
En France, ce patrimoine est considéré comme
inaliénable, un principe auquel se heurtent les demandes de restitution
formulées par les pays spoliés. Quelle est la politique des autres
puissances colonisatrices ?
FRANÇOISE VERGÈS Le Royaume-Uni possède,
aussi, d’innombrables pièces issues du pillage colonial. D’intenses
débats sur ce sujet ont conduit au développement d’une politique de
prêts des objets pillés aux anciennes colonies concernées. La discussion
y est plus ouverte, sans que les demandes de restitution aboutissent
pour autant : on pourrait évoquer la fameuse affaire des frises du
Parthénon, jamais rendues à la Grèce malgré les demandes répétées
d’Athènes. En France, les discussions sont beaucoup plus crispées,
précisément parce que ces objets issus du pillage colonial sont
considérés comme des pièces du patrimoine national.
Peut-on mesurer l’ampleur de ce pillage colonial du patrimoine culturel africain ?
FRANÇOISE VERGÈS On parle de 90 % du
patrimoine africain dispersé dans des musées européens, à Londres,
Paris, Berlin, etc. C’est absolument énorme. Il ne reste que très peu
d’objets sur le continent. La plupart ont été pillés, soumis à des
trafics, achetés, vendus, revendus. Il faut ouvrir ce débat sur la
restitution, refuser l’argument fallacieux selon lequel l’Afrique
n’aurait pas les moyens de la préservation de ses propres trésors
culturels.
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